Par Rami G. Khouri (revue de presse : ISM-France - 11 août 2024)*
A l’approche des élections de novembre aux États-Unis, la dynamique politique liée à Israël/Palestine continue d’influencer les développements clés de la scène politique américaine. L’opinion publique n’est plus aussi majoritairement favorable à Israël qu’elle le fut auparavant, ce qui inquiète le gouvernement israélien et ses partisans américains.
Cela se voit surtout dans les actions de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), le principal groupe de pression pro-israélien aux États-Unis. Au cours des derniers mois, il a investi 8,5 millions de dollars dans une campagne destinée à vaincre la députée démocrate progressiste Cori Bush lors des primaires démocrates du Missouri. Bush, qui a défendu les questions de justice palestinienne au Congrès, a perdu mardi face au procureur de Saint-Louis, Wesley Bell. Et l’AIPAC a fourni la somme sans précédent, pour un seul scrutin, de 17 millions de dollars pour vaincre un autre partisan de la Palestine, le député Jamal Bowman, lors des primaires démocrates de New York.
Après la défaite de Bowman, l’AIPAC a déclaré que la position pro-israélienne des États-Unis était « à la fois un bon principe et une bonne politique ».
En réponse à cette affirmation, la militante de gauche Medea Benjamin a écrit : « Au contraire, cela montre que les groupes pro-israéliens peuvent acheter des élections et cela a envoyé un message effrayant à tous les élus : s’ils critiquent Israël, même pendant un génocide, ils pourraient bien le payer de leur carrière. »
Elle a souligné que si le financement par l’AIPAC des défaites de Bush et Bowman démontre le pouvoir et les ressources du lobby pro-israélien, il montre également qu’il doit désormais fournir des sommes d’argent toujours plus importantes pour que le Congrès reste favorable à Israël et minimiser l’impact des membres progressistes.
Cela montre à quel point il est devenu difficile pour le lobby israélien de contrer la popularité croissante de la cause palestinienne. Cela le fait paraître de plus en plus désespéré alors qu’il prend des mesures qui risquent de se retourner contre lui, générant un ressentiment plus grand dans l’opinion publique et au sein du système politique.
De telles campagnes de financement agressives menées par l’AIPAC et d’autres forces pro-israéliennes pourraient bientôt être perçues comme une autre dimension de l’ingérence étrangère dans les élections américaines, qui est devenue une préoccupation nationale croissante depuis 2016. Les Américains qui souhaitent que leur gouvernement soit impartial sur la question de la Palestine et d’Israël pourraient considérer un financement israélien plus important ou des campagnes sur les réseaux sociaux favorisant certains candidats comme une ingérence étrangère inappropriée dans les élections américaines. Israël pourrait bientôt rejoindre la Russie, la Chine, l’Iran et Cuba parmi les pays perçus comme s’ingérant dans les élections américaines.
Une autre mesure désespérée pro-Israël qui pourrait se retourner contre elle est la volonté de faire adopter une loi visant à criminaliser le plaidoyer pro-palestinien, à punir les organisations à but non lucratif qui soutiennent la cause palestinienne ou à priver les universités de fonds fédéraux pour avoir autorisé des manifestations pro-palestiniennes. Une telle législation peut porter atteinte à la liberté d’expression et aux droits garantis par le Premier Amendement et ternirait encore davantage le lobbying pro-israélien en le présentant comme une force régressive et antidémocratique aux yeux de nombreux Américains.
De telles mesures sont envisagées parce que la domination du discours israélien dans la formation de l’opinion publique aux États-Unis décline lentement. En effet, les réseaux sociaux, les médias progressistes et un activisme palestinien plus dynamique permettent aujourd’hui aux Américains de voir et d’évaluer facilement les actions génocidaires israéliennes en Palestine, rendues possibles par le soutien du gouvernement américain.
L’opinion publique a ainsi évolué dans une direction plus équilibrée, davantage d’Américains sympathisant avec les Palestiniens. Selon un sondage Gallup de mars, ce chiffre est de 27 % à l’échelle nationale ; il est de 43 % chez les démocrates et de 45 % chez les jeunes.
Les opinions sur la guerre sont encore plus critiques à l’égard d’Israël. Un sondage Data for Progress publié en mai a révélé que 56 % des démocrates pensent qu’Israël commet un génocide. Un autre de ses sondages publié en juin a montré que 64 % des électeurs potentiels soutenaient un cessez-le-feu et le retrait des troupes israéliennes de Gaza ; parmi les démocrates, ce chiffre était de 86 %. Un sondage réalisé en juin par le Chicago Council on Global Affairs a montré que 55 % des Américains rejetaient l’envoi de troupes américaines pour défendre Israël si celui-ci était attaqué par ses voisins.
Les hommes politiques américains ne peuvent pas ignorer perpétuellement ces changements d’attitude de l’opinion publique, en particulier parmi les démocrates. Et il semble qu’ils en tiennent compte.
Le mois dernier, lorsque le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a prononcé son quatrième discours au Congrès américain, près de la moitié de ses membres démocrates étaient absents.
En plus de l’évolution de l’opinion publique, d’autres forces ouvrent progressivement des fissures dans le consensus pro-israélien dans la politique américaine. L’un d’entre eux est le National Uncommitted Movement [Mouvement national non engagé, dont le slogan est Pas une bombe de plus, NdT], qui, lors des primaires démocrates, a demandé aux démocrates inscrits de voter « Uncommitted » pour montrer leur rejet de la politique de l’administration Biden sur le génocide israélien à Gaza.
La campagne a recueilli plus de 700.000 voix, dont une grande partie provenant d’États clés comme le Michigan et le Wisconsin. Si le mouvement se maintient jusqu’en novembre et que l’élection est serrée, leurs votes pourraient suffire à faire tomber Kamala Harris, la successeure du président Joe Biden sur le ticket démocrate, qui a fidèlement soutenu sa politique pro-israélienne à Gaza.
La campagne de Harris – tout comme celle de Biden avant elle – est clairement inquiète. Un signe en est sa décision de choisir le gouverneur du Minnesota Tim Walz comme colistier au lieu du gouverneur de Pennsylvanie Josh Shapiro, dont les positions pro-israéliennes et sionistes fortes sur les manifestations étudiantes pro-palestiniennes, la campagne de boycott d’Israël et la guerre de Gaza, entre autres, ont été évoquées en public comme pouvant entraver les chances de victoire de Harris.
Harris elle-même a également laissé entendre dans sa rhétorique qu’elle voulait mettre une certaine distance entre elle et la position résolument pro-Israël de Biden. Elle a parlé plus fermement d’un cessez-le-feu immédiat et a exprimé son inquiétude quant aux souffrances des civils palestiniens. Elle a également dit aux dirigeants de la campagne Uncommitted, qu’elle a brièvement rencontrés à Detroit la semaine dernière, qu’elle acceptait leur demande de les rencontrer pour discuter de leur demande d’un embargo américain immédiat sur les armes contre Israël.
Cependant, les militants pro-palestiniens et Uncommitted insistent sur le fait que pour voter pour elle, il faut voir des actions concrètes, comme un embargo sur les armes contre Israël et l’application des lois américaines qui interdisent aux États-Unis de fournir une aide militaire aux forces de sécurité étrangères qui violent les droits de l’homme.
Ces derniers jours, Harris a été interrompue lors de deux discours de rassemblement par des militants exigeant qu’elle rompe avec la politique de Biden. Ses réponses inadéquates ont montré qu’elle a du mal à répondre aux demandes des démocrates progressistes pour une politique plus humaine à Gaza.
Nous n’apprendrons des changements substantiels dans sa position sur Israël/Palestine qu’après la Convention nationale démocrate à Chicago ce mois-ci. Quelle que soit la décision de la campagne de Harris, il est de plus en plus clair que pour la première fois, les électeurs américains qui soutiennent la cause palestinienne pourraient avoir suffisamment d’influence pour influencer les élections présidentielles et législatives, et donc les politiques étrangères et intérieures de Washington à l’avenir.
Cette transformation plutôt soudaine du paysage électoral donnera au lobby pro-israélien de nouvelles migraines qu’il aura du mal à traiter.
Rami G. Khouri est Professeur émérite à l’Université américaine de Beyrouth et membre non résident du Centre arabe de Washington. Il est journaliste et auteur de livres avec 50 ans d’expérience dans la couverture du Moyen-Orient. Son compte X : @RamiKhouri
Source : ISM-France
Article original en anglais sur Al-Jazeera / Traduction MR