CONDAMNATION A MORT
DU PRÉSIDENT SADDAM HUSSEIN :
la guerre civile peut commencer
par Gilles Munier
Le verdict du premier procès du Président Saddam Hussein et de sept autres dirigeants irakiens – l’affaire dite d’Al-Doujaïl - a été repoussé du 16 octobre au 5 novembre prochain « pour achever des vérifications ». En fait, le report a été demandé par les conseillers en communication de George W. Bush. Ils espèrent que l’annonce de la condamnation à mort du Président irakien, de son demi-frère Barzan Al-Tikriti, chef des services de renseignements avant 1984, et du Vice-président Taha Yassin Ramadan, fera gagner des points aux Républicains aux élections de mi-mandat qui auront lieu… deux jours plus tard. A moins d’un nouveau coup de théâtre, les peines seront exécutables dans les 30 jours, par pendaison.
Le 3 octobre 2006, à Managua, Donald Rumsfeld s’est dit opposé au prolongement des poursuites judiciaires contre Saddam Hussein. Il veut qu’on en finisse au plus vite. Les autres charges retenues contre le Président irakien seront quand même jugées avec des condamnations à mort… à titre posthume. Cette formule aurait l’avantage de gommer les responsabilités des dirigeants occidentaux, en particulier celle – écrasante - de Rumsfeld dans les livraisons d’armes à l’Irak pendant le conflit avec l’Iran. L’origine des gaz de combat utilisés par les belligérants à Halabja ne sera pas évoquée outre mesure, pas plus que le montant des commissions versées à des partis politiques aux Etats-Unis, en France ou ailleurs…
Tribunal, champ de bataille
Quelle que soit l’opinion que l’on ait du Président Saddam Hussein, il faut bien reconnaître que l’agression contre l’Irak était illégale. L’arrestation des dirigeants du pays l’est donc aussi. Le verdict qui sera rendu le 5 novembre par le « tribunal de la Zone verte », n’aura pas de valeur juridique.
Au départ, le procès de l’affaire d’Al-Doujaïl devait être exemplaire, ouvert au public et diffusé intégralement. Il n’a été ni équitable, ni impartial, ni transparent. Tout avait pourtant été préparé dans les moindres détails, avec simulations d’audiences. Les juges, choisis par Salem Chalabi, avocat d’affaires et neveu d’Ahmed Chalabi, chef du Conseil national irakien (1), avaient été formés secrètement en Grande-Bretagne. C’était compter sans les pressions extérieures, le chaos qui se généralise en Irak et la pugnacité du Président irakien et de Barzan Al-Tikriti qui ont transformé le prétoire en champ de bataille.
Le show bien huilé, mis en scène par une agence de communication liée au Pentagone, a rapidement viré à la parodie de justice. Pour commencer, Salem Chalabi a été accusé du meurtre du directeur général du ministère irakien des Finances. Il s’est enfui à l’étranger. Les juges se sont révélés d’un parti pris caricatural. Les avocats de la défense n’ont pas eu accès à la totalité du dossier - plus de 36 tonnes de documents à charge collationnés sous la direction d’agents du FBI… ne parlant pas l’arabe – ni pu vérifier l’authenticité des pièces qui leur étaient remises.
Le domicile de Khalil Al-Douleimi, principal avocat de Saddam Hussein, a été perquisitionné par les Forces spéciales américaines qui ont confisqué ses dossiers. Les avocats de la défense ont été menacés d’être « découpés en morceaux » par Malek Dohane Al-Hassan… « ministre » de la Justice. Plusieurs d’entre eux ont été assassinés. Lors des audiences, des témoins à charge anonymes étaient cachés derrière un rideau. Des juges ont démissionnés ou été démis de leur fonction. La pluralité n’a pas été respectée dans le choix des journalistes autorisés à suivre le procès. Enfin, les déclarations des accusés, notamment de Saddam Hussein, ont été systématiquement amputées avant d’être diffusées. Pour Amnesty International que l’on ne peut soupçonner de parti pris en faveur du Président irakien : « Le procès d’Al Dujail… a été entaché d’irrégularités graves qui remettent en question la capacité du Tribunal, en l’état, à rendre justice de manière équitable en conformité avec les règles internationales »(2). Pouvait-il en être autrement ? L’attentat raté contre Saddam Hussein, commis à Doujaïl en 1982, avait été organisé en Iran par le parti Al-Dawa aujourd’hui au pouvoir à Bagdad. Ses chefs, qui n’ont que faire du droit occidental, se servent du procès pour venger leurs morts et mobiliser leur base militante.
Des rivières de sang
Le 14 mars 2006, le Président Saddam Hussein a invité les Irakiens « à s’engager dans la résistance plutôt qu’à s’entretuer ». Si l’Irak bascule dans la guerre civile, ils vivraient, leur disait-il « dans l’obscurité et dans des rivières de sang ». Le juge Raouf Abdel Rahman a fait évacué la salle d’audience, l’enjoignant à ne pas faire de « politique » puis a ajourné le procès.
En effet, et bien que cela y ressemble beaucoup, il n’y a pas encore de véritable guerre civile en Irak, mais une guerre de libération et des conflits ethniques ou religieux. La résistance frappe les forces d’occupation et ceux qui la soutiennent. L’armée US tire à l’aveuglette. Les indépendantistes kurdes accaparent des régions au détriment des Arabes et des Turcomans. Les escadrons de la mort pro-iraniens font du nettoyage religieux. Les partisans d’Al-Qaïda tuent des chiites. Les services secrets américains et Ahmed Chalabi mettent de l’huile sur le feu à coup d’attentats sauvages et de provocations comme la destruction à Samarra du sanctuaire de l’Imam caché. L’Armée du Mehdi de Moqtada Sadr tente de prendre le dessus sur la Brigade Badr manipulée par l’Iran. Les parents et amis des victimes d’un camp se vengent sur celui d’en face ou indistinctement. Chantages, meurtres par milliers, viols, vols, enlèvements, vendetta, tortures en tous genres, expulsions, sont le lot quotidien des Irakiens. Le nombre des morts violentes depuis l’invasion du pays dépasse depuis longtemps celui imputé aux baasistes par leurs détracteurs. Et ce n’est malheureusement pas fini.
Les Irakiens sont nombreux à regretter la sécurité des années Saddam Hussein. La terrible période d’embargo leur semble à un havre de paix comparée à ce qu’ils endurent depuis. Qu’à Tikrit, 3000 manifestant réclament la libération de leur Président, cela semble normal : c’est sa ville de naissance (3). Mais que plus de 300 chefs et représentants de tribus, dont le Cheikh Turki Hajim al-Ubaydi des Al-Ubayd (1,5 millions de membres), exigent son retour au pouvoir (4) et que d’autres, à Kirkouk, déclarent ouvertement que c’est la seule façon de réconcilier les Irakiens entre eux (5) : voilà qui ne doit pas être pris à la légère.
Si, comme il faut s’y attendre, la peine capitale est prononcée le 5 novembre 2006, rien ne devrait arrêter la main du bourreau. Saddam Hussein ne se fait pas d’illusion sur ce qui l’attend. Il a demandé à mourir en Commandant en chef de l’Armée irakienne : c'est-à-dire fusillé, plutôt que pendu comme le souhaitaient en mars dernier 57% des Américains (6). De nombreux Irakiens pensent que la mort dans ces conditions de celui qui symbolise légitimement la nation irakienne ouvre devant eux les portes de l’enfer. La guerre civile en Irak serait alors une des plus sanglantes de tous les temps.
(24/10/06)
Notes :
(1) Et par ailleurs escroc international recherché par Interpol pour la faillite frauduleuse d’une banque jordanienne.
(2) Les irrégularités du premier procès devant le Tribunal pénal suprême irakien ne doivent pas se reproduire
(3) Sunni mosques attacked in Baghdad
http://www.theage.com.au/news/World/Sunni-mosques-attacked-in-Baghdad/2006/09/23/1158431935255.html
(4) Washington Post -3/9/06
(5) Al Hayat – 18/9/06
(6) Les Américains souhaitent l'exécution de Saddam, mais pas leurs alliés, selon un sondage