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France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l'Atlantique

France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l'Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak et du Golfe à l'Atlantique. Traduction d'articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne.


Partition: Une guerre... dans la guerre (27/11/06)

LE FÉDÉRALISME EN IRAK : Une guerre dans la guerre 


par Gilles Munier

 

« L’Irak, comme projet politique, c’est fini ! … Les partis au pouvoir vont appliquer le Plan B», c'est-à-dire la partition du pays en 3 régions, a déclaré à l’agence Reuters, en juillet 2005, un haut responsable irakien sous couvert d’anonymat.


Le 11 octobre 2006, le « Parlement » irakien a donc approuvé la loi sur le fédéralisme. Selon le quotidien irakien Azzaman qui titrait « Un jour sombre pour l’Irak », seulement 138 députés sur 275 ont voté « oui »... Le vote s’est fait à main levée et personne n’a pu vérifier si le quorum était atteint !

 

Les parlementaires kurdes et ceux du SCRI (Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak- pro-iranien) ont évidemment voté « oui », mais ils ne totalisaient que 88 députés. Il leur a donc fallu s’entendre avec les communistes du PCI (pro-américain), Iyad Allaoui (ancien « Premier ministre » et homme de la CIA) et Tanzim al-Iraq, une faction du parti Al-Dawa - jusqu’ici opposée au fédéralisme – qui, pour l’occasion, a changé de position.

 

Prés de 175 députés opposés au démembrement à terme de l’Irak, ont boycotté le vote, parmi lesquels ceux des partis dits sunnites, les partisans de Moqtada Sadr, les membres du parti chiite Al Fadila al Islamiya (Parti de la Vertu islamique, puissant à Bassora) et le député turcoman. Quelques élus du parti d’Iyad Allaoui (Iraqi List), en désaccord avec leur chef, les avaient rejoints.

 

La partition, un des principaux objectifs néo conservateurs


Sur Fox News, le 16 octobre 2006, George Bush s’est déclaré opposé à la partition de l’Irak en 3 régions. « Ce serait », a-t-il dit, « un désordre plus grand encore ». Mais, la Maison-Blanche a aussitôt précisé que cela ne voulait pas dire qu’il est contre la loi votée à Bagdad ! Comprenne qui pourra. L’ancien secrétaire d’État, James Baker, qui dirige l’Iraq Study Group, chargé de proposer des scénarios de sortie du bourbier irakien, ne veut pas non plus prononcer le mot « partition ». Il préfère parler «  de mise en place d’un système régionaliste ». Le maintien de la sécurité intérieure serait assuré par les régions, ce qui permettrait aux Américains de se désengager militairement progressivement. Le pouvoir central se réserverait les Affaires étrangères, la garde des frontières étatiques et la répartition des revenus du pétrole. Mais, comme la définition du fédéralisme à l’irakienne n’est pas clairement spécifiée dans la constitution, tout le monde s’attent à ce que les régions se transforment de facto en Etat avec un Premier ministre, une armée (milice reconvertie), un corps de gardes-frontières régionales, un service de renseignement, et un ministre du Pétrole.

 

Bush et Baker ne parlent ni d’autonomie ni d’indépendance pour ne pas effrayer leurs alliés au Proche et Moyen-Orient, dont les pays (Arabie, Pakistan, Turquie) sont susceptibles d’être démembrés (1). Ils espèrent donner l’impression que l’introduction du fédéralisme est une idée irakienne, alors que son introduction dans la constitution est une décision prise dans les think tanks néo conservateurs américains et israéliens. Le vote du 11 octobre 2006 n’a eu lieu que pour recouvrir d’un vernis démocratique une loi imposée par la puissance occupante.

 

L’effondrement annoncé du Parti Républicain à la prochaine élection présidentielle ne sauvera pas l’Irak du danger séparatiste : l’influent sénateur Joseph Biden a d’ores et déjà présenté la partition de l’Irak comme la seule option capable de stabiliser le pays.  Il tiendrait même, paraît-il, à ce que cet objectif soit inscrit dans le programme du Parti démocrate.

 

Trois ou quatre nouveaux Etats ou Emirats risquent de voir le jour à la place de l’Irak, au moins sur le papier : un Kurdistan, un « Sunni- stan », un ou deux « chii-stans » et  un « District de Bagdad » qui jouirait d’un statut inspiré de celui de Sarajevo.

 

L’instabilité au Kurdistan


La carte du futur Etat kurde présenté par les indépendantistes englobant Kirkouk, une partie de Mossoul, et de larges portions de l’Irak jusqu’aux alentours de Bagdad - sans concertation avec les Arabes et  sans considération pour les revendications turcomanes, assyriennes, yézidies – porte en elle les germes de multiples conflits sanglants (2).   

 

Le projet d’annexion de Kirkouk ne laisse pas la Turquie indifférente. Dernièrement, Abdullah Gül, ministre turc des Affaires étrangères, a conseillé à Jalal Talabani et à Massoud Barzani de ne pas rêver de la création d’un Kurdistan indépendant, surtout comprenant Kirkouk, en tablant sur un soutien des Etats-Unis. Il leur a rappelé que la Turquie serait encore là lorsque les Américains auront quitté la région (3).

 

De leur côté, les nationalistes irakiens – arabes et turcomans - ne laisseront pas les Kurdes s’emparer des ressources pétrolières du nord et contrôler l’approvisionnement en eau du reste de l’Irak.

 

Cela devrait faire réfléchir Barzani et Talabani. Et bien non ! Comme le nettoyage ethnique n’émeut pas Occidentaux lorsqu’il est pratiqué par les Kurdes, les Peshmergas font comme si de rien n’était. Ils expulsent les Arabes et les Turcomans des régions de Kirkouk et de Tell Afar en toute tranquillité, tout en refusant parallèlement aux Assyriens de se réinstaller dans les villages situés le long des frontières syrienne et turque - aux abords de Dohouk et de Zakho - qui avaient été détruits par l’armée irakienne dans les années 80 pour créer une « Zone de sécurité » d’une quinzaine de kilomètres.

 

Dernièrement, les Assyriens ont été étonnés d’entendre le Président Saddam Hussein leur apporter son soutien. Selon l’agence AINA, il a déclaré au cours du procès Anfal, en réponse à un « témoin », que les Assyriens étaient les descendants de ceux qui avaient fait l’Irak il y a des milliers d’années, qu’il font partie de la véritable histoire de l’Irak. Il a ensuite demandé pourquoi on ne leur accordait pas la liberté et la possibilité d’être ce qu’ils sont réellement (4).

 

Les Assyriens se plaignent des assassinats, des kidnappings, viols, extorsion de fonds, menaces et pressions qu’ils endurent dans la région de Mossoul dont le KRG (Gouvernement autonome kurde) veut s’emparer. Massoud Barzani verrait bien les Assyriens servir de boucliers humains lors du prochain conflit arabo-kurde. Il promet pour cela d’octroyer à ceux qui veulent rester dans la plaine de Ninive une sorte d’autonomie administrative au sein du futur Etat kurde. Les autres n’ont qu’à s’en aller…

 

Certains autonomistes assyriens s’appuient sur le vote du 11 octobre pour réclamer la constitution d’une « Région d’Ashur ». Ils la voient accolée à la Syrie, comprenant le Sindjar à majorité yézidie, Tell Afar la turcomane, une partie de la plaine de Ninive … et des portions du Kurdistan : Sheikhan et Hamdaniya. Ils ont beau dire que l’Assyrie est – avec les chiites, les sunnites et les kurdes ! - un des quatre piliers sans lequel l’Irak fédéral sera un Etat bancal. George Bush ne s’y est pas montré hostile lors de sa rencontre en Georgie, en mai 2005, avec Edgar Bitbunov, président local du Congrès international Assyrien International (5).

Des guerres du pétrole ou de l’eau ne sont pas les seuls dangers qui guettent le futur Etat kurde (6).  Dans les années à venir, ses dirigeants auront aussi fort à faire avec leurs minorités et les revendications légitimes de leur peuple qui ne supportera pas toujours le servage et la corruption. Massoud Barzani et Jalal Talabani ont certes plusieurs coudées d’avance sur les chiites pro-iraniens : un quasi Etat avec un drapeau, un gouvernement régional avec Premier ministre et ministre du Pétrole, un service de renseignement, une armée. La création d’une aviation de combat est envisagée, tout comme l’achat de chars et de missiles pour tenir tête à d’éventuelles attaques turques, syriennes ou iraniennes, voire à une guerre de reconquête arabe. Rahim Zebari, professeur à de l’Université de Virginie, demande au KRG de consacrer d’urgence à la Défense 15 à 20% de son budget sur au moins 5 ans (7).  Le Kurdistan, écrit-il, doit imiter Israël qui - avec ses 4 millions d’habitants -  a tenu tête au monde arabe grâce à son armement. Il craint que si rien n’est fait rapidement, « Kirkouk ne redeviendra jamais kurde » (8).

 

Un, ou deux « Chii-stans » ?


En novembre 2003, Leslie Gelb, du Council on Foreign Relations (CFR), puissant think tank américain, préconisait dans le New York Times, la création de trois Etats en Irak. Il proposait notamment aux Chiites du centre du pays, d’émigrer en masse vers le sud sous la protection des forces américaines d’occupation (9). Mais, qui dit Etat – ou provisoirement région – dit frontières, et là les chiites sont partagés.

 

Certains militent pour la création de deux Etats chiites fédérés : un autour de Bassora, l’autre de Nadjaf. Ce projet est soutenu par le parti Fadila, des chefs de tribus, et des partisans de Moqtada Sadr, qui se réservent l’Iqlim al-janub (la Région du sud) comprenant les gouvernorats de Bassora, Dhi Qar et Maysan; c'est-à-dire environ 60% des réserves pétrolières irakiennes et le débouché du pays sur le Golfe.

 

Abdelaziz Al-Hakim, chef du Conseil de la Révolution Islamique en Irak (SCIRI), n’est pas d’accord. Il propose la création d’une région unique englobant Nadjaf, Kerballa et Bassora : l’Iqlim al-wasat wa-al-janub (la Région du centre et du sud) dont la délimitation serait basée non plus sur celles des gouvernorats existants, mais sur celles datant de l’empire ottoman. A noter que si l’ancien willayet de Bassora ne dépassait pas au nord Nassiriya sur l’Euphrate et Amara sur le Tigre, il comprenait l’actuel Koweït et s’étendait jusqu’au sud de l’oasis de Hufuf aujourd’hui en Arabie Saoudite…

 

Derrières ces projets, outre le pétrole, on retrouve curieusement en filigrane les anciens clivages opposant Koufa et Bassora dès le début de la conquête islamique de la Mésopotamie. Al-Hakim ira-t-il jusquà expulser de la région les sunnites de Zubair où sont enterrés les compagnons du Prophète Muhammad qui se sont opposés à l’Imam Ali lors de la Bataille du Chameau en 656 ? (10)

 

Bagdad et le « Sunni-stan »


Quand les Occidentaux parlent de partition de l’Irak, ils oublient toujours les sunnites. Ils ne savent pas comment taillader  les régions de Bagdad, Babel, Salah Eddine, Ninive, Diyala, Anbar.

 

Bagdad est la plus grande ville sunnite, mais aussi la plus grande ville chiite ou kurde. Dans la perspective de la création d’un district autonome, les extrémistes chiites « nettoient » l’est de la ville de ses sunnites et de ses chrétiens. Dans le quartier de New Bagdad où vivaient encore il y a quelques années plus de 4000 familles chrétiennes, il n’y en aurait plus que 350… On dit que l’Armée du Mehdi de Moqtada Sadr veut partager la capitale en deux : Karkh avec Al-Mansour à l’ouest laissé aux sunnites, et Rusafa avec Sadr City et Al-Khademiya à l’est pour les chiites. Le Tigre ferait office de frontière,

 

Mais comment les Américains vont-ils s’y prendre pour « regrouper » au nord de la région de Babel, et au sud de celle de Salah Eddine, les villages sunnites et chiites qui forment un véritable patchwork ? Dans celles de Ninive et de Kirkouk comment respecter à la fois les revendications légitimes des Arabes sunnites et chiites, des Turcomans sunnites et chiites, des Assyriens, des Yézidis, des Shabaks, et des Kurdes ? Les organisations de la résistance islamique sunnite n’ont pas attendu. Elles ont créé dernièrement un « Etat islamique d’Al-Qaïm » (11) comprenant Mossoul, Kirkouk, Bagdad et Kerballa.

 

L’hypothétique «Sunni-stan » concédé par les néo conservateurs américains serait un Etat-paria. Il n’a pas de pétrole, mais il commande l’approvisionnement en eau du « Chii-stan » et est sur le passage de pipelines, et de routes vers le Golfe, la Syrie et la Jordanie. C’est encore trop. Les Américains et les Israéliens veulent donner aux Kurdes le gouvernorat de Diyala – où la résistance islamique est puissante -  pour leur permettre d’avoir une frontière avec le « Chii-stan ». La présence de troupes américaines le long des pipelines et de l’autoroute Bagdad-Jordanie ou Syrie, suffirait – selon eux – à dissuader la résistance d’entraver la circulation. 

 

Rien n’est joué d’avance


Margaret Beckett, secrétaire britannique aux Affaires extérieures, a déclaré hypocritement sur la BBC, après le vote d’octobre, que c’est aux Irakiens de décider de leur avenir. « Ils en ont assez », a-t-elle dit, « des gens qui viennent de l’extérieur pour tracer des frontières » (12). Elle aurait pu rappeler que les Britanniques ont dessiné la carte de l’Irak, placé partout des bombes à retardement ethniques ou religieuses, et dire qu’ils s’apprêtent à recommencer. En effet, le fédéralisme introduit dans la constitution irakienne n’est pas une revendication irakienne. La loi scélérate  n’a été votée que par d’anciens opposants expatriés en Iran, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, liés aux services secrets de ces pays. Les « boycotteurs », quelle que soit leur opinion, étaient pour la plupart des Irakiens n’ayant jamais quitté l’Irak.

 

Pour les néo conservateurs qui quittent le bateau républicain, la partition de l’Irak est devenue une porte de sortie honorable. Mais rien n’est joué d’avance. La résistance nationaliste fait de l’abandon du fédéralisme une de ses principales conditions pour négocier le départ des troupes d’occupation, et les chiites irakiens sont nombreux à refuser l’occupation de leur pays par les Iraniens et leurs collaborateurs (13). Le mauvais génie du fédéralisme est sorti de sa bouteille… ni les Américains ni les Israéliens n’ont la formule magique permettant de l’y faire rentrer pour le jour où il se retournera contre eux.

 

Notes :

(1) Une carte du Proche-Orient remodelé a été publiée par le Lieutenant-colonel Ralph Peters (cf AFI-Flash n°65). Lire aussi à ce sujet l’excellente analyse de Pierre Hillard : « Le Pentagone redessine la carte du Moyen-Orient », parue dans Balkans Infos (septembre 2006)

http://www.observatoiredeleurope.com/Le-Pentagone-redessine-le-monde_a521.html

En juillet 2003, l’Union Populaire Kurde (UPK) de Jalal Talabani – aujourd’hui « Président de la République » - a reproduit l’article de Peters sur le démantèlement de l’Irak.

http://www.puk.org/web/htm/news/nws/news030710.html

 (2) Le danger expansionniste kurde, par Gilles Munier

http://gmunier.blogspot.com/2006/04/le-danger-expansionniste-kurde.html

 (3) Hürriyet ( 6/11/06)

(4) In Court, Saddam Criticizes Kurdish Treatment of Assyrians (20/11/06)

http://www.aina.org/news/20061120133220.htm

(5) Georgian Assyrian Leader Meets Bush, Calls for Autonomous State in Iraq

http://www.zindamagazine.com/html/archives/2005/5.18.05/index_wed.php

(6) Guerre de l’eau au pays des deux fleuves, par Gilles Munier

http://gmunier.blogspot.com/2006/05/guerre-de-leau-au-pays-des-deux.html

La poudrière de Kirkouk, par Gilles Munier

http://gmunier.blogspot.com/2006/01/la-poudrire-de-kirkouk.html

(7) Time to expand our military, par Rahim Zebari

http://www.kurdmedia.com/articles.asp?id=13608  

(8) Kirkouk n’a jamais été kurde ! Depuis des siècles, tous les récits de voyageurs orientaux ou occidentaux en témoignent.

(9) The three-state solution, par Leslie Gelb, New York Times (25/11/03)

http://www.casi.org.uk/discuss/2003/msg04919.htl

(10)  Après l’assassinat du calife Othman, la Bataille dite du Chameau opposa près de Bassora les Qoreïchites de La Mecque, - soutenus par Aïcha, une des épouses du Prophète Muhammad - à Ali, 4ème calife de l’islam. Deux compagnons du Prophète, Talha et Zoubeir, qui contestaient la nomination de Ali, y moururent. Ils sont enterrés près de l’actuel Zubair, ville aujourd’hui sunnite.

(11) Fondation d’un Etat musulman sunnite : La partition entérinée par une fraction de la résistance ou opération d’intoxication néo conservatrice ? (AFI-Flash n°65)

(12) BBC, le 23/10/06

(13) Pendant la guerre Iran-Irak, le SCRI avec sa Brigade Badr, était notamment chargé des interrogatoires musclés des prisonniers et de la garde des camps. Les chiites irakiens qui ne voulaient pas trahir leur pays y ont subi les pires tortures.

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