Statue d'un peshmerga érigée à l'entrée de Kirkouk
La confrontation du 16 octobre à Kirkouk a mis fin à l’unité entre les forces peshmergas du PDK et de l'UPK.
Par Fazel Hawramy (revue de presse : LSE – 16/3/18)*
La crise latente entre Erbil et Bagdad a débouché, le 16 octobre 2017, sur une confrontation ouverte à Kirkouk et dans les territoires contestés, résultant en une défiance entre les troupes de sécurité irakiennes – dont les Forces de Mobilisation Populaire (FMP – Hachd al-Chaabi) - et les Peshmergas, unités formées au cours des trois ans de combat contre l’ennemi commun, l’Etat islamique.
Cette confrontation et l’effondrement de la défense kurde face à l’assaut des forces irakiennes ont eu des répercussions terribles sur la stabilité de la région kurde. Les peshmergas se sont à nouveau scindés selon des lignes partisanes, mettant ainsi en péril des années de travail acharné pour unifier les forces des deux principaux partis gouvernementaux du Kurdistan. Les points de contrôle dans les territoires du UPK (Union Patriotique du Kurdistan) et ceux du PDK (Parti Démocratique du Kurdistan) ont été renforcés depuis la crise d’octobre. Une division officielle de la région entre les territoires sous la tutelle de l’un ou l’autre des partis a été demandée. Des accusations réciproques, de trahison et d’être à la solde des ennemis des Kurdes, ont été lancées par des responsables des partis sur leur chaîne de TV. L’impact sur les forces peshmergas, principal allié de la coalition anti-Daech, pendant trois ans, a été de taille.
Le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani et l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) ont quelque 150 000 à 200 000 hommes sous leur commandement qui ont, pour certains, été employés pour réprimer les manifestations anti-gouvernementales dans la province de Sulaymānīyah, en décembre dernier.
Menacés par un ennemi commun, les forces peshmergas des deux partis au pouvoir au Kurdistan et les forces irakiennes ont mis sur pied une coopération sans précédent quand ils fondaient sur le nord de l’Irak en 2014, à partir de Jalawla, dans la province de Diyala. Les unités kurdes ont, avec l’aide de l’armée irakienne et des FMP, dont la loyauté de certains envers l’Iran ne s’est pas démentie, combattu Daech sans faillir
Coopération et coordination se sont poursuivies extensivement pendant toute la guerre, et ont été d’un niveau exceptionnel, d’autant qu’avant qu’ISIS ne gagne du terrain, au cours de l’été 2014, les peshmergas et les forces de sécurité irakiennes avaient été à couteaux tirés, pendant des années, en raison de la chute du régime de Saddam Hussein, en 2003. Elles en vinrent presque à une hostilité totale, quelques mois après le départ d’Irak des derniers soldats US. La situation était telle qu’en 2013, les 14ème et 16ème brigades de l’armée irakienne, composées principalement d’anciens peshmergas, ont changé de camp et rejoint le commandement peshmerga.
Cependant, la guerre contre ISIS a conduit à un niveau de confiance, inimaginable jusqu’à présent, entre les forces kurdes et irakiennes et entre les forces peshmergas du PDK et UPK, et la bataille pour Mossoul, en octobre 2016, a été saluée comme le summum de cette nouvelle relation entre les forces en présence, ce qui aurait pu aboutir à une future coopération, des forces peshmerga et irakiennes, dans les provinces de Ninive, Kirkouk, Salaheddin et Diyala, points sensibles en Irak.
Mais la fin des opérations contre Daech et le lancement du référendum pour l’indépendance du Kurdistan ainsi que les débats sur le pétrole et le budget ont attisé le climat, une fois de plus, et la confrontation du 16 octobre à Kirkouk a mis fin à l’unité au sein des peshmergas et à la coopération entre les forces irakiennes et kurdes.
La violente bataille du 20 octobre à Perde, ville située sur la route Kirkouk - Erbil, a souligné le caractère désuni des forces irakiennes et peshmergas. Côté kurde, seules les forces du PDK étaient présentes, avec un petit, mais efficace, contingent de peshmergas iraniens. Le ministère des Peshmergas y participait avec deux brigades unifiées, consistant seulement en peshmergas du PDK, les peshmergas de l’UPK étant rentrés chez eux à Sulaymānīyah. Ces forces se sont tirées dessus avec force mortiers et balles, ce jour-là. Les deux parties ont fait usage des armes fournies par la coalition anti-ISIS et des douzaines de peshmergas et membres des forces irakiennes ont été tués au cours de cette bataille.
De 1992 quand la région du Kurdistan fut instaurée, jusqu’en 2006, l’UPK et le PDK l’ont divisé en sphères d’influence. Début 2006, ils ont unifié leur administration et accepté, par écrit, de réunir leurs forces de sécurité respectives, dont les peshmergas. Sous la pression des Américains, la direction kurde promit d’unir les dites forces mais en vain. Elle s’est mise d’accord pour établir un ministère uni des peshmergas en 2010. En 2011, cet organisme a commencé à composer des brigades de peshmergas de l’UPK et du PDK, des Forces 70 et 80, comptant à peu près 100 000 hommes. En 2013, presque 28 000 furent enrôlés dans 12 brigades unies, selon un rapport du Comité des Peshmergas du Parlement kurde, de juin 2014. Bien qu’en pratique, ces unités s’alignent sur leur parti, les combattants du PDK et de l’UPK ont, pour la première fois, combattu côte à côte, au même avant-poste, même bas-côté, sous un commandement unique, un formidable pas vers l’unification des forces peshmergas.
Mais les tensions ont refait surface et les peshmergas sont à nouveau divisés. Les autorités kurdes prétendent qu’elles continuent à unifier ces forces, aidées en cela par des conseillers américains, britanniques et allemands qui, de plus, les assistent dans leur réforme du ministère des peshmergas. Si les tensions entre Bagdad et Erbil ne s’apaisent pas, la stabilité de la région du Kurdistan, des territoires contestés et de l’Irak, lui-même, pourrait être en jeu
A un peu plus de trois mois des élections nationale et régionale en Irak et au Kurdistan, le verdict de celles-ci pourrait changer l’équilibre du pouvoir dans cette région et décider si les Kurdes ont encore envie de poursuivre l’unification des forces peshmergas et aussi de résoudre leurs différences avec le gouvernement central.
Fazel Hawramy est un journaliste d’investigation pour Reuters, al Monitor, The Guardian.
*Source (version originale): LSE (London School of Economics and political science)
Traduction et Synthèse: Xavière Jardez