Revue de presse : 7 Jours (Rennes – 12/1/13)
Le Rennais Gilles Munier, connu depuis la fin des années 70 pour sa connaissance de l’Irak, puis pour son combat contre l’embargo, a été mis en examen par le juge Philippe Courroye en octobre 2005 dans l’affaire dite « Pétrole contre nourriture », pour « trafic d’influence passif » et « corruption d’agents publics étrangers », autrement dit pour « avoir violé une résolution de l’ONU ». L’enquête de la brigade financière n’a pas décelé d’enrichissement personnel. Il sera jugé à partir du 21 janvier devant le tribunal correctionnel de Paris, avec une quinzaine de personnalités dont deux ambassadeurs de France, Charles Pasqua et Christophe de Margerie, patron de la société Total. Retour rapide sur une affaire qui ne manque pas de zones d’ombre.
Dans les mois qui précédèrent la Première guerre du Golfe (janvier 1990), l’Irak fut placé sous embargo international, ce qui provoqua, au final, une crise humanitaire grave. En 1996, les Nations unies furent alors obligées de mettre en place un programme spécial supposé plus adapté, appelé « Pétrole contre nourriture » : les Irakiens gardaient la maîtrise de leurs achats de produits autorisés à l’importation, mais leur règlement était effectué par des fonctionnaires de l’ONU sur un compte bloqué, alimenté par les ventes de pétrole irakien dont le prix était fixé par l’ONU.
Asphyxié financièrement, l’Etat irakien s’est d’abord tourné vers les grandes compagnies pétrolières - notamment Chevron que dirigeait Condoleeza Rice, future Secrétaire d’Etat de George Bush fils - leur demandant d’agir en coulisse pour faire lever les sanctions. Les tankers emportèrent le brut, mais les compagnies n’intervinrent pas. Suite à l’échec de cette opération, l’Irak s’adressa aux pétroliers de moindre importance. Avec l’accord de Tarek Aziz – vice-Premier ministre irakien – Gilles Munier obtint qu’un trader pétrolier français disposant des autorisations du Quai d’Orsay, du ministère de la Défense et de l’Onu, finance – sur sa marge bénéficiaire - les Amitiés franco-irakiennes dont il est secrétaire général depuis 1985. Il pu ainsi organiser des conférences internationales, des expositions, des voyages d’information en Irak, et publier - dans Le Monde et l’Herald Tribune - des placards publicitaires contre l’embargo. « Toutes mes activités étaient connues du Bureau de mon association et des services français à Paris : Quai d’Orsay, Bercy, Défense, DST, DGSE... parce que rien n’était secret ».
Trois jours de garde à vue
Il a fallu que le juge Courroye soit de retour des Etats-Unis, à l’approche de l’élection présidentielle où son ami Nicolas Sarkozy se présentait, pour que plusieurs membres du supposé lobby gaulliste pro-irakien soient interrogés, mis en examen, puis libérés contre le versement d’une caution. Pour Gilles Munier, gardé à vue trois jours, son montant était de 80 000 euros - rabaissée à 50 000 par Jacques Vergès, son avocat – avec en prime une interdiction de sortir de France métropolitaine. « Courroye m’a pourri la vie pendant 8 ans, m’a empêché de mener à bien des projets de reconversion. J’ai même reçu des menaces de mort… », dit-il.
Au-delà de son cas, Gilles Munier espère que le procès qui va s’ouvrir permettra d’évoquer le « génocide » dont le peuple irakien a été victime « car sans ces centaines de milliers de morts – dont 1,5 million d’enfants selon l’ONU - il n’y aurait pas eu d’affaire « Pétrole contre nourriture ». Il voudrait aussi savoir pourquoi la « justice internationale » n’est appliquée qu’en France, pourquoi les trafiquants alimentant le marché noir en pétrole irakien n’ont jamais été inquiétés, et pourquoi les enquêteurs des Nations unies qui suivaient une piste impliquant l’armée américaine, ayant trouvé porte close au Pentagone, n’ont pas crié au scandale et ameuté les médias. Tout cela, « peut-être parce qu’il fallait punir la France de son vote anti-guerre à l’Onu en février 2003, trouver des victimes expiatoires, faire élire un président pro-américain. Ainsi va le monde… », conclu-t-il un brin fataliste.
Le procès devrait durer trois semaines.