Ce n’est pas par bonté d’âme ou par amour de la justice (sic) qu’Israël se range aux côtés des Kurdes dans leur projet d’indépendance. Sa position se fonde d’abord sur des considérations géopolitiques : réduire l’influence de l’Iran dans la région, notamment en Irak, Syrie et Liban, l’isoler de nouveau. Ensuite pour des raisons idéologiques : Israël se complaît à s’identifier au combat des Kurdes pour un Etat, qui serait semblable à celui des juifs sionistes - dont il faut préserver la mémoire à tout prix - mais dans un contexte politique tout autre et aux conséquences désastreuses pour le peuple palestinien (AFI-Flash).
Par Jonathan Cook (revue de presse : Blog de Jonathan Cook – 2/10/17)*
Les Palestiniens et les Israéliens ont été très attentifs au référendum des Kurdes d’Irak et les officiels israéliens tout comme certains Palestiniens - pour différentes raisons - furent contents du résultat du vote, de se scinder de l’Irak.
Etant donné la réaction de Bagdad et la colère de l’Iran et de la Turquie, qui ont tous des minorités rétives, la création d’un Kurdistan dans le nord de l’Irak n’est pas pour demain. Le soutien des Palestiniens aux Kurdes est facile à comprendre : quand la France et la Grande-Bretagne partagèrent, il y a un siècle, le Moyen-Orient en Etats, ils furent totalement ignorés et comme les Kurdes, ils se retrouvèrent coincés sur des territoires variés, opprimés par leurs maîtres.
L’intérêt d’Israël pour cette indépendance est plus complexe à définir. Le premier ministre Netanyahou a été le seul dirigeant au monde à soutenir le projet kurde ; d’autres politiciens parlèrent du « droit moral » des Kurdes à avoir un Etat, sans remarquer qu’il cadrait mal avec leur approche du cas palestinien.
Dans un premier temps, Israël gagnera énormément car les Kurdes sont assis sur des réserves de pétrole énormes qu’ils n’ont aucune appréhension à lui vendre contrairement à l’Iran et l’Arabie saoudite. Mais les raisons de ce soutien sont bien plus profondes. Une coopération secrète a existé entre les deux entités pendant des décennies. Les médias israéliens ont rendu hommage aux généraux, maintenant à la retraite, qui ont entraîné les Kurdes dès les années 1960. Ces liens n’ont pas été oubliés ou ne sont pas terminés. Des drapeaux israéliens ont fleuri aux rassemblements pour l’indépendance et les Kurdes y ont évoqué leur ambition de devenir « un second Israël ».
Israël considère les Kurdes comme un allié d’importance dans une région dominée par les Arabes. Maintenant que l’influence de l’Etat islamique s’estompe, un Kurdistan indépendant l’aiderait à empêcher que l’Iran ne remplisse le vide. Israël veut un rempart contre le transfert d’armes, de renseignements et de savoir de l’Iran à ses alliés chiites en Syrie et au Liban. Mais Israël a, actuellement, une vision élargie de ses intérêts dans la région qu’il a longtemps nourrie et que j’ai expliquée à profusion dans mon livre « Israël and the clash of civilizations » (Israël et le choc des civilisations ».
Cela a commencé avec le père fondateur d’Israël, David Ben Gourion, qui conçut la stratégie de « s’allier avec la périphérie », à savoir établir des liens militaires avec les Etats non arabes comme la Turquie, l’Ethiopie, l’Inde et l’Iran du Chah, le but étant d’aider Israël à briser son isolement régional et à contenir le nationalisme arabe de Nasser en Egypte. Ariel Sharon, général israélien, étendit cette doctrine sécuritaire, au tout début des années 1960, appelant Israël à devenir une puissance impériale au Moyen-Orient et à s’assurer que lui, seul, dans cette partie du monde, possèderait l’arme nucléaire, le rendant ainsi incontournable aux yeux des Etats-Unis. Il n’élabora pas la manière dont Israël pourrait mettre sur pied cet empire mais une ébauche en fut fournie en même temps par le plan de Yinon rédigé pour l’Organisation Sioniste Mondiale par un ancien officiel des affaires étrangères israéliennes.
Oded Yinon proposait l’implosion du Moyen-Orient par le démantèlement des principaux Etats de la région - adversaires principaux d’Israël - en attisant les discordes sectaire et ethnique. Il fallait casser ces Etats, les affaiblir de telle sorte qu’Israël émergerait comme la seule puissance de la région. Cette idée inspire toujours sa politique dans les territoires occupés de la Palestine où il contient les Palestiniens dans une série d’enclaves séparées, où il a définitivement divisé le mouvement national palestinien, nourrissant un extrémisme islamiste se fondant dans le Hamas et le Jihad islamique. Au même moment, Israël a testé ces idées dans le sud du Liban voisin qu’il a envahi pendant deux décades et où sa présence a, de plus, avivé les tensions entre Chrétiens, Druzes, Sunnites et Chiites.
Cette stratégie de « balkanisation » a trouvé preneur auprès d’un groupe de faucons parlementaires aux Etats-Unis, les néo-conservateurs, devenus proéminents au cours de la présidence de Georges W. Bush, et qui, fortement influencés, se firent les promoteurs du concept « d’écraser » les principaux Etats, notamment l’Iran, l’Irak et la Syrie, opposés à la domination israélo-américaine dans la région. Leur priorité fut Saddam Hussein qui avait tiré des missiles sur Israël lors de la guerre du Golfe de 1991.
Bien que, très souvent, considéré comme un effet secondaire malheureux de l’invasion de l’Irak, l’indifférence de Washington face à la désintégration sanglante de l’Irak en fiefs sunnite, kurde, chiite a toutes les apparences d’une intention délibérée. Maintenant, les Kurdes s’apprêtent à pérenniser cette scission.
La Syrie a pris le même chemin, piégée dans un conflit bouleversant qui a laissé son dirigeant impuissant. Et, ensuite, Téhéran, la cible des efforts d’Israël et des Etats-Unis pour déchirer l’accord nucléaire conclu en 2015 et le rejeter dans un coin. Les minorités arabe, kurde, balouche et azeri sont mûres pour se révolter.
Le mois dernier, à la conférence d’Herzliya, le grand rassemblement des services de sécurité israélien, le ministre de la Justice, Ayelet Shaked, a réclamé un Etat kurde, disant qu’il serait essentiel à Israël pour « remodeler » le Moyen-Orient.
L’établissement de la carte de la région par la France et la Grande-Bretagne conduira, très probablement, au chaos d’un tel genre qu’un Israël, puissant, nucléaire, propulsé par les Etats-Unis, pourrait facilement exploiter. Et, malheureusement, plus de turbulence ne fera pas avancer la cause palestinienne sur la liste des priorités de la communauté internationale.
*Source (version originale) : Blog de Jonathan Cook
Traduction et Synthèse : Xavière Jardez