Par Gilles Munier (Afrique Asie – juillet 2014)*
Au Kurdistan, il y a maintenant un avant-Mossoul et un après-Mossoul, et ce dernier risque fort de durer longtemps. C’est ce qu’a déclaré Nechirvan Barzani, Premier ministre du gouvernement régional kurde, à la BBC. En effet, la question des livraisons de pétrole kurde à des pays étrangers - notamment à la raffinerie de Mohammedia au Maroc - est passée au second plan, et celle de Kirkouk et des « territoires disputés » ne se pose plus dans les mêmes termes. Le ministère des Peshmerga (Défense) a confirmé que la quasi-totalité des territoires revendiqués était « aux mains des forces kurdes » - avec les ressources pétrolières qu’ils renferment ! -, et que les peshmerga n’interviendraient que si la Région autonome était menacée.
Les rebelles sunnites ont, de leur côté, informé les Kurdes qu’ils n’ont pas l’intention de les combattre sauf en cas d’agression de leur part. Personne ne sait combien de temps cette situation durera, mais pour Rowsch Nuri Shaways, vice-Premier ministre kurde dans le gouvernement de Maliki, interviewé par le site kurde Rudaw : « Puisqu’il a fallu dix ans pour entraîner et financer une armée qui s’est effondrée, il faudrait au moins cinq ans pour en reconstituer une autre». En attendant, les peshmerga resteront dans les régions qu’ils occupent, et Shaways a ajouté que tout dépendra du résultat du referendum prévu par l’article 142 de la constitution, à savoir de l’intégration ou non de Kirkouk dans la Région autonome du Kurdistan.
Ce qu’omettent de dire les dirigeants kurdes, c’est que les peshmerga ont pris le contrôle de villes et de villages peuplés d’Assyriens - comme Al Qosh et Qaraqosh -, de Yézidis - comme Sindjar ou Bashiqa – de Shabaks ou de Turkmènes, une minorité d’environ 3 millions d’habitants. Face aux menaces djihadistes et kurdes, Erşad Salihi, chef du Front Turkmène irakien, a décidé de constituer une milice d’auto-défense, espérant sans trop y croire un soutien de la Turquie.
Les Kurdes apparaissent comme les grands bénéficiaires de la chute de Mossoul. Pour donner l’impression qu’il maitrise la situation, Nouri al-Maliki a informé Massoud Barzani, après coup, qu’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que les peshmerga assurent la sécurité dans les « territoires disputés » ! En bon conspirationniste, il se demande si le président du Kurdistan n’était pas de mèche avec Izzat Ibrahim al-Douri – chef du parti Baas clandestin – et l’Etat islamique en Irak et au Levant qui se sont emparés de la province de Ninive. Qais al-Khazali, un des principaux affidés de Maliki qui dirige l’organisation djihadiste chiite Asa’ib al-Haq (Ligue des Vertueux), l’a dit très clairement à la télévision irakienne. Mais qui sait de quoi demain sera fait ? « Le risque », dit Emma Sky, ancienne conseillère politique de l’Etat-major américain en Irak, « c'est évidemment que l'EIIL se fasse le défenseur des sunnites (dans les zones disputées) et se mette à combattre les Kurdes, ce qui marquerait le début d'une guerre arabo-kurde». On n’en est pas encore là.
*Afrique Asie (p. 53) : http://www.wobook.com/WBD84sk8cx7W-f
Photo : Drapeau de de la Région autonome du Kurdistan irakien
Sur le même sujet, lire aussi :