par Gilles Munier (Afrique Asie – avril 2012)
La déclaration de semi autonomie de la Cyrénaïque et, sans doute bientôt, celle du Fezzan ne surprend que les lecteurs des médias prenant pour argent comptant les communiqués militaires de l’Otan et du Qatar.
Six mois après l’assassinat de Kadhafi, comme il fallait s’y attendre, le Conseil national de transition libyen (CNT) se révèle incapable de gouverner le pays, d’enrayer sa somalisation. La situation économique est catastrophique. Les accrochages sanglants entre tribus et les meurtres par vengeances sont quotidiens. Dans la région de Koufra, les Toubous – ethnie nomade noire - se battent contre la tribu arabe al-Zwia, avec la bénédiction du CNT. En jeu : la surveillance des frontières avec le Tchad, le Niger et le Soudan, c'est-à-dire le trafic des armes, de la drogue et des migrants africains.
Pire, le « Printemps arabe » libyen débouche maintenant sur la création d’une région autonome. La proclamation de la semi autonomie de la Cyrénaïque – Barqa pour les Arabes - par près de 3000 chefs de tribu et de milices, a pris de cours Moustapha Abdeljalil, président du CNT, alors qu’il allait dévoiler la charte nationale devant servir de modèle à la future constitution. Déstabilisé et furieux, il a accusé des « pays frères » - le Qatar et les Emirats Arabes Unis, sans les nommer - de soutenir financièrement « la sédition », selon lui « pour ne pas être contaminés par la révolution ». En d’autres termes, celui que les Libyens surnomment Abou Nato (Otan) reconnaissait n’être qu’une marionnette au service d’intérêts occidentaux qui le dépassent…
« Abou Nato » et la Senoussiya
Aux menaces d’intervention militaire proférées par Abdeljalil contre Ahmed Zoubayr al-Senoussi, membre du CNT élu président du Conseil suprême de Cyrénaïque - un cousin du roi Idris 1er renversé par les Officiers libres en 1963 - le colonel Hamid al-Hassi, nommé commandant militaire de la nouvelle entité a répondu qu’il est prêt à défendre sa région et à occuper les champs pétroliers, si nécessaire. Un autre dirigeant du CNT, Abdelmadjid Seif al-Nasr, a annoncé que la proclamation de l’autonomie du Fezzan était une question de jours.
Pour l’instant, la Tripolitaine n’est pas en position pour réclamer quoi que ce soit. Tripoli vit au rythme des desiderata d’une centaine de milices venue razzier les habitants, ne rendant de comptes qu’à leurs chefs. A Abou Walid, fief kadhafiste situé au sud-est de la capitale, les Warfalla – principale tribu libyenne - ont élu leur propre CNT, obligeant celui désigné par Abdeljalil à siéger dans un village voisin, dans une sécurité toute relative.
Le port de Misrata, 3ème ville du pays, se comporte de facto en cité-Etat depuis qu’a été élu un conseil municipal remplaçant celui désigné par le CNT. Les crimes de guerre commis en Tripolitaine par sa milice mettent en danger de mort, et pour de nombreuses années, ses commerçants ou ses chauffeurs de poids lourds s’aventurant sur les territoires de tribus victimes de leurs exactions.
La ville arabo-berbère de Zenten, accolée au Djebel Nefoussa à 160 kms au sud-ouest, n’en fait qu’à sa tête. Elle détient en otage Seif al-islam Kadhafi, contrôle la frontière avec la Tunisie et s’est emparée de l’aéroport international de Tripoli. Conciliant, un des chefs de guerre a déclaré qu’il en remettrait les clés au CNT… quand ce dernier sera à même d’en assurer la sécurité. Les milices de Misrata et de Zenten, surarmées par l’Otan, le Qatar, et par les pillages de casernes, peuvent tenir tête à n’importe quelle attaque de l’armée libyenne.
L’instabilité perdurera
Penser que la confrérie de la Senoussiya peut réunifier le Libye est une vue de l’esprit. C’est compter sans la Tidjaniya, sa concurrente soufie, les djihadistes du Mouvement islamique libyen pour le changement (MILC, ex Groupe islamique de combat libyen), et les Frères Musulmans constitués en Parti Justice et Construction. Le cheikh Youssouf al-Qaradawi ayant dénoncé, du Qatar, la déclaration de semi autonomie de la Cyrénaïque, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues des grandes villes le 9 mars en scandant : « Avec notre sang et notre âme, nous sauverons Benghazi! ». Mais les salafistes du MILC et les Frères Musulmans qui jouent la carte de l’unité de la Libye, ne disposent pas de forces armées suffisantes pour empêcher la Cyrénaïque d’élire son propre gouvernement, un parlement, de prendre en charge son économie et de gérer à sa guise 80% des ressources pétrolières du pays. Plusieurs dirigeants du CNT, craignant d’être tués, résident désormais dans l’île de Malte.
L’élection de l’assemblée constituante prévue le 23 juin risque d’être reportée ou sérieusement boycottée par les habitants de Cyrénaïque qui n’ont pas digéré de n’avoir que 60 parlementaires à élire, alors que la Tripolitaine en a 102. On voit mal aussi, d’ici là, qui pourrait contraindre les milices à déposer leurs armes, surtout depuis qu’une décision imbécile retire le droit de vote aux towars – révolutionnaires - qui intégreront l’armée.
La partition de la Libye n’est peut-être pas inéluctable, mais l’instabilité y perdurera encore longtemps. Les compagnies pétrolières étrangères en sont à se demander s’il va leur falloir renégocier leurs contrats avec de nouvelles entités. Quand on disait que l’accord secret signé en 2011 par Nicolas Sarkozy avec ses complices du CNT, attribuant à la France un tiers du pétrole libyen, en remerciement de son soutien à la rébellion, n’était qu’un chiffon de papier…
______________________________________________
Près de deux millions
de réfugiés libyens ?
Une conférence sur la situation humanitaire en Libye, co-organisée par le bâtonnier tunisien Béchir Essid, président du Comité international des juristes pour la défense des Libyens opprimés et exilés et par l’Association des Libyens exilés, s’est tenue le 10 mars à Tunis, en dépit d’une intervention du CNT réclamant son interdiction. Selon des intervenants, il y aurait actuellement près de deux millions de réfugiés libyens dont 400 000 en Tunisie, 800 000 en Egypte. Certains erreraient, dans le dénuement le plus total, à travers le Maghreb, l’Afrique subsaharienne et l’Europe. Les participants ont dénoncé le silence des médias internationaux sur le drame qui frappe une partie de la population libyenne, les crimes, les tortures, les mutilations, les viols et la chasse à l’homme dont la population noire libyenne est victime. En Libye, il suffit parfois d’être dénoncé comme kadhafiste pour disparaître à jamais. Un des juristes présents a également dénoncé l’attitude de la France qui « enseigne les droits de l’homme et désigne ceux qui sont bons et ceux qui sont mauvais, tous n’étant pas des hommes dignes d’être secourus ».