INTERVIEW DU Dr. HASSAN T. WALLI AYDINLI
Président du Comité de Défense des Droits des Turkmènes Irakiens
(propos recueillis par Gilles Munier (20/1/05)
Le Docteur Hassan T. Wali Aydinly est un Turcoman irakien, né en 1942 à Bashir, village rasé en 1986 dans le cadre de la politique d'arabisation de la région de Kirkouk.
Il est arrivé en Europe en 1960 pour y effectuer ses études universitaires. Après avoir été professeur à l'Institut Technique Supérieur de Bagdad, il a travaillé dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest comme spécialiste en gestion de projets pétrochimiques. Il est actuellement consultant indépendant et milite pour la libération de l’Irak et l'instauration d'une vraie démocratie dans ce pays. La SOITM (Iraqi Turkmen Human Rights Research Foundation) qu’il préside, est une association indépendante, financée par ses membres. Elle a pour but la défense et la promotion des droits des Turcomans d'Irak.
Q : A combien estimez- vous le nombre de Turcomans en Irak ?
HWA : Nous estimons le nombre des Turcomans en Irak à 3,25 millions, c'est-à-dire à 13 % de la population totale du pays.
Q : Sur quoi ou sur quel recensement vous basez-vous pour avancer ce chiffre?
HWA : Nous nous basons sur le recensement de 1957 dont les résultats avaient été annoncés en 1959 et selon lesquels le nombre de Turcomans dans les deux provinces à majorité turcomane de Kirkuk et d'Erbil s'élevait à 567.000 pour une population totale en Irak qui s'élevait à 6.5 millions d'après ce recensement. Ce qui signifie que les Turcomans recensés dans ces deux provinces uniquement représentaient 8,72 % de la population totale de l'Irak en 1957.
Or, il est bien connu et admis par tout le monde en Irak que la population turcomane n'était pas limitée à celle de ces deux provinces uniquement mais qu'il y avait à l'époque, comme c'est d'ailleurs toujours le cas aujourd'hui, des Turcomans dans d'autres provinces telles que: Mossoul, Diyala, Bagdad, Kut et Kerbala pour ne citer que celles où il avait des populations Turkmènes importantes. On estime d'ailleurs qu'un bon tiers des Turcomans d'Irak vivaient à l'époque et vivent aujourd'hui encore dans ces provinces, ce qui pouvait représenter au minimum 283.000 personnes en 1957.
En additionnant ces Turcomans des autres provinces à ceux de Kirkouk et d'Arbil on arrive à une population totale Turcomane de 853.000 en 1957 sur une population totale de 6.5 millions, c'est à dire 13 % de la population irakienne.
Etant donné qu'aujourd'hui la population de l'Irak est estimée à 25 millions et en admettant que la croissance de la population ait été uniforme et égale pour toutes les ethnies en Irak on arrive à un chiffre d'environ 3.250.000 Turcomans dans l'Irak d'aujourd'hui. (13 % de 25 millions)
Q : Quelle est la répartition des Turcomans sur le territoire national ?
HWA : Comme déjà signalé brièvement plus haut, la répartition des Turcomans sur le territoire national aujourd'hui est la suivante:- Les Turcomans sont répartis et vivent toujours dans les provinces de Mossoul, d'Arbil, de Kirkouk, de Salahaddine, de Diyala, de Wassit, de Bagdad et de Kerbala.
En réalité la région turcomane en Irak est constituée d'un territoire en forme de parallélépipède qui sépare les deux autres régions, Arabe et Kurde, elle constitue une zone de transition voir une "zone tampon" entre les Arabes et les Kurdes de ce pays. Ce territoire s'étend de la frontière Irako-syrienne (la région de Tell Afar) au nord-ouest de Mossoul, en passant par les villes d'Arbil, de Kirkouk, de Tuz Khurmatu, de Baaquba et de Kut (région de Bedre-Jassan-Aziziya) au sud-est de cette ville à la frontière irako-iranienne.
Pour être plus précis concernant la répartition des Turcomans en Irak on peut dire ce qui suit:
a - En province de Mossoul : - La région Turcomane comprend la ville de Tal Afer, la partie est de la ville de Mossoul ainsi que les villages le long du Tigre au nord et au sud de Mossoul.
b - En province d'Arbil: - La région turcomane comprend la ville d'Arbil.
c - En province de Taamim : - La région turcomane comprend les villes de Kerkuk, d'Altun Kopru, de Taze Khurmatu de Tawuq ainsi que les villages entourant ces villes.
d - En province de Salahaddine : - La région turcomane comprend la ville de Tuz Khurmatu et les villages qui l'entourent.
e - En province de Diyala : - La région turcomane comprend les villes de Baaquba, Khaneqin, Mendeli, Qarakhan (Jalawla), Quizlarbat (Sadiyya), Kifri, Qara Teppe, Shahraban (Miqdadiyya), Delli Abbas (Mansuriyya) et Qazaniyya (1).
f - En province de Wasit : - La région turcomane comprend les localités de Bedre, de Jassan, et d'Aziziyya.
g - A Bagdad: - Les Turcomans de Bagdad sont estimés à 300.000, ils sont répartis dans tous les districts de Bagdad, mais avec une concentration notable dans les districts d'Adhamiyya et de Ragheba Khatun.
h - A Kerbela : - Les Turcomans de Kerbela sont installés près et autour des lieux-saints chiites de cette ville.
Q : Un certain nombre de Turcomans irakiens sont chiites. Ont-ils les mêmes aspirations que la majorité de la communauté ?
HWA : Tous les Turcomans irakiens, qu'ils soient sunnites ou chiites, ont la même aspiration, celle d'être reconnus enfin comme la troisième ethnie importante de ce pays, ils sont de véritables patriotes, ils l'ont prouvé depuis la création de l' état Irakien en 1921.
Q : Que pensez-vous des candidats turcomans présents sur la liste Sistani ? Y en a-t-il sur d’autres listes?
HWA : Quelques personnalités turcomanes telles que Messieurs Taqi Mawla, Feryad Tuzlu et Abbas Bayati ont rejoint la liste de la "coalition unifiée pour l'Irak" connue comme étant la "liste de Sistani" à cause de leurs relations dans le passé avec le mouvement chiite et parce qu'on leur a garanti des postes. Toutefois, ils ont demandé à leurs partisans de voter pour une des deux listes Turcomanes officielles.
Q : Quelle est la situation des Turcomans au Kurdistan irakien?
HWA : Les Turcomans d'Erbil sont mis sous pression par l'administration de Barzani pour suivre les 5 « partis fantoches » Turcomans (Kurdomans) crées par les Kurdes. Cependant les Turcomans d'Erbil voteront pour une des deux listes turcomanes.
Q : Dans le cas spécifique de Kirkouk, on parle de « nettoyage ethnique » pratiqué par les partis de Barzani et de Talabani. Commence cela se passe sur le terrain ?
HWA : Il y a aujourd'hui 120.000 immigrants Kurdes, amenés de Duhok, d'Erbil, de Sulaimania ainsi que d'Iran, de Syrie et de Turquie, qui ont été installés dans les maisons des 40.000 Arabes qui ont été forcés d'évacuer après l'occupation Kurde. Le reste des Kurdes sont installés dans des bâtiments officiels et dans des immeubles et terrains publics, dans l'attente de l'évacuation du reste des 120 000 Arabes amenés à Kirkouk par le régime Baath dans les années 1980.
La majorité des bureaux officiels et services gouvernementaux sont occupés par des fonctionnaires Kurdes amenés de Duhouk, d' Erbil et de Soulimaniya. Ces fonctionnaires obligent tout le monde à parler le Kurde. Les personnes qui ne connaissent pas le Kurde ne bénéficient d'aucun service.
Actuellement les Kurdes organisent une campagne de kurdification, inscrivant des graffitis en Kurde sur les murs, hissant des drapeaux Kurdes partout dans la ville, remplissant les rues de bannières en langue kurde, achetant des centaines de locaux commerciaux et plaçant des écriteaux en langue Kurde dans les étalages des magasins.
La majorité des policiers sont Kurdes de même que la plupart des taximen vienne de Dohouk, d'Erbil ou de Suleimania.
Q : Quelle sont les relations des Turcomans avec la communauté arabe de Kirkouk ? Remettent-ils en cause la présence des Arabes installés ces dernières années ?
HWA : Face à la menace kurde pour l'avenir et l'unité de l'Irak, les Arabes et les Turcomans sont aujourd'hui unis pour faire face au raz de marée kurde dans la région turcomane. Dans les années 1980 les Turcomans étaient bien sûr opposés à l'installation des Arabes dans leur région car ils étaient opposés à la politique d'arabisation, mais à présent, ils considèrent que la présence des Arabes est essentielle et nécessaire, pour empêcher l'immigration en masse des Kurdes.
Q : Quelle solution proposez-vous pour Kirkouk ?
HWA : Kirkouk est une ville turcomane à l'origine. Ce fait est accepté par les Arabes, les Assyriens et même par les Kurdes de Kirkouk. A cause de la richesse en pétrole de la ville et à cause des visées cachées de leurs partis politiques, les Kurdes s'obstinent à vouloir inclure Kirkouk dans leur "Grand Kurdistan" pour lequel ils oeuvrent activement.
Pour réaliser leur projet de "Grand Kurdistan" la première étape serait de déclarer un état fédéral et la seconde serait de créer un état indépendant, comme en Yougoslavie ou en Tchécoslovaquie.
Comme leur projet de "Grand Kurdistan" n'est pas viable sans les richesses pétrolières de Kirkouk, les Kurdes veulent absolument annexer cette ville dans leur région.
La solution que nous préconisons pour Kirkouk est la suivante:
a - STOPPER L' ARRIVEE EN MASSE DES KURDES A KIRKOUK
b - Déterminer qui sont les habitants originaires de Kirkouk, en se basant sur les certificats de naissance de 1957.
c - En accord avec cela, organiser des élections municipales. Il est clair que ces élections déboucheront sur le résultat suivant: une majorité pour les Turcomans, qui permettrait d'élire une administration représentative de la population dirigée par un gouverneur Turcoman et deux députés, dont un Arabe et un Kurde. Les Assyriens ne représentant pas plus de 5% de la population peuvent être représentés dans la municipalité.
Q : En cas de boycott kurde des élections à Kirkouk, comment envisagez-vous l’avenir ?
HWA : Les Kurdes ne boycotteront pas les élections étant donné qu'ils ont déjà fait pression sur le gouvernement pour inclure 72 000 nouveaux arrivés à Kirkouk en tant qu'électeurs pour les prochaines élections, ce qui a fait pencher la balance en leur faveur. Par contre, il est question que les Turcomans et les Arabes boycottent les élections. Ce qui signifie que toute élection à Kirkouk serait nulle et non avenue.
Si les Kurdes poursuivent leur politique hégémonique et agressive dans la région Turcomane, les Turcomans et les Arabes se militariseront et cela débouchera sur des violences ethniques.
Q : La Turquie peut-elle encore intervenir pour empêcher l’annexion de Kirkouk dans la région du Kurdistan ?
HWA : La Turquie est malheureusement en position de faiblesse aujourd'hui à cause de la "carotte" de l'Union Européenne, de plus la Turquie doit 152 milliards de dollars au FMI et à la Banque Mondiale.
Dans le passé la Turquie avait déclaré Kirkouk et Mossoul ligne rouge à ne pas dépasser par les Kurdes, leur déclaration est restée à ce jour une déclaration verbale malgré les franchissements multiples de cette fameuse ligne rouge par les Kurdes.
Les Kurdes aujourd'hui supportés par les occupants anglo-saxons se sentent forts et prêtent peu d'importance au reste du monde.
Les Kurdes et les Etats-Unis considèrent les menaces turques comme étant du "bluff". C'est pour cette raison que la possibilité d'une intervention Turque n'est pas crédible.
Note:
(1) les noms entre parenthèses sont les nouveaux noms arabisés des villes Turcomanes.