Par Gilles Munier/
Massoud Barzani, 71 ans, s’est retiré de la présidence du Kurdistan irakien qu’il occupait depuis 2005 – et indûment depuis août 2015 -, mais dirige toujours la région en sous-main. Pour éviter de nouvelles crises ou des conflits sanglants en Irak, le statut de la région autonome - accordé le 11 mars 1970 – devrait être rediscuté, n’en déplaise au clan mafieux qui l’utilise pour profiter éhontément les richesses du pays.
Avant la tenue du référendum sur l’indépendance du Kurdistan du 25 septembre dernier, il avait annoncé qu’il ne se représenterait pas. Certes, Barzani espérait que le succès prévisible du « Oui » permettrait à son parti – le PDK (Parti Démocratique du Kurdistan) – de remporter confortablement les législatives qui devaient se tenir le 1er novembre, et que la nouvelle majorité élirait à la présidence son fils aîné Masrour, chef du Conseil de sécurité kurde, favorable à la partition de l’Irak en trois Etats.
L'autonomie interne oui, l'indépendance non !
Les conseillers français de Massoud Barzani, très influents dans l’entourage de son fils – l’ineffable Bernard-Henry Lévy (BHL), l’ancien ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner et son fidèle Frédéric Tissot, ancien consul à Erbil qui se voyait déjà premier ambassadeur de France au Kurdistan – lui ont fait sous- estimer la réaction de Bagdad, des pays voisins et des pétroliers américains au maintien du référendum. Ils lui auraient assuré que « c’était dans la poche », qu’il n’aurait plus ensuite qu’à proclamer l’indépendance du Kurdistan, que la reconnaissance du nouvel Etat ne serait qu’une formalité.
Jean-Pierre Chevènement – ancien ministre français de la Défense – en homme politique responsable prévenait sur son blog que « L'indépendance du Kurdistan irakien ouvrirait …(…)… la voie à une déstabilisation générale du Moyen-Orient …(…)…
L'autonomie interne oui, l'indépendance non !
Aucun prétendu « droit à un Etat » ne peut justifier un nouveau cycle de guerres au Moyen-Orient ».
Et d’ajouter : « Monsieur Kouchner raisonne en nationaliste kurde. Il a depuis la première guerre du Golfe, le mérite de la continuité. De combien de millions de morts encore faudra-t-il payer le mythe d'un Kurdistan indépendant ? ».
Gouvernement parallèle
L’heure n’était donc pas venue, comme le pensait Barzani, de laisser les Kurdes avoir un Etat sur une partie des territoires où ils sont majoritaires. La reconquête éclair de Kirkouk et des territoires disputés par l’armée gouvernementale et les Hachd al-Chaabi a renvoyé à plus tard le rêve des nationalistes kurdes et de leurs soutiens. Du coup, le scrutin régional a été reporté de huit mois.
Bien que démissionnaire, Massoud Barzani n’est pas du genre à lâcher prise. Prévoyant, il avait constitué un Haut Conseil Politique (HCP), une sorte de gouvernement parallèle, composé de peshmerga adeptes de la confrérie soufie Naqshbandiyya, de nationalistes kurde à sa solde ayant organisé le référendum et de membres du PDK dont il demeure président. Le HCP n’a de comptes à rendre à personne d’autre qu’à lui- même !
Alors qu’il avait annoncé remettre le pouvoir au gouvernement, au Parlement et à la Cour suprême, Barzani a finalement imposé son neveu Nechirvan – proche des Etats-Unis et quasi inamovible Premier ministre du gouvernement de la Région autonome – comme interlocuteur du gouvernement central, au grand dam des députés du Goran (Mouvement pour le changement), ses principaux opposants au sein du Conseil régional.
Rendre des comptes
Avec le clan Barzani, on est loin des parangons de la démocratie dépeints par BHL… Quant à la Naqshbandiyya, à la différence de ses branches dans le monde, elle n’a rien à voir au Kurdistan avec « l’Islam des Lumières ». Elle est depuis longtemps décrite comme une mafia par les spécialistes du soufisme.
Le Kurdistan irakien était un Etat de facto depuis la Première guerre du Golfe. Le clan Barzani a profité de l’embargo international décrété contre l’Irak, brassé des milliards et des milliards de pétrodollars. En octobre dernier, par exemple, la société pétrolière russe Rosneft a versé une avance 1,3 milliard de dollars aux autorités régionales kurdes pour l’achat de pétrole brut. Cette fois, le gouvernement irakien a réagi en qualifiant le contrat d'« ingérence flagrante dans les affaires intérieures irakiennes »… Les Kurdes irakiens se demandent où va tout cet argent. Des milliers d’entre eux, miséreux et sans espoir, ont choisi le chemin de l’exil. Il serait bon qu’une enquête indépendante mette sous séquestre les comptes bancaires ouverts à l’étranger par les hauts responsables barzanistes, et s’intéresse à l’argent sale empoché par certains soutiens occidentaux.
En attendant, il irait de soi que le HCP (Haut Comité Politique) soit neutralisé. Les autorités provisoires kurdes devraient s’en charger. Sinon, les négociations entre Bagdad et Erbil déraperont et le sang coulera à nouveau entre Arabes, minorités locales et Kurdes.