Syrie : « Réveille-toi Saladin, ils reviennent... »
par Gilles Munier
Tandis que George Bush et Ariel Sharon prônent le « chaos constructif et maîtrisé» pour tenter de renverser le régime au pouvoir à Damas, Jacques Chirac semble opter pour la déstabilisation en douceur. Des groupuscules d’opposition qui proposent un changement « démocratique, pacifique et progressif » en Syrie se réuniront fin septembre à Paris. La réunion devrait accoucher d’un « Chalabi » syrien made in France.
Il est loin le temps où le président de la République française, recevant Hafez Al-Assad à Paris, rappelait en paraphrasant le général de Gaulle « l’amitié indestructible » que se portent la Syrie et la France(1). Que s’est-il donc passé depuis juin 2001, quand Jacques Chirac vantait devant son successeur Bachar Al-Assad l’« amitié renforcée » entre Paris et Damas ?
A Paris, la crise franco-syrienne est traitée dans le secret, au point où les avis divergent pour en expliquer l’origine. Apparemment, elle ne remonte ni à l’attribution par le gouvernement syrien d’un contrat d’exploitation d’un gisement gazier à un groupe américano-canadien alors qu’il aurait pu revenir à la société Total, ni à la désillusion supposée de Jacques Chirac devant la lenteur du « processus de modernisation et d'ouverture » engagé en Syrie, ni à la colère qui l’aurait secoué en apprenant la mise à l’écart de son ami Rafic Hariri du gouvernement libanais. Que ceux qui croient encore que le président français n’a fait que se rallier au dessein américain se détrompent ; en fait c’est lui qui a pris les devants en convainquant George Bush de lui laisser le champ libre au Levant.
Partager le gâteau proche oriental
Le texte de la résolution 1559, par exemple, a été rédigé par un conseiller de l’Elysée - Maurice Gourdault-Montagne - avec Condoleezza Rice. Ni Kofi Annan, ni dit-on le Quai d’Orsay, n’étaient informés du projet. Depuis, la suite des événements semble montrer que Jacques Chirac, George Bush et Ariel Sharon se sont réparti les rôles dans le complot visant à renverser le président Bachar Al-Assad et à éradiquer le baassisme de Syrie.
L’explication la plus plausible du virage à 180° de la politique syrienne de la France est liée aux craintes engendrées par le plan américano-israélien « Grand Moyen-Orient ». Les beaux discours, comme celui de Dominique de Villepin à l’ONU, ne sont plus de saison. La politique arabe du général de Gaulle est soudain devenue ringarde. Comme le changement de régime à Damas lui semble irrémédiable, on a l’impression que Jacques Chirac veut « partager le gâteau » proche oriental avec les Américains. Il veut « sauver » la Syrie – sa Syrie - malgré elle de la boulimie anglo-saxonne, comme si la France en était toujours la gardienne immémoriale ! Mais, à quel prix ? De quel type d’intervention le président français menaçait – il les dirigeants syriens en juillet dernier, en déclarant au G8 que l’intérêt de la Syrie est de « prendre en compte l'évolution du Proche-Orient et du monde » et qu’elle lasserait la communauté internationale si elle ne le faisait pas?
Un parfum de croisade
La France adhère-t-elle vraiment au plan de remodelage de la Syrie concocté par les néo conservateurs américains et les likoudniks israéliens ? Des rapports existent dans les archives françaises pour rafraîchir la mémoire de ceux qui ont oublié pourquoi la création de régions « autonomes » - voire de mini- Etats - sur des bases ethniques ou confessionnelles a échoué sous le Mandat français.
Est-on prêt à envoyer un corps expéditionnaire français à Damas – sous couvert ou non de l’ONU ou de l’OTAN - pour réprimer la résistance que susciterait immanquablement un nouveau démembrement de la Syrie? L’exemple de ce qui se passe en Irak devrait au moins faire réfléchir.
Imagine-t-on l’effet désastreux que produirait la vue sur les écrans de TV d’un général américain – accompagné d’un officier supplétif français - posant sa botte sur le tombeau de Salah Eddine Al-Ayoubi et déclarant en plastronnant comme l’aurait fait le général Gouraud en juillet 1920 : «Réveilles-toi Saladin, nous sommes revenus. Ma présence ici consacre la victoire de la croix sur le croissant » ?
La préservation de l’influence française au Proche-Orient, la paix et la sécurité dans la région… et en Europe, passent par une non immixtion dans les affaires intérieures syriennes, par le départ des troupes américaines d’Irak, d’Arabie et du Golfe et, évidement, par la solution du problème palestinien. Vaste programme ! Mais pour ce qui concerne les menaces pesant sur la Syrie, il ne tient qu’à Jacques Chirac – et à lui seul - de ne pas entraîner plus loin la France dans le jeu américain.
La participation de troupes françaises à ce qui est perçu depuis mars 2003 par une majorité de musulmans comme une «neuvième croisade contre les Arabes » (2) provoquerait en Syrie un « chaos » qui ne serait ni « constructif » ni « maîtrisé » pour reprendre la terminologie néo conservatrice américaine. Elle renforcerait le terrorisme international et ferait de la France la cible d’attentats vengeurs.
Notes :
Déclaration de Jacques Chirac le 16 juillet 1998 -
(2) Déclaration de l’ancien président algérien Ahmed Ben Bella au Caire en décembre 2002.