Moqtada al-Sadr et Hadi al-Amiri n'ont pas le droit à l'erreur
Par Gilles Munier/
Lors des élections législatives du 12 mai dernier, plus de 55% des 25,5 millions d’électeurs ont boycotté le scrutin et Moqtada al-Sadr l’a emporté grâce à son programme anti-corruption et plus ou moins souverainiste, mais il n’a obtenu que 54 députés (sur 329), ce qui est très loin d’être suffisant pour conduire les affaires du pays.
Déclencher une campagne anti-corruption
La constitution irakienne d’octobre 2005, confessionnelle et fédéraliste – rédigée à marche forcée sous la houlette des occupants américains, et approuvée à la va-vite par des élus aux ordres – ne permet aucune majorité absolue. Elle oblige le camp arrivé en tête à s’allier avec certains de ses concurrents pour élire le Premier ministre. Autant dire qu’elle est une des sources du chaos dans lequel le peuple irakien s’enfonce après chaque élection législative. Dans ce domaine, rien n’a vraiment changé au Pays des deux fleuves depuis l’invasion américaine (relire à ce sujet « La journée des dupes : 30 janvier 2005 » - ici).
Cette fois, l’accord conclu entre Moqtada al-Sadr et Hadi al-Amiri, leader de l’Alliance Fateh (47 députés) et des Hachd al-Chaabi, laisse espérer la mise hors d’état de nuire de ceux que les Irakiens appellent «les requins de la corruption ». Les deux hommes en ont les moyens.
Mais, les marchandages qui s’éternisent en coulisse pour racoler les députés qui leur manquent - nécessaires à la nomination d’un nouveau gouvernement - ne présagent rien de bon. Un Premier ministre issu d’un consensus mou risque de ne pas être en mesure de s’attaquer à la racine du mal.
Juger Nouri al-Maliki
Pour que le grand nettoyage attendu par les Irakiens soit autre que symbolique, il faudrait frapper haut et fort, comme par exemple juger Nouri al-Maliki pour sa gestion de la prise de Mossoul par l’Etat islamique, et geler ses avoirs.
En août 2015, une commission d’enquête parlementaire l’avait désigné – avec 35 autres personnes – comme responsable de la chute de la ville, et Salim al-Jabouri – président du Parlement – avait déclaré qu’il allait transmettre le rapport au procureur de la République en vue de poursuites judiciaires. On les attend toujours …
Coup d’Etat militaire
Moqtada al-Sadr et Hadi al-Amiri sont maintenant face à leurs responsabilités. Ils n’ont pas le droit à l’erreur. L’accord qu’ils ont conclu relègue à l’arrière-plan, pour l’instant, la crainte d’une guerre civile intra-chiite. Mais, ce serait méconnaître les Irakiens – toutes confessions et ethnies confondues - de croire qu’ils assisteraient sans réagir au dévoiement du programme anti-corruption pour lequel ils ont voté. Des manifestations monstres et violentes contre la classe politique éclateraient un peu partout. Interpellé, Moqtada al-Sadr pourrait renverser le gouvernement. Le chaos serait tel qu’un coup d’Etat militaire deviendrait possible. A n’en pas douter, il répondrait alors aux vœux de la majorité du peuple irakien.