Par Maurice Buttin (revue de presse : Courrier du C.V.P.R PO – Juillet /Septembre 2017)*
Le discours que vous avez prononcé lors de la cérémonie commémorative de la « rafle du Vel d’Hiv » a été suivi de critiques par tous les amis de la cause palestinienne. La raison essentielle, comme vous le savez, votre assimilation plus que contestable entre « l’antisémitisme » et « l’antisionisme ». Permettez-moi de vous rappeler vos propos : « En France, cette corruption des esprits - le racisme et l’antisémitisme - est bien présente sous des apparences nouvelles (…). Nous ne céderons rien aux messages de haine, nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme ». (Souligné par moi)
Je ne sais quel conseiller inspiré vous a préparé cette partie de ce discours, sans doute dans le but de faire plaisir au Premier ministre israélien (voir de l’amadouer ?) - invité au demeurant d’une manière étonnante à cette commémoration.
Mais, quelle erreur, Monsieur le Président ! Etre antisioniste, c’est s’opposer à l’idéologie sioniste. Ce n’est pas du racisme. Le sionisme a d’ailleurs été, et demeure, contesté par de nombreux juifs dans le monde. Les considérez-vous comme des antisémites ? Et pour moi, si je vous l’accorde, l’antisémitisme doit être combattu avec le maximum de rigueur, il doit, en revanche, en être de même du sionisme – n’en déplaise à Benyamin Netanyahou et à ses amis du CRIF.
Cette erreur est d’autant plus à mettre en évidence qu’elle est, en fait, en totale contradiction (Votre désormais célèbre « en même temps » - symétrie de vos décisions - peut-être ?) avec votre propre déclaration, lors de votre rencontre à l’Elysée avec Netanyahou, quelques heures après : un appel « à la reprise de négociations de paix pour une solution à deux Etats (…) Israël et Palestine doivent pouvoir vivre côte à côte dans des frontières sûres et reconnues, avec Jérusalem comme capitale » ». Vous semblez donc croire que, ce que l’on a coutume d’appeler le « conflit israélo-palestinien » - qui est en réalité l’occupation de la Palestine (ou de son reste, 22 %) par un pays étranger, Israël, se résoudra par une négociation ? Après l’échec des nombreuses tentatives étasuniennes depuis des lustres - le président Obama, lui-même, n’a pas réussi lui-même à faire bouger d’un pouce Israël - vous pensez, peut-être, que vous allez, vous, pouvoir régler la question ? Ne surestimez-vous pas votre capacité de conviction ?
Je sais bien que, là où tous ont échoué, vous avez revendiqué (« Le peuple libyen mérite cette paix et nous la lui devons »), l’accord de réconciliation conclu fin juillet, à La Celle Saint-Cloud, entre le Premier ministre du gouvernement libyen d’union et le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort venu de l’Est du pays. Mais ce cas est sans aucun rapport avec celui précité. Il s’agissait là, simplement, de réussir à réunir deux forces rivales libyennes qui se disputent le pouvoir. Non de mettre d’accord un Etat occupant son voisin, et ce dernier qu’il déclare, lui appartenir !
Ignorez-vous, Monsieur le Président, que les sionistes d’extrême droite, de droite, voire de gauche, forts de leur idéologie, n’ont jamais - sincèrement - envisagé la possibilité de deux Etats, côte à côte, dans le cadre du mandat britannique ? Cette position n’est pas d’aujourd’hui. Elle est constante, dans leur esprit depuis l’infâme « déclaration Balfour » du 2 novembre 1917, et, dans la réalité, depuis la proclamation de l’Etat d’Israël par David Ben Gourion, le 14 mai 1948.
Six années auparavant, d’ailleurs, en mai 1942, les sionistes, réunis en congrès, sous la houlette du même Ben Gourion, avaient adopté le « Programme de Biltmore » (du nom de l’hôtel new yorkais où il se tenait) par lequel ils revendiquaient la création d’un Etat juif sur la totalité du mandat britannique, écartant toute idée d’Etat binational retenu par le Livre Blanc britannique de 1939. Les choses étaient claires. Il n’était plus question de l’installation d’un « Foyer juif en Palestine» (revendiqué par la Charte du Sionisme, proclamé à Bâle en 1897), mais, pour la première fois, de l’établissement d’un Etat juif, Eretz Israël, et cela, sur toute l’étendue de la Palestine historique.
Dois-je enfin vous rappeler à nouveau que, dans le programme du Likoud - présidé par Netanyahou – on peut lire : « Le gouvernement israélien rejette fermement la création d’un État arabo-palestinien à l’ouest du Jourdain » ? Et que, déjà 600 000 colons israéliens juifs ont été installés dans cette Palestine que vous évoquez dans vos discours ?
Des sanctions.
Tous les partisans de la paix réclament depuis des années la fin de l’impunité d’Israël et de ses dirigeants, la prise de sanctions, en particulier la suspension de l’accord entre l’Union Européenne et cet Etat.
Serez-vous enfin l’homme d’Etat français, qui aura non pas la « témérité » de condamner… mais le courage d’agir, courage que n’ont pas eu vos prédécesseurs - sauf le général De Gaulle, que vous admirez ? Les exemples de sanctions que la France a approuvé ne sont-ils pas nombreux : contre la Russie, la Corée du Nord, l’Iran... ?
Ecoutez donc Mgr. Sabbah, le patriarche émérite de Terre Sainte (1) : « La réalité des colonies est un danger pour toute la région (…). Un jour les colons domineront la situation. Or, leur mode de gouvernement étant l’irrationalité, l’irrationalité gagnera tout le monde, Palestiniens comme Israéliens, et ira peut-être même jusqu’à provoquer la chute d’Israël ».
(1) Entretien à Jérusalem avec le journaliste Antoine Besson, le 18 janvier 2012
*Maître Maurice Buttin est président du CVPR PO (Comité de Vigilance pour une Paix Réélle au Proche-Orient)
Par Maurice Buttin, lire aussi :