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France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l'Atlantique

France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l'Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak et du Golfe à l'Atlantique. Traduction d'articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne.


Le «triple encerclement» du Liban : scénarios pour l’avenir

Publié par Gilles Munier sur 31 Décembre 2020, 10:16am

Catégories : #Liban

Par Fouad Khoury Helou (revue de presse : Le Commerce du Levant – 30/12/20)*

Le Liban est aujourd’hui soumis à un triple encerclement, militaire, économique et politique, dont il semble incapable de se sortir seul. Si cette situation ne dédouane en aucun cas les Libanais eux-mêmes – ainsi que leur classe politique – de leurs responsabilités, elle conditionne cependant dans une large mesure l’agenda futur du pays.

Du fait des évolutions en cours depuis deux décennies, le Moyen-Orient se retrouve partagé aujourd’hui entre trois forces régionales : la Turquie d’abord, qui exerce son influence de la Libye jusqu’au Qatar en passant par l’Irak et la Syrie, dont elle contrôle la partie nord ; l’Iran ensuite, qui œuvre pour maintenir sa présence dans «l’axe chiite» (Irak, Syrie, Liban) ainsi qu’au Yémen, sans compter les minorités chiites «dormantes» de la Péninsule arabique (Koweït, Arabie saoudite, Bahreïn) ; et Israël enfin, qui noue des relations de plus en plus étroites avec les régimes arabes sunnites du Golfe (qui craignent tant l’expansionnisme iranien que le retour de l’impérialisme turc), ainsi qu’avec d’autres pays arabes et musulmans. L’ensemble «central» de la région formé du Liban, de la Syrie et de l’Irak constitue leur champ d’affrontement privilégié.

La question essentielle étant aujourd’hui de savoir si ces pays, et en particulier le Liban, continueront dans le futur de constituer une zone de concurrence, auquel cas leur avenir économique serait compromis, ou s’ils se dirigeraient vers un apaisement dans le cadre d’un accord international. Il faut donc pour cela également observer le rôle crucial joué par la Russie, installée aujourd’hui en Syrie, au centre de l’échiquier régional et à égale distance de tous les intervenants ; celui de l’enjeu pétrolier en Méditerranée, qui concerne toutes les puissances influentes de la région ; ainsi que celui des puissances occidentales, en particulier la France et les États-Unis, seuls capables de proposer un «deal» politique et économique régional d’envergure.

Le Liban : une carte à jouer

Devant cet écheveau de rivalités régionales, le Liban se retrouve aujourd’hui bel et bien encerclé. Le premier encerclement, de nature militaire, est visible à la lecture de la carte, puisque le Liban, et avec lui le Hezbollah, est cerné géographiquement par deux pays, Israël au sud et la Syrie au nord et à l’est.

Suite à la guerre en cours depuis 2011, c’est toutefois la Russie qui tient le haut du pavé en Syrie, particulièrement dans la région occidentale relevant de Bachar el-Assad et contigüe au Liban tandis que l’Iran, qui a essayé d’y maintenir ses forces, a dû, lui, réduire sa présence militaire au minimum sous la menace de l’État hébreu, dont l’aviation pilonne sans relâche les forces iraniennes depuis 2017 et sans que la Russie n’y ait d’ailleurs véritablement objecté.

De fait, si Moscou entretient des relations a priori cordiales avec Téhéran (ainsi qu’avec Ankara et Tel-Aviv), la Russie n’en demeure pas moins pour l’Iran un challenger stratégique dont ce dernier se méfie : la Russie impériale puis l’Union soviétique ayant plusieurs fois tenté de pénétrer en Iran. La présence iranienne en Syrie est donc soumise à de fortes contraintes, cependant qu’en Irak même, elle se heurte à des obstacles croissants, suite aux soulèvements répétés dans ce pays depuis le dernier trimestre 2019, ainsi qu’à l’assassinat en janvier 2020 de Kassem Soleimani, commandant de la Force al-Qods des Gardiens de la Révolution, et aux scissions multiples au sein des milices irakiennes, en particulier de la puissante formation du Hachd al-Chaabi – réputée proche de l’Iran – qui est en désagrégation avancée et dont le commandant Abou Mahdi el-Mouhandis fut assassiné en même temps que Kassem Soleimani.

Le Liban est, lui, cerné militairement par Israël et la Russie tandis que ses approches maritimes sont, elles, contrôlées par les forces occidentales (sans compter la présence des forces maritimes et terrestres de la Finul), et que la Turquie, dont les forces, en Syrie, sont à 100 km de la frontière libanaise, maintient toujours de nombreux partisans au Liban-Nord. Devant cet encerclement quasi-total, que représente donc désormais, du point de vue iranien, le pays du Cèdre, et avec lui le Hezbollah, auquel le relie un mince corridor à travers l’Irak et la Syrie, où l’emprise des forces de Téhéran, exposées aux attaques incessantes, est de plus en plus ténue? Selon toute probabilité, le Liban ne représente plus dans ces conditions qu’une carte à jouer, ou plus exactement à «vendre», dans le cadre d’un éventuel marchandage plus vaste (ce qui ne signifie pas qu’il laisserait facilement partir cette carte).

La politique prime

Cet encerclement se vérifie, en outre, sur le plan économique, le pays du Cèdre faisant face aujourd’hui à une crise économique aigüe, alors que ses soutiens extérieurs traditionnels – les pays du Golfe, l’Occident – qui étaient intervenus à plusieurs reprises par le passé afin de l’empêcher de sombrer comme lors des sommets de Paris 1, 2 et 3 – refusent désormais de lui signer des «chèques en blanc». Cela pour deux motifs, l’un économique, à savoir la mauvaise gestion chronique du pays depuis les années 1990 ; et l’autre politique, à savoir l’influence déterminante du Hezbollah, identifié par nombre de ces pays, et en premier lieu les États-Unis, comme une menace.

De fait, les contextes économique et politique sont largement mêlés, ce qui explique le paroxysme actuel de la crise libanaise. Si le Liban – et avec lui le Hezbollah – sont en effet laissés à eux-mêmes sur le plan économique, c’est bien parce que l’affrontement irano-occidental a aujourd’hui atteint son point culminant alors qu’entre 2000 et 2007, dans un autre contexte politique, la communauté internationale n’avait pas hésité à voler à plusieurs reprises au secours du Liban, bien que ses ratios économiques et financiers étaient à cette époque encore plus mauvais qu’en 2016-2019.

Ainsi, le ratio du déficit public/PIB, qui a fait couler tellement d’encre en 2018 parce qu’il frôlait 11%, était de 24% en 2000 et s’est maintenu de manière quasi continuelle au-dessus de 11% jusqu’en 2008, de même que le ratio de dette nette/PIB, qui était de 2000 à 2007 plus mauvais qu’en 2018, ou encore le ratio des réserves de la banque centrale sur la dette publique nette, qui était de 2000 à 2008 bien plus mauvais qu’en 2019.

Et si l’on ne peut, en tout état de cause, que comprendre la « lassitude » des partenaires externes en regard des problèmes économiques du pays et de sa mauvaise gestion, il n’en demeure pas moins que le refus systématique de tous les intervenants extérieurs, en 2018-2019, d’offrir au Liban le moindre secours sans le voir accomplir un chantier de réformes considérable, qu’il est clairement incapable de mener seul, vu ses divisions politiques, signifie que le pays est désormais plongé dans une situation sans recours.

Derrière la demande de réformes économiques, c’est donc véritablement la formule politique née de l’accord de Doha en 2008, avec un compromis consacrant l’influence déterminante du Hezbollah dans le cadre d’un système politique consensuel, mais offrant peu de possibilités de changement ou de flexibilité (du fait même qu’il exige une quasi-unanimité pour la prise de décision), qui est aujourd’hui, de facto, remise en question.

Impuissance de la classe politique libanaise

Le troisième encerclement est enfin, lui, de nature politique, et cible en priorité la classe politique libanaise. Il consiste, en premier lieu, en un train de sanctions qui frappent de nombreux responsables libanais, les mettant à l’index au plan international et local. Le fait que ces sanctions frappent un nombre croissant de responsables, tant du Hezbollah que d’autres communautés et groupements, interroge en outre sur leur portée, puisque c’est toute la classe politique, ou plus exactement tout le «système» politique actuel qui pourrait être remis en question. Une menace qui s’incarne par excellence dans la demande actuelle d’un gouvernement de «technocrates indépendants» (et sans ministres liés au Hezbollah), qui n’est qu’une autre manière de remettre en cause les résultats de l’accord de Doha, lequel avait consacré le principe du «partage du gâteau» politique libanais (la formation de gouvernements représentant l’essentiel des partis confessionnels) ainsi que l’influence du Parti de Dieu. Sans compter le fait qu’une montée en puissance supplémentaire des sanctions, frappant notamment certains acteurs du secteur bancaire au motif de la corruption ou du financement du terrorisme, pourrait paralyser l’économie et pousser la classe politique dans ses retranchements.

Cet encerclement politique se caractérise en outre par le divorce croissant entre la population libanaise et son élite politique, qui s’est aggravé depuis l’effondrement économique de fin 2019. Si ce divorce se vérifie en particulier chez les chrétiens (dont la composante aouniste a jusqu’à ce jour offert une forme de couverture politique au Hezbollah), tandis que le leader sunnite Saad Hariri tente, de son côté, de sauvegarder son capital politique via notamment « l’initiative » française (puisqu’il a également parié sur la « coexistence » avec le Parti de Dieu depuis 2016), la vérité oblige cependant à dire que ce divorce frappe potentiellement toutes les communautés (y compris les chiites), car il aggrave l’impuissance de toute la classe politique actuelle, déjà paralysée par ses propres divisions, à mettre elle-même en place toute forme de changement ou de réformes futures en convaincant pour cela ses bases populaires.

L’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, a enfin parachevé cette dynamique, dans la mesure où l’ensemble du corps politique, toutes tendances confondues (et non quelques responsables), risquerait d’être incriminé par cette affaire, particulièrement si la communauté internationale se saisissait de ce dossier. L’affaire du port de Beyrouth constitue, en ce sens, une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la classe politique.

Réalignement en cours de finalisation

Que peut espérer le Liban dans ces conditions? Il y a en réalité deux scénarios. Le premier, celui de la «guerre froide» régionale, implique que le Moyen-Orient parachève son réalignement en trois blocs, avec la Turquie, l’Iran, et Israël qui se rapproche à toute vitesse de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe ainsi que de plusieurs autres pays arabes et musulmans sunnites. Dans cette éventualité, la «région centrale» demeurerait un terrain d’affrontement ; le Liban assistant, lui, à la poursuite voire à l’aggravation de la stagnation actuelle.

Si ce scénario, en repoussant le changement à plus tard, peut paradoxalement faire l’intérêt d’une majorité de la classe politique libanaise qui se verrait accorder un nouveau sursis, il ne répond pas aux attentes de la population et du pays : cerné militairement, miné par ses divisions politiques, privé d’aide extérieure et en proie à une crise économique aigüe, le Liban risquerait d’assister à une forte dégradation de sa situation interne, et, au mieux, se viderait de ses forces vives, happées par l’émigration, transformant en quelques années la physionomie socio-économique du pays.

Guerre chaude ?

Le deuxième scénario, celui d’un accord régional, verrait, lui, les trois blocs turc, iranien, et israélo-arabe se rapprocher. S’il y aurait sans nul doute des retombées positives pour le Liban, et avec lui la Syrie et l’Irak (sans oublier les Palestiniens), ce scénario paraît relativement complexe à réaliser, car il imposerait de satisfaire simultanément toutes les parties : Iran, Israël, Russie, Turquie, pays du Golfe, États-Unis et pays occidentaux, sans compter les protagonistes locaux eux-mêmes. Le «véritable» accord devant en outre se produire «officiellement» entre Israël et l’Iran sous égide occidentale, avec le consentement des acteurs locaux.

Une variante de ce scénario (la «guerre chaude») consisterait enfin à retirer la carte libanaise à l’Iran à travers une opération militaire, pour forcer un règlement régional. L’Iran, en difficulté tant en Syrie qu’en Irak, verrait alors son lointain «pion» libanais se briser, réduisant fortement ses marges de négociation face à Washington et Tel-Aviv. S’il devait se produire, un tel scénario (prenant par exemple la forme d’une opération israélienne avec le soutien de forces extérieures) serait probablement synonyme d’un déchaînement de violences ; les chances de réussite dépendant en partie de l’attitude d’autres intervenants, en particulier de la Russie qui tient le haut du pavé en Syrie (et «encercle» donc militairement le Liban). Les prochaines élections présidentielles de juin 2021 en Syrie (suivies le même mois par celles en Iran, puis en 2022 par les élections législatives et présidentielles libanaises) donneront ainsi, elles, une bonne indication de l’orientation prise par la Russie, selon l’identité du président syrien et le contexte politique qui l’entourera.

Deux choses sont donc à retenir : d’une part, vu la complexité de la donne régionale, il faut espérer qu’un coup d’éclat militaire, dont les populations paieraient le prix, ne soit pas malgré tout nécessaire pour déverrouiller la situation. D’autre part, vu l’ampleur des divisions internes et la déliquescence de ses institutions, il semble que le Liban ait, lui, plus que jamais besoin d’un nouvel « arbitre » externe pour venir départager les Libanais : l’histoire contemporaine du pays ayant malheureusement souvent pris la forme d’une succession de «mandats» extérieurs, tandis que le comportement actuel de la classe politique libanaise montre que cette dernière n’attend plus que cela, même si elle oscille entre la crainte pour certains, et, pour d’autres, l’espoir de retrouver dans cette intervention extérieure un second souffle.

Si un accord régional est trouvé, la solution au Liban pourrait idéalement prendre la forme d’une intervention de l’ONU, à l’exemple de la Bosnie-Herzégovine, pays tout aussi divisé que le Liban, et qui bénéficie d’une assistance internationale depuis plusieurs décennies afin de l’aider à remettre en état ses institutions. Deux pays pourraient, en tout état de cause, jouer un rôle clé dans ce sens : d’une part, les États-Unis, où les différentes tendances «modérées» ou «dures» (notamment Hale/Schenker) doivent s’accorder sur la marche à suivre vis-à-vis du pays du Cèdre. Et, d’autre part, la France, seule puissance d’envergure (avec la Russie) à dialoguer avec tous les intervenants, y compris le Hezbollah, et qui a proposé son aide au Liban.

Économiste, Fouad Khoury Helou est l’auteur de « Mondialisation : la mort d’une utopie », paru en 2017 aux éditions Calmann-Lévy.

*Source : Le Commerce du Levant

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