Par Abdel Bari Atwan (revue de presse ; Chronique de Palestine – 10/8/18)*
Qu’est-ce qui a fait descendre le président américain de son arbre ?
Personne ne comprend Donald Trump ou ne sait comment traiter avec lui et son arrogance mieux que les Iraniens. Leur réponse ferme et solide à son offre surprise – en début de semaine – de les rencontrer sans conditions préalables au moment qu’ils choisiront le confirme clairement.
Trump a déclaré que la rencontre avec les Iraniens serait « une bonne chose pour eux, pour nous et pour le monde », ajoutant: « Si nous pouvions travailler sur quelque chose de significatif, pas le gaspillage de papier que l’autre accord était, je serai certainement prêt pour une rencontre ».
En outre, le porte-parole du Conseil de sécurité américain Garrett Marquis a déclaré que Washington était prêt à mettre fin aux sanctions, à rétablir des relations diplomatiques et commerciales complètes, à permettre à l’Iran de disposer de technologies avancées et à soutenir sa réintégration dans l’économie mondiale.
La question à se poser ici est ce qui se cache derrière cette soudaine poussée de magnanimité américaine et un changement complet de ton ? Après les menaces de détruire l’Iran en imposant des sanctions étouffantes sans précédent, de l’empêcher d’exporter un seul baril de pétrole tout en exhortant l’Arabie saoudite à augmenter sa production pétrolière afin d’inonder le marché et de faire baisser les prix, pourquoi lancer un appel ouvert au dialogue accompagné d’une série d’incitations diplomatiques et politiques ?
Avant de répondre, il convient de noter que la plupart des réactions de l’Iran à l’offre généreuse de Trump proviennent d’officiels de second rang, qui le tournent en dérision et insistent sur le fait que Trump devrait en premier lieu revenir sur sa décision de se retirer de l’accord nucléaire, et suspendre toutes les sanctions économiques imposées à l’Iran.
Une hyène édentée
La stratégie de Trump a été exposée au grand jour et elle est maintenant évidente pour le novice politique le plus inexpérimenté. Premièrement, il aggrave ses menaces et exagère la taille du « bâton » qu’il entend utiliser dans l’espoir d’intimider ses adversaires et de les traîner jusqu’à la table des négociations, puis il descend de l’arbre qu’il vient d’escalader.
L’homme est une hyène édentée. Il n’ose pas réellement faire la guerre, ni ne sait en tout cas comment la faire. Son savoir se limite au business et à jouer des muscles.
Il faut souligner que Trump et le revirement de son administration ne sont apparus qu’après qu’il est devenu évident que les Iraniens n’étaient nullement intimidés par ses menaces de les étrangler économiquement, ses allusions à une guerre à venir, ou son discours sur la création d’une OTAN « sunnite arabe » – avec Israël en tant que neuvième membre non officiel – pour préparer une attaque contre la République islamique.
Leur réponse a été de donner le feu vert à leurs alliés yéménites Ansarullah pour qu’ils lancent des missiles sur les navires de guerre saoudiens et les pétroliers près du détroit de Bab al-Mandeb. Avec pour objectif de faire comprendre aux États-Unis et à leurs alliés qu’une grande partie du transport maritime mondial et la moitié de leurs exportations de pétrole sont maintenant à la merci de l’alliance que soutient Téhéran.
Aujourd’hui Bab al-Mandeb, demain le détroit d’Ormuz… était le message. C’était une simple entrée en matière, et le plat principal serait beaucoup plus consistant.
Inquiet, Trump a fait machine arrière après que le président Hassan Rowhani l’ait averti que toute attaque lancée sur l’Iran déclencherait « la mère de toutes les guerres » et le commandant de la Force al-Qods des Gardiens de la révolution, le général Qassem Soleimani, a averti que si Trump pouvait décider de quand commencerait la guerre, ce serait l’Iran qui déterminerait comment elle se terminerait, et bloquer le détroit d’Ormuz ne serait qu’un avant-goût de sa riposte.
Ce que Trump a oublié, au milieu des divers scandales sexuels et des critiques sur sa performance pathétique au sommet d’Helsinki avec le président russe Vladimir Poutine, c’est que les États-Unis ont été vaincus dans la guerre en Syrie après avoir dépensé 70 milliards de dollars. Et par qui ? Les Russes, les Syriens, les Iraniens et le Hezbollah. Il n’a toujours pas gagné la guerre en Afghanistan, 17 ans après que les États-Unis l’aient lancée. Il ne sait comment se dégager de cet enchevêtrement coûteux et négocie actuellement avec les Taliban à Doha dans l’espoir de diminuer ses pertes.
De plus, Trump a fait des États-Unis le pays le plus détesté du monde, notamment par ses alliés européens.
Trump joue au lion uniquement quand il traite avec les « dirigeants » arabes
Trump joue au lion uniquement quand il traite avec les dirigeants Arabes, et seulement dans la région du Golfe. Ils s’inclinent devant ses ordres, obéissent à ses ordres, et se soumettent à toutes ses exigences financières exorbitantes et à ses moqueries selon quoi ils ne survivraient pas une seule semaine sans la protection américaine.
Rowhani a fait savoir qu’il avait refusé huit offres pour rencontrer Trump car il n’a aucune confiance dans un homme qui ne respecte pas la signature de son propre pays, faisant écho à l’affirmation du chef suprême iranien que de telles réunions seraient « une perte de temps ». C’est toute la différence avec nos dirigeants arabes, toujours prêts à se prosterner pour obtenir une audience avec le président américain et leurs homologues iraniens.
Les Iraniens pourraient bien accepter de rencontrer Trump s’ils sentaient une certaine volonté de répondre à leurs besoins d’une manière qui allège les souffrances de leurs 70 millions d’habitants. C’est exactement ce qu’ils ont fait lorsqu’ils ont conclu l’accord sur le nucléaire après cinq années de négociations.
Certains Arabes les ont réprimandés à l’époque et les ont accusés de capituler, puis ont critiqué le retrait de Trump de l’accord et ont demandé qu’il soit préservé afin d’éviter les conséquences et les coûts de son annulation – la pie étant une course régionale aux armements nucléaires que l’Iran gagnerait forcément, vu le terrain déjà parcouru dans ce domaine.
Le président nord-coréen Kim Jong-un a accepté l’invitation au dialogue de son homologue américain et s’est rendu au sommet de Singapour la tête haute. Beaucoup de détracteurs s’attendaient à ce qu’il se soumette et brandisse le drapeau blanc de la reddition. Pourtant, le Washington Post rapporte qu’il a commencé à développer de nouveaux missiles – encore plus puissants que ceux qui remplissent déjà son arsenal militaire – qui peuvent frapper profondément à l’intérieur des États-Unis. Nous n’avons pas entendu un seul mot à ce sujet venant de Trump, qui semble avoir avalé sa langue et appris la vertu du silence.
Nous pouvons être sûrs que les membres de la future OTAN arabe, que Trump a ordonné de former avec Netanyahu pour faire la guerre à l’Iran, sont en train de suer d’angoisse face au revirement dans la position de leur Maître qui tend la main à Téhéran sans aucune condition préalable. Ils peuvent se donner des claques en constatant l’échec de leur pari que les États-Unis et Israël bombarderaient l’Iran et le ramènerait à l’âge de pierre comme ils l’espéraient. Ils doivent également regretter d’avoir dépensé des centaines de milliards de dollars en avions de combat et en missiles, en préparation d’une participation à cet événement mémorable.
Nous souhaitons que nos « leaders » arabes apprennent quelque chose des Iraniens et des Nord-Coréens plutôt que de gaspiller nos richesses dans la poursuite du mirage d’une guerre contre l’Iran – faite pour le compte des États-Unis et d’Israël – visant à le détruire comme ont été détruits l’Irak, la Syrie, le Yémen et la Libye. Cela leur apprendrait quelque chose sur la dignité et le respect de soi. Et cela leur permettrait de développer une stratégie arabe appropriée pour imposer un équilibre stratégique dans la région et établir une force de dissuasion arabe efficace, pour contrebalancer Israël, le plus grand ennemi de la nation arabe, et également atteindre un équilibre militaire avec l’Irak.
Ces « leaders » vont-ils tenir compte d’un tel appel ? Nous ne pensons pas. Sinon, nous ne serions pas dans notre triste état actuel où le monde entier nous contemple comme un archétype de stupidité, d’arriération et de soumission.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
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2 août 2018 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine