Par Gilles Munier (Afrique Asie – janvier 2015)
La malédiction de l’or noir s’est abattue sur la Mésopotamie depuis sa découverte sous l’empire ottoman. Les guerres d’Irak, l’irrédentisme kurde et l’entrée en lice de l’Etat islamique plongent le « berceau de l’humanité » dans l’horreur et la désespérance.
La prise de la province de Ninive par l’Etat islamique en Irak a ouvert un nouveau chapitre de la guerre du pétrole au Proche-Orient. Contre toutes prévisions, c’est la Chine qui se trouve être le principal bénéficiaire du renversement de Saddam Hussein dans le secteur pétrolier. En 2013, elle a importé près de la moitié de la production irakienne. PetroChina contrôle quatre grands champs dans le sud du pays et le géant chinois CNPC (China National Petroleum Corporation) investit massivement dans les infrastructures pétrolières de production. Dur à digérer pour les majors pétrolières américaines qui pensaient toucher le pactole après l’installation d’un régime pro- américain à Bagdad en 2003. Devançant ses concurrents, Exxon Mobil a été la première à se rabattre sur le Kurdistan en signant, dès 2011, six contrats d'exploration et de production avec le Gouvernement régional du Kurdistan présidé par Massoud Barzani. Particularités : certaines concessions se trouvent dans les « territoires disputés », annexés par la Région kurde aux lendemains de la prise de Mossoul, et où s’affrontent depuis quelques mois djihadistes, peshmergas et milices chiites irakiennes « conseillées » par le général iranien Qassem Suleimani, chef des Forces al-Quds, unité des Pasdarans (Gardiens de la Révolution islamique) chargées des opérations à l’étranger.
La proclamation d’un Etat islamique à cheval sur le nord de la Syrie et l’Irak a permis aux Etats- Unis de revenir en force à Bagdad et, peut-être, de procéder à terme à une redistribution des cartes dans le domaine pétrolier. L’Iran qui partage cette analyse de la situation, a pris les devants en proposant ses services à Massoud Barzani, tout en restant inflexible quant à son soutien au régime de Bagdad concernant la question des « territoires disputés ». Amerli, débarrassée de la menace des djihadistes de l’Etat islamique qui l’assiégeaient, n’est pas seulement une ville turkmène chiite, mais elle est entourée de terres riches en hydrocarbures. Idem pour Jalawla et Saadiyah situées à 115 km au nord-est de Bagdad dans la province multiethnique de Diyala, près de champs pétroliers et de la frontière avec l’Iran.
Jackpot pour Chevron et Exxon
Autre conséquence de l’émergence de l’Etat islamique en Irak : Bagdad a mis fin à l’interdiction faite au Gouvernement régional kurde (GRK) d’exporter son pétrole. Désormais, Erbil livrera 550 000 barils/jour – dont 300 000 provenant des champs de Kirkouk - par le réseau de pipelines kurdes, en accord avec de la société d’Etat Somo ; le GRK recevra en retour un milliard de dollars par mois pour payer, notamment, les salaires des peshmergas et des fonctionnaires.
Les réserves kurdes étant estimées à 14 milliards de barils et le prix de revient du baril de pétrole kurde n’étant que de 5 dollars, les majors occidentales se frottent les mains : Chevron et Total qui avaient été sommées par Bagdad de rompre leurs contrats avec la Région autonome vont pouvoir engranger des bénéfices considérables. La texane Marathon Oil et la canadienne Oryx Petroleum ont annoncé leur retour. Elles peuvent toutes dire, pour l’instant, merci à Abou Bakr al-Baghdadi !
L’accord conclu entre Bagdad et Erbil durera ce que durent les roses. Ces dernières semaines des médias kurdes ont en effet révélé que du pétrole provenant de puits sous contrôle de l’Etat islamique transitait par la Région autonome. Un million de barils de pétrole kurde a été livré au port israélien d’Ashkelon en juin dernier, et de mystérieux transbordements ont été observés en mer de Chine méridionale. Qui peut croire que ce genre de contrebande a lieu sans complicités à haut niveau ? Plus de 300 fonctionnaires ont été arrêtés pour calmer l’opinion publique kurde. Les membres des familles Barzani et Talabani impliqués dans ces trafics n’ont pas été inquiétés.
Photo: Pipelines sous haute protection