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France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l'Atlantique

France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l'Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak et du Golfe à l'Atlantique. Traduction d'articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne.


La politique de la France au Proche-Orient, par Philippe de Saint Robert

La politique de la France au Proche-Orient, par Philippe de Saint Robert

Témoignage de l’écrivain Philippe de Saint Robert* au colloque de l’Université Paris-Sorbonne Abu Dhabi : « Charles de Gaulle et le monde arabe » (16-18 novembre 2008)

Après avoir, en 1967, publié un ouvrage sur la politique étrangère du général de Gaulle – Le Jeu de la France (1) – où il était, à vrai dire, peu question du Proche-Orient, j’entrepris à partir de la guerre des Six Jours – et même dans les jours qui la précédèrent –, une enquête dans les pays du Proche-Orient afin d’éclairer les prolongements de cette politique à la suite des positions prises alors par la France, telles qu’elles furent définies par la conférence de presse du général de Gaulle le 27 novembre 1967.

« Un règlement doit avoir pour base

l’évacuation des territoires qui ont été pris par la force… » 

Rappelons en les grandes lignes : après avoir constaté que les « données psychologiques » des rapports franco-israéliens « avaient quelque peu changé depuis 1956 », le général de Gaulle établissait un diagnostic rigoureux : « A la faveur de l’expédition franco-britannique de Suez, on avait vu apparaître, en effet, un Etat d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir. Ensuite, l’action qu’il menait pour doubler sa population par l’immigration de nouveaux éléments, donnait à penser que le territoire qu’il avait acquis ne lui suffirait pas longtemps et qu’il serait porté, pour l’agrandir, à utiliser toute occasion qui se présenterait. C’est pourquoi, d’ailleurs, la Ve République s’était dégagée, vis-à-vis d’Israël, des liens spéciaux et très étroits que le régime précédent avait noués avec cet Etat, et s’était appliquée, au contraire, à favoriser la détente dans le Moyen-Orient. (…) D’autre part, une fois mis un terme à l’affaire algérienne, nous avions repris avec les peuples arabes d’Orient la même politique d’amitié, de coopération, qui avait été pendant des siècles celle de la France dans cette partie du monde et dont la raison et le sentiment font qu’elle doit être, aujourd’hui, une des bases fondamentales de notre action extérieure. Bien entendu, nous ne laissions pas ignorer aux Arabes que, pour nous, l’Etat d’Israël était un fait accompli et que nous n’admettrions pas qu’il fût détruit. » Après avoir détaillé la mise en garde qu’il avait adressée à Aba Eban le 24 mai précédent, le Général définit clairement les solutions qui devraient s’imposer, « à moins que les Nations Unies ne déchirent elles-mêmes leur propre charte », selon lesquelles « un règlement doit avoir pour base l’évacuation des territoires qui ont été pris par la force, la fin de toute belligérance et la reconnaissance réciproque de chacun des Etats par tous les autres », ajoutant que « suivant la France, Jérusalem devrait recevoir un statut international » (le corpus separatus prévu par le plan de partage de 1947).

La France était classée de longue date par les meilleurs alliés de l’Etat d’Israël, au point que les gouvernements de la IVe République avaient contribué à aider cet Etat à se doter des moyens d’accéder au nucléaire militaire. Il est vrai que le général de Gaulle, revenu aux affaires en 1958, avait mis fin à cette coopération qu’il jugeait excessive et dangereuse à terme pour l’équilibre du Proche-Orient.

Jusqu’en 1962, la France est absorbée par la solution du problème algérien. Les relations diplomatiques sont rompues avec la plupart des pays arabes – sauf le Liban – depuis l’expédition de Suez, menée par la IVe République de conserve avec les Britanniques. Le gouvernement français de l’époque avait, bien à tort, pensé que la clef du problème algérien se trouvait au Caire, où étaient réfugiés les chefs du FLN. Dès que l’Algérie eut accédé à la souveraineté internationale, et bien que les accords d’Evian n’aient été respectés, le général de Gaulle se préoccupa de rétablir peu à peu les relations traditionnelles que la France avait toujours entretenues avec les pays arabes. Cela n’apparaissait pas comme devant avoir des effets particuliers sur les relations entre Paris et Tel Aviv. Dès l’indépendance recouvrée par le Maroc, de nombreux Juifs marocains avaient émigré en Israël, y installant une population francophone. Lors de l’indépendance de l’Algérie, les Juifs de cette région, bénéficiant depuis le célèbre décret Crémieux de la pleine nationalité française, préférèrent pour la plupart s’installer en France même, instruits sans doute d’une certaine discrimination envers les Sépharades observée dans l’Etat hébreu. Leur apport en France métropolitaine modifia peu à peu l’équilibre de la communauté juive en France, aux dépens des ashkénazes de vieille souche. Cela se fera sentir dans l’opinion publique française, notamment après la conférence de presse du 27 novembre. On se souviendra de la déclaration Joël Le Theul, alors Secrétaire d’Etat à l’information, du 8 janvier 1969 : « Il est remarquable et il a été remarqué que les influences israéliennes se font sentir dans les milieux proches de l’information. » Le premier ambassadeur d’Israël à Paris, Jacob Tsur, raconte en effet dans ses mémoires les difficultés qu’il rencontre pour convaincre les Juifs de France d’une solidarité avec l’Etat qu’il représente, qu’il souhaiterait à la limite de la « double appartenance ».

L’erreur que ce fut d’avoir tout fait

pour casser les revendications nationalistes de pays arabes

L’incompréhension que rencontra le général de Gaulle, à partir de 1967, dans l’opinion française, lorsque celle-ci eut le sentiment qu’il modifiait ce qui passait pour la politique immuable de la France, fut pour beaucoup dans les démarches que j’entrepris alors afin de mieux connaître un problème en fait posé depuis 1948. Est-il nécessaire de revenir ici sur les conditions du partage de la Palestine décrété par les Nations Unies en 1947, sans la moindre consultation des populations concernées et alors que la puissance mandataire allait se retirer du jour au lendemain, laissant en déshérence une souveraineté auparavant assumée par l’Empire ottoman démembré à la suite de la Première guerre mondiale ? La guerre israélo-arabe qui s’ensuivit aboutit à la suppression avant naissance de la Palestine arabe prévue par le plan de partage, engendrant des flots de réfugiés dans des camps où ne pouvaient naître que les frustrations habituelles avec leur cortège de misère et d’esprit de revanche, voire de vengeance.

Ce statu quo apparent, qui n’était pas pire que l’actuel, aurait pu se prolonger si un casus belli ne s’était produit. Le monde arabe cherchait depuis longtemps à se trouver une identité reconnue et un rôle dans un monde qui, par ailleurs, était tyrannisé par le système des blocs. Il allait l’utiliser à cette fin. Les maladresses américaines, lors de l’affaire du barrage d’Assouan et de l’expédition de Suez qui s’ensuivit, précipitèrent l’Egypte et d’autres pays arabes à sa suite dans la dépendance de l’Union soviétique. C’est elle qui subventionna la construction du barrage et fournit dès lors l’Egypte et la Syrie notamment en armes et en « conseillers militaires ». A Bagdad, la révolution de juillet 1958 devait également faire basculer l’Irak hors de l’orbite britannique, en mettant fin au projet de pacte de Bagdad. Ne restaient sous influence occidentale que la Jordanie et le Liban (l’Arabie séoudite n’est pas alors dans le jeu), travaillés de l’intérieur par le poids des réfugiés palestiniens plus ou moins bien secourus par les Nations Unies par l’intermédiaire de l’UNRWA.

Aujourd’hui que l’Occident est confronté aux violences d’un islamisme radical qui instrumentalise la religion à ses propres dépens, on peut mesurer l’erreur que ce fut d’avoir tout fait pour casser les revendications nationalistes de pays arabes cherchant à tout prix à retrouver une forme politique d’existence après un siècle et parfois plus de colonisation ou d’assujettissement européens. Il est aujourd’hui clair qu’il eut été beaucoup plus facile de s’entendre avec le nationalisme arabe, en lui faisant sa juste part, qu’il ne l’est désormais de résoudre le problème que pose un terrorisme insaisissable et apparemment invincible – dans la mesure où l’on n’a jamais su faire de guerre que d’Etat à Etat.

Le général de Gaulle connaît

de longue date l’existence de la Palestine

et les intérêts de la France dans la région

On connaît les circonstances qui vont conduire la France, en mai et juin 1967, à rectifier une position qui semblait de longue date acquise au soutien de l’Etat hébreu. Visionnaire et peu porté aux émotions dictées par les circonstances, le général de Gaulle a très vite compris les enjeux d’un nouveau conflit. L’entrevue qu’il eut avec le ministre israélien des Affaires étrangères, Aba Eban, quelques jours avant son déclenchement est bien connue. Cette entrevue avait-elle été mal préparée par l’ambassadeur d’Israël alors en poste à Paris, Walter Eytan, qui aurait fait croire à son ministre que le Général ne lui ferait que quelques observations de convenance, c’est bien possible. Le blocus, par les Egyptiens, du détroit de Tiran, qui commande le Golfe d’Akaba, prétexte du conflit, fut-il sciemment monté en épingle par le gouvernement israélien ? Lors du séjour que je fis en Israël du 27 mai au 8 juin 1967, je ressentis en tout cas, auprès de nombre d’interlocuteurs non officiels, un comportement double : d’une part on me disait que Nasser se comportait comme un nouveau pharaon prêt à emmener le peuple juif en esclavage, d’autre part il paraissait que la même population n’avait aucun doute sur la capacité de son armée à l’emporter « comme la dernière fois » (c'est-à-dire en 1948).

Un test eut été pourtant simple à réaliser si l’on avait voulu sauvegarder la paix : tenter de force le blocus du détroit de Tiran afin de mettre les Egyptiens devant leurs responsabilités et d’obliger Nasser à endosser le casus belli. Le général Rabin, par la suite deux fois premier ministre, et qui fut assassiné dans les conditions que l’on sait, devait témoigner publiquement (2) de ce que les responsables militaires israéliens savaient que Nasser n’attaquerait pas. Il est dès lors permis de s’interroger sur les arrière-pensées du gouvernement israélien d’alors, dont l’esprit de conquête ou, disons, d’élargissement des frontières, n’était certainement pas absent.

Le général de Gaulle connaît de longue date l’existence de la Palestine et les intérêts de la France dans la région : dès le 18 mars 1944, il prônait devant l’Assemblée consultative de la France libre à Alger « un regroupement occidental (…) en relation étroite avec (…) les Etats arabes du Proche-Orient – et dont la Manche, le Rhin, la Méditerranée, seraient comme les artères – (afin de) constituer un centre capital dans une organisation mondiale des productions, des échanges et de la sécurité. » A Paris, le 2 juin 1945, alors qu’un conflit oppose la France et la Grande-Bretagne au sujet de la Syrie, le Général déclare, avec un brin d’humour : « Dans cet Orient, la France, en raison de ses influences intellectuelles, spirituelles, morales, en raison aussi de ses affinités particulières avec le monde arabe, la France a joué, depuis des siècles, un rôle éminent. L’Angleterre, de son côté, en général pour d’autres raisons, plus spécialement commerciales et navales, a eu également, dans ces pays d’Orient, un rôle considérable qu’elle a toujours voulu jouer… » Dans cette même conférence de presse, le général de Gaulle déclare incidemment mais comme allant de soi : « Il y a une entité qui s’appelle la Palestine ».

Quelles sont ces affinités particulières, soulignées alors, entre la France et le monde arabe ? On se souviendra qu’au début du XVIe siècle, par l’alliance de François Ier avec Soliman le Magnifique, la France parvint à briser la « politique de blocs » de l’époque, puisqu’il s’agissait de l’entreprise de domination des Habsbourg. Relisons Michelet : « Sauf Venise et quelques Français, personne en Europe ne comprit rien à la question d’Orient. (…) Enfin, Venise défaillant, elle légua à la France son rôle de médiateur entre les deux religions, d’initiateur des deux mondes, disons le mot, de sauveur de l’Europe. Acceptons hautement, au nom de la Renaissance, le nom injurieux que Charles Quint et Philippe II nous lancèrent tant de fois. La France, après Venise, fut le grand renégat, qui, le Turc aidant, défendit la chrétienté contre elle-même, la garda de l’Espagne et du roi de l’Inquisition. Saluons les hommes hardis, les esprits courageux et libres qui, d’une part, de Paris, de Venise, d’autre part de Constantinople, se tendirent la main par-dessus l’Europe et, maudits d’elle, la sauvèrent. La terre eut beau frémir, le ciel eut beau tonner… Ils n’en firent pas moins, d’une audace impie, l’œuvre sainte qui, par la réconciliation de l’Europe et de l’Asie, créa le nouvel équilibre, l’ordre agrandi des Temps modernes, à l’harmonie chrétienne substituant l’harmonie humaine» (3).  C’est de cette alliance que la France tint des privilèges au Levant, qu’on appelle les Capitulations (1535) et qui établissaient pour la France une sorte de protectorat sur les Lieux saints du christianisme. L’historien Edouard Driault (4) a établi la continuité de la politique de la France : « Dès que la Convention eut délivré la France de l’invasion étrangère et qu’elle eut le loisir de regarder au-delà des frontières, elle reprit en Orient les traditions de la politique royale. Le Comité de Salut public fut en effet le continuateur direct des diplomates de l’Ancien régime : il pouvait se rendre compte que la guerre turque, terminée seulement en 1792, avait détourné de la France une bonne part des efforts de l’Autriche et de la Russie. (…) Cependant, la Convention et le Directoire reprirent en Turquie les tentatives de réformes qui avaient été faites jadis par le marquis de Villeneuve et le baron de Tott, et qui avaient relevé la puissance musulmane en face de la Russie et de l’Autriche ». C’est seulement lorsqu’il apparut sous le règne de Louis-Philippe que la Porte était tombée dans la dépendance de Saint-Pétersbourg, que la France prit le parti de favoriser la formation d’un empire arabe capable de prendre la relève de l’Empire ottoman : le soutien des Tuileries à Méhémet Ali fut indéfectible. Les Capitulations de 1535 avaient été renouvelées en 1740, confirmées en 1796 ; elles le seront à nouveau en 1852 entre Louis-Napoléon et le sultan Abd-ul-Medjid. Tel est, pourrait-on dire, notre « roman national » avec cette région du monde. Le général de Gaulle, bien évidemment, en était pénétré.

La redéfinition de notre politique était par conséquent prévisible car elle va s’inscrire dans le refus de ce qu’il était convenu d’appeler la « politique des blocs » et dans notre  contestation de l’hégémonie américaine sur l’Occident, ainsi que le Général l’exprimera dans son célèbre discours de Phnom Penh. J’ai recueilli à cet égard un témoignage capital : dès 1963, David Ben Gourion confie son pressentiment à son ami l’ingénieur général Bloch, qui me l’a récemment rapporté. Il lui dit que le général de Gaulle, quelle que soit son amitié pour l’Etat hébreu, sera conduit à redéfinir sa politique parce qu’« il est opposé » à la division du monde en deux blocs et qu’il veut promouvoir un monde multipolaire. Cette perspective me paraît fondamentale. En janvier 1969 alors qu’une partie de l’opinion française demeure réservée à l’égard des Arabes à la suite du conflit algérien et de la guerre de Six Jours, le Général voulut bien s’en expliquer familièrement à l’issue d’une réception de journalistes à l’Elysée, au cours de laquelle il confia à Paul Balta : « Le commerce, l’économie, la culture, c’est très important. Il faut parler de ce qui se fait parce que cela prépare l’avenir, et il faut voir loin. Voyez-vous, il y a de l’autre côté de la Méditerranée, des pays en voie de développement. Mais il y a aussi chez eux une civilisation, une culture, un humanisme, un sens des rapports humains que nous avons tendance à perdre dans nos sociétés industrialisées et qu’un jour nous serons probablement très contents de retrouver chez eux. Eux et nous, chacun à notre rythme, avec nos possibilités et notre génie, nous avançons vers la civilisation industrielle. Mais si nous voulons, autour de cette Méditerranée – accoucheuse de grandes civilisations – construire une civilisation industrielle qui ne passe pas par le modèle américain et dans laquelle l’homme sera une fin et non un moyen, alors il faut que nos cultures s’ouvrent très largement l’une à l’autre» (5).  Ces propos reflètent la conscience qu’avait le Général des difficultés de retourner l’opinion publique encore traumatisée par l’émancipation du Maghreb et l’échec des accords d’Evian, qui avait engendré un reflux considérable d’Européens en France métropolitaine, avec son cortège de ressentiments.

Georges Pompidou : la France se doit de défendre

 ses propres intérêtsmoraux et matériels

dans tout le bassin méditerranéen

Le président Pompidou, qui a cet égard fut un fidèle continuateur de la politique du général de Gaulle, éprouva, on s’en souvient, les mêmes difficultés à faire passer son message. On se souviendra de la réponse cinglante de Michel Jobert disant, lors de la guerre du Kippour, qu’il n’était pas anormal que les Egyptiens et les Syriens veuillent rentrer chez eux. Lors du dernier entretien que j’eus avec Georges Pompidou le 9 novembre 1973, comme je lui demandais d’expliquer sa politique au pays, je ne l’entendis pas sans étonnement me répondre : « Oui, j’ai demandé à André Fontaine de venir me voir. Il fera cela très bien.» Je n’en doutais pas mais une explication magistrale n’eut-elle pas été préférable ? Il est vrai que dans sa conférence de presse du 10 juillet 1969, Georges Pompidou pensait avoir mis une fois pour toutes les points sur les i : « La politique de la France au Moyen-Orient n’a pas pour objet, vous vous en doutez d’ailleurs, de vendre des armes, mais de travailler au rétablissement, je dirais plutôt, à l’établissement de la paix. Au surplus, l’existence d’un conflit qui devient chronique et qui, comme toutes les maladies chroniques, aurait des phases de rémission alternant avec des crises, l’existence d’un tel conflit constitue un véritable danger pour la paix et en particulier pour l’équilibre en Méditerranée. D’autre part, la France se doit, vous vous en doutez, de défendre ses propres intérêts moraux et matériels qui sont considérables mais très variés dans tout le bassin méditerranéen et qui tiennent en particulier aux bonnes relations anciennes ou renouvelées que nous entretenons avec les nations arabes. Dans ces conditions, notre politique est, et a été d’abord, de conseiller – autant que faire se peut – la sagesse avant tout, et ensuite d’essayer de promouvoir ou de contribuer à promouvoir un règlement qui permette à l’Etat d’Israël de vivre en paix à l’intérieur de frontières reconnues et garanties, en même temps qu’il assurerait la solution de problèmes humains et politiques que posent l’existence et les droits des populations palestiniennes. (…) J’ajoute que la France n’oublie rien non plus, et qu’elle n’oublie pas en particulier, le martyre qui a été infligé par le régime nazi aux Juifs dans tous les pays occupés et particulièrement aux Juifs français. » Georges Pompidou évoquait par la suite l’embargo total décrété par la France sur toutes les expéditions d’armes à destination des pays du Moyen-Orient dénommés comme étant les pays du « champ de bataille ». Ni l’Irak ni la Libye ne faisaient évidemment partie des pays du champ de bataille. Les relations avec l’Irak avaient repris du temps même du général de Gaulle, à l’occasion d’une visite à Paris du général Aref, mais demeuraient quelque peu perturbées par une succession de coups d’Etat à Bagdad. En revanche c’est Georges Pompidou qui inaugura une relation très étroite avec la Libye de la révolution kadhafiste. En effet, deux bases britanniques et une base américaine avaient été priées de plier bagage et, Tripoli n’était certes pas disposée à s’incorporer dans la politique soviétique, ce qui nous ouvrait un important champ de coopération qui alla jusqu’à la présence de trois mille coopérants français en Libye.

André Fontaine, alors rédacteur en chef du Monde, publia en effet dans ce journal, une série d’articles sous le titre « Une dernière chance pour les Neuf » (6). Ce contournement par voie journalistique montrait, une fois de plus, que la poursuite de notre politique proche-orientale n’allait pas sans dommage dans une opinion très influencée par les groupes de pression que l’on sait. Les agressions que subit à cet égard Georges Pompidou – notamment lors de son passage à Chicago et du fait du détournement des vedettes de Cherbourg (qui étaient sous embargo) –, furent si maladroites qu’elles n’eurent pour effet que de le raidir.

Lorsqu’au lendemain de la guerre des Six Jours, je me rendis pour la première fois, guidé par mon regretté ami Pierre Rossi (qui était parfois plus pro-arabe que les Arabes eux-mêmes), dans les principales capitales de la région (Le Caire, Damas, Beyrouth, Amman), on me tint à peu près partout le même discours, en raison sans doute des opinions qu’on connaissait de moi, et dans cette empreinte, qu’a évoquée Dominique de Villepin, laissée par la France et plus particulièrement par le général de Gaulle dans cette région : « La question, pour nous, est maintenant de savoir si nous allons faire du ‘‘gaullisme’’ ou du ‘‘pétainisme’’. Propos que je ne manquais pas de rapporter au général de Gaulle lorsqu’il me reçut à mon retour, en février 1969 (7).  L’honnêteté est de dire que le Général avait déjà des doutes sur la fermeté égyptienne. Mon verbatim indique que je dis alors au Général : « - Je ne comprends pas que les Israéliens vous en veuillent au point où ils le font. Dans votre conférence de presse de novembre 1967, qui les a mis dans un état si passionnel, en fin de compte, quand on regarde de près, vous leur accordez tout ce pourquoi ils prétendent avoir fait la guerre : d’éventuelles rectifications de frontières, la libre circulation dans le Canal de Suez et dans le Golfe d’Akaba, une reconnaissance au moins de fait de leur existence. » A quoi le Général me répondit, glacial « - Oh, vous savez, ils mettent dans leur poche » – et il fit le geste de mettre dans sa poche. On notera que c’est la même position que prendra Georges Pompidou dans la conférence de presse que nous venons de citer.

Il convient peut-être de donner un bref aperçu des évolutions que connut cette politique au cours des présidences suivantes. Le Général puis Pompidou avaient soupçonné Nasser d’être tenté par des concessions qui aboutiraient à isoler le drame palestinien au point que Pompidou me dit un jour, Sadate ayant succédé à Nasser et souhaitant le recevoir au Caire : « Je ne cautionnerai pas la capitulation égyptienne. » On me pardonnera une incidente. Il arrive en effet que nos amis arabes nous demandent plus qu’ils ne se demandent à eux-mêmes. En juillet 1976, André Malraux me dira : « Il n’y a pas plus d’unité arabe qu’il n’y a d’unité européenne. La Ligue arabe n’a jamais fait preuve de son existence. Lorsque j’ai été au Caire, Nasser m’a dit : ‘‘Il n’y a pas un seul dirigeant arabe qui, s’il avait le choix entre me tuer et écraser Israël ne choisisse de me tuer’’. Alors je trouve que les Israéliens ne se débrouillent pas si mal – pour l’instant. La suite est une autre affaire. »

Giscard d’Estaing : la déclaration de Venise

Valéry Giscard d’Estaing reçut Sadate se rendant à Camp David, mais ne le reçut pas au retour. La France n’approuvait pas alors les manœuvres israéliennes visant à établir des paix séparées avec chacun de ses voisins arabes, pressentant que cela aboutirait à isoler le problème palestinien afin de le réduire, ce qui ne manqua pas d’arriver. Nous savons, grâce à la remarquable communication du professeur Maurice Vaïsse que, dès le 22 octobre 1968, le général de Gaulle, recevant le roi Hussein de Jordanie, lui déconseille « une attitude dispersée des Arabes » et le met en garde contre toute paix séparée avec l’Etat hébreu. Par la suite, en 1980, la diplomatie française parvint à faire adopter par ses huit partenaires de la Communauté européenne une déclaration, dite « déclaration de Venise », qui pour la première fois parvenait à poser les principes d’une politique européenne au Proche-Orient découplée de la politique américaine, dont il était d’ores et déjà évident qu’elle n’aboutirait à rien. Malheureusement, le premier acte diplomatique d’importance accompli par François Mitterrand après son élection en mai 1981 fut d’informer, à Bruxelles, nos partenaires que la France ne cautionnait plus cette déclaration qui, pourtant, avait marqué un tournant essentiel dans ce qui aurait pu être une véritable politique de l’Europe dans cette région. Le président Mitterrand se rendit peu après en Israël et s’imagina avoir compensé ce recul diplomatique en proclamant à la Knesset (comme le fera plus tard le président Sarkozy) la reconnaissance par la France de l’absolue nécessité de faire exister un « Etat palestinien ». C’est peu de dire que cette pétition de principes n’eut jusqu’à présent aucun effet, d’autant qu’on ne se hasardait pas à définir ce que pourrait être cet Etat géographiquement enclavé et morcelé, quelles seraient ses frontières, si celles-ci auraient une continuité territoriale, et de quels moyens vivrait-il ?

La diplomatie française n’a plus le moyen

de jouer un rôle qui lui appartienne

Le président Chirac, quant à lui, tenta de revenir à la ligne définie par le général de Gaulle et par Georges Pompidou, mais il le fit, comme tout ce qu’il fit, de façon parfois erratique. Il renforça les liens de la France avec l’Irak et, tant qu’il fut Premier ministre de Valery Giscard d’Estaing, également nos liens avec la Libye. Il est permis de citer à cet égard le communiqué commun issu de sa rencontre avec le commandant Abdessalam Ahmed Jalloud en date du 22 mars 1976 : « Les deux parties estiment que le dialogue euro-arabe ne peut être isolé des questions politiques qui les concernent et doit être fondé sur le principe du respect mutuel et de la coopération. Le succès de ce dialogue renforcera le rôle des peuples arabe et européens dans le monde et augmentera leur capacité de prendre des décisions sur les principales questions concernant leurs intérêts mutuels. Les deux parties considèrent que l’accord de la partie européenne à la représentation de l’OLP dans les instances du dialogue telle qu’elle est actuellement assurée est une décision positive. En ce qui concerne le conflit du Proche-Orient, les deux parties ont procédé à un examen de la situation actuelle et la France a réaffirmé ses positions traditionnelles et connues concernant notamment la nécessité de prendre pleinement en considération les droits légitimes du peuple palestinien. »

On retiendra surtout à cet égard l’action énergique qu’il mena avec Dominique de Villepin pour empêcher que l’agression américaine en Irak, en 2003, fût cautionnée par le Conseil de sécurité. La diplomatie française ne sembla pourtant pas vouloir tirer toutes les conséquences d’une position qui l’avait mise exceptionnellement en flèche. Aussi peut-on  s’interroger sur cette période de « retournement » – pour reprendre l’expression et la démonstration de Richard Labévière (8), qui vit la diplomatie française aller au-delà même de ce à quoi s’attendaient les Américains en faisant voter par le Conseil de sécurité la résolution 1559, exagérément hostile à la Syrie, et impliquant un désarmement du Hezbolla, entre temps devenu force politique reconnue, sans pouvoir préciser à quelles forces pourrait bien être confié ce désarmement : à l’armée libanaise, peut-être ? C’est une plaisanterie. En vérité, depuis l’invention de ce qu’il est convenu d’appeler le « Quartet », la diplomatie française n’a plus le moyen de jouer un rôle qui lui appartienne, d’autant que l’Union européenne ne parvient pas elle-même à y jouer le sien, et tant il est vrai, malheureusement, que lorsqu’elle parle d’une seule voix, c’est pour ne rien dire, sinon des platitudes préfabriquées, et surtout que cette formule du « Quartet » est exclusivement manipulée par les Etats-Unis et leurs illusions en matière de « Grand Moyen-Orient ».

* Ecrivain, ancien Commissaire général à la langue française (1984-1987).

Notes :

(1) Julliard éd..

(2) Cf. Le Monde, 29 février 1969.

(3) Histoire de France, « Le XVIe siècle », II, 15.

(4) La question d’Orient, Paris, 1914.

(5) Paul Balta, Claudine Rulleau, La politique arabe de la France, Sindbad, Paris, 1973.

(6) Le Monde, 17 au 20 novembre 1973.

(7) Cf. Les Septennats interrompus, Laffont. 1977.

(8) Cf. Le grand retournement, Bagdad-Beyrouth, Seuil, 2006.

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