Par Aziz Pahsad (Revue de presse : Extraits - The Thinker - Afrique du sud - Juillet 2013)*
Il est de plus en plus difficile de comprendre pourquoi la communauté internationale continue d’accepter la politique du Conseil de Sécurité des Nations unies et des puissances occidentales et de leurs alliés dans la région concernant la situation en Libye. Les retombées tragiques du changement de régime dans ce pays font qu’aucun gouvernement démocratique n’y verra le jour.
En mars 2010, l’OTAN a lancé une action militaire en Libye pour y effectuer un changement de régime. En réaction à ces développements dangereux, des centaines d’Africains concernés ont signé une Lettre ouverte exprimant colère et tristesse : que des concitoyens Africains en Libye aient été soumis à la furie de la guerre lancée par des puissances étrangères par l’entremise des appareils militaires de l’OTAN. Cela n’a non seulement pas détruit la détermination libyenne mais a détruit la Libye et a déstabilisé toute la région. Un calcul très conservateur estime à 50.000 personnes, hommes, femmes, enfants tués par l’intervention de l’OTAN pour une « mission humanitaire ».
Aujourd’hui encore, certains gouvernements et leurs acolytes continuent de propager le mythe « d’une révolution populaire » en Libye.
Le 14 mars 2013, au cours d’une session spéciale, l’ONU a adopté une nouvelle résolution sur la Libye qui a étendu le mandat de la mission de soutien de l’ONU à 12 mois dans ce pays, ce qui a permis de débloquer les avoirs libyens et la fourniture d’armes. Décision stratégique puisqu’elle correspondait à une période où les marchands d’armes des puissances occidentales inondaient la Libye de leurs produits alors que la situation économique, politique et sécuritaire s’y aggravait.
En février 2013, le Guardian rapportait que le gouvernement britannique s’inquiétait des démarches entreprises par la France et l’Italie qui, profitant de la situation, vendaient des armes au nouveau régime et que la Grande-Bretagne s’apprêtait, elle aussi, à accroître ses livraisons d’armes à la Libye. Londres envisageait d’envoyer un navire de guerre qui servirait de vitrine flottante pour ce commerce …
L’Occident a utilisé la force militaire
pour installer un régime impopulaire
mais docile…
Le directeur du Centre d’Etudes Politiques (Centre for Political Studies) du Caire, basé à Java, notait que la « démocratie » que l’Occident avait voulu imposer à la Libye avec tant de ferveur ressemble davantage à un régime « médiéval ». « Les frappes aériennes de l’OTAN ont plongé ce pays prospère… au Moyen Age… et l’ont précipité dans la guerre civile. L’Occident a utilisé la force militaire pour installer un régime impopulaire mais docile incapable de régler les disputes religieuses et tribales qui déchirent le pays ». Les milices ont été formées, soutenues et armées par l’OTAN ; elles opèrent en toute impunité, gérant leurs propres fiefs, villes et villages libyens et procèdent à des nettoyages ethniques allant jusqu’à la création de chambres de torture et de prisons.
Karim Mezran, du Centre Rafik Hariri pour le Moyen-Orient confirme que « le gouvernement a été paralysé et a permis l’installation de camps de djihadistes dans le sud et l’est du pays »…. Ce mythe du « processus démocratique » en marche a été érodé par les événements de mai 2013 quand des milices lourdement armées ont entouré les bâtiments du gouvernement à Tripoli et demandé que tous les officiels de l’ancien régime soient démis de leurs fonctions. 164 membres du Front Islamiste pour la Justice et la Construction sur les 200 membres du General National Congres (GNC) ont voté la Loi pour l’Exclusion Politique avec quatre abstentions. Les conséquences de ce texte ne sont pas encore très claires… Une commission spéciale a été mise sur pied pour son application… Cette même politique d’exclusion est préconisée par les forces d’occupation et nombre des think tanks occidentaux, comme elle le fut en Europe de l’Est après la chute du camp socialiste. La « débaasification » de l’Irak a été la source de la violence catastrophique, la « dékadhafisation » aura les mêmes conséquences négatives en Libye.
Une situation hors de contrôle
Tout comme ils l’ont fait en Afghanistan lorsqu’ils ont créé Al-Qaïda pour combattre les forces soviétiques, et en Irak avec le renversement de Saddam Hussein, les Occidentaux ont encouragé des forces qu’ils ne peuvent plus contrôler. Mokhtar Belmokhtar, le fondateur algérien de la Brigade des Moulathamine (Brigade masquée) a dit à un journal mauritanien (mi-décembre 2012), que «les djihadistes d’Al-Qaïda étaient les principaux bénéficiaires des soulèvements dans les pays arabes parce que ces soulèvements ont brisé les chaînes de la peur … que les agents des régimes occidentaux imposaient ».
Le Centre pour le Terrorisme de l’Académie militaire US de West Point, après avoir analysé les documents du Sindjar d’Al-Qaïda, saisis en 2007, a conclu « que la Libye a fourni le plus grand nombre de combattants pour combattre les forces de la coalition en Irak après la chute du régime, tous motivés par une vision anti-américaine et djihadiste ». En 2008, l’ambassade US à Tripoli a informé le State Department que beaucoup de Libyens de l’est étaient fiers des actions des leurs en Irak et s’inquiétait de « la disponibilité d’imams radicaux pour prêcher un message incitant à soutenir et à participer au djihad ». Les membres de l’OTAN ne peuvent prétendre ignorer que les combattants en Libye étaient rattachés à des groupes extrémistes ou soutenus par des groupes étrangers.
Youssef Jihani, membre d’Ansar al Sharia à Benghazi a confirmé lors d’un entretien avec Associated Press, fin 2012, que le renversement de Kadhafi n’aurait pu être possible sans la participation armée des djihadistes qui se sont joints au soulèvement pour en assurer le succès pour « un Etat islamique avec la Charia pour règle »… Il est à noter que c’est ce même groupe qui est l’auteur de l’assassinat de quatre américains dont l’ambassadeur Stevens en septembre 2012. Il contrôle avec d’autres groupes, partageant la même idéologie, une grande partie de la région et des points de contrôle y menant. Cet attentat a forcé certaines puissances occidentales à reconnaître que la situation était hors de contrôle et que les milices armées soutenues par ces puissances détenaient les puits de pétrole de la région. Les auditions sur l’attentat de Benghazi ont passé sous silence les nombreux rapports qui indiquaient que les bâtiments de cette ville étaient utilisés pour des activités visant à changer le régime en Syrie.
L’International News Safety Institute a signalé que de source sûre (24 janvier 2013), « des organisations terroristes s’apprêtaient à lancer des attaques contre les champs pétrolifères en Libye… La plupart est située à l’est de Benghazi où les groupes islamistes poussent à la séparation d’avec Tripoli ». Les commandants libyens ont demandé à ce que des milices pro-gouvernementales ou des « révolutionnaires » de Zintan viennent les renforcer. L’usage de drones par les Etats-Unis n’est pas écarté ce qui aura pour effet de rallier les milices disparates et accentuera les actions anti-occidentales … Les Etats-Unis ont d’ailleurs déplacé des troupes de l’Espagne à la Sicile et les forces US en Allemagne ont été mises en état d’alerte. Les conséquences négatives d’un changement de régime ne sont pas circonscrites à la seule Libye.
Un rapport de l’ONU de janvier 2012 avertissait que les gouvernements du Sahel s’efforçaient de faire face à un pic de prolifération d’armes, de crimes organisés et de terrorisme. Les analystes pensaient que les militants liés à Al-Qaïda auraient une base solide en Libye pour s’étendre dans les régions désertiques de l’Afrique du Nord et du Sahel où les frontières s’étirent sur des kilomètres et ont peu de signification, où les gouvernements locaux sont faibles et où les réseaux ethniques et tribaux s’étendent de part et d’autre. Scott Steward de l’agence de renseignement US Strafor, disait que « la Libye est, si vous êtes un extrémiste, un bon endroit pour opérer. Il y a des lignes de partage et de divisions… le gouvernement central en dehors de Tripoli a peu d’autorité. C’est un environnement favorable à la survie du djihad ».
Un rapport du groupe d’experts du Conseil de sécurité de l’ONU de mai 2013 concluait à la faiblesse des forces de sécurité du gouvernement libyen et … « la prolifération des armes de la Libye vers d’autres pays à un rythme effrayant… l’illégal déborde… et donne du nerf à des conflits existant en Afrique et enrichit l’arsenal des acteurs non gouvernementaux dont les groupes terroristes ». Des enquêtes montrent que le transfert d’armes à partir de la Libye ou du Sahel a touché une douzaine de pays dont l’Egypte, le Mali, l’Algérie, la Tunisie, le Niger. Il notait aussi que les rebelles syriens ont, depuis certaines villes libyennes, Misrata, Benghazi, reçu des armes de Turquie et du Nord Liban et que les volumes concernés ne seraient pas possibles sans le soutien des gouvernements susdits. Les services de sécurité évaluent à 30 000 le nombre de missiles sol-air disparus des arsenaux de Kadhafi …
Le « Printemps arabe » devait être suivi
d’un « Printemps du secteur privé »
La France a engagé une intervention militaire au Mali en janvier 2013, intervention « humanitaire » qui, incroyablement, a été accueillie favorablement en Afrique pour la « stabilité » qu’elle engendrait en dépit d’actes de terrorisme sporadiques et dont les conséquences négatives ne seront malheureusement évidentes que plus tard… Nos analyses des crises grandissantes au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et au Sahel et du contrecoup visant les puissantes occidentales ne doivent pas nous conduire à devenir les instruments de la campagne orchestrée pour lier ces crises à une croisade anti-islamique. Certes, des Musulmans, pour des raisons diverses, ont adopté une approche intégriste et violente pour tenter de résoudre les contradictions qui minent leurs sociétés, mais cela ne justifie en rien des actes anti-islamiques. Les puissances occidentales doivent prendre acte de ce que leurs politiques et leur soutien ont donné naissance et ont renforcé les forces extrémistes.
« L’intervention humanitaire » est l’excuse utilisée dans des régions stratégiques pour consolider l’hégémonie politique, économique et militaire des puissances occidentales. Aujourd’hui, la souveraineté et l’indépendance de la Libye sont nominales et ses ressources sont la proie d’étrangers. Christine Lagarde du FMI a récemment dit que le « Printemps arabe » devait être suivi d’un « Printemps du secteur privé ». Le FMI avait reconnu le Conseil National de Transition alors que Kadhafi était toujours au pouvoir.
Le déficit budgétaire en 2012 était de 27% du PNB tandis que le surplus en 2010 s’élevait à 16,2%. Le FMI a imposé un programme d’ajustement structurel par l’élimination des subventions, la réduction des salaires du privé et de l’emploi. Les investisseurs pétroliers, étrangers et avocats du changement de régime, ont pour leur part reçu des réductions de taxes de 65%. La guerre en Libye a facilité le renforcement de la présence militaire des Etats-Unis et de la France en Afrique. Est-ce en réponse à l’émergence de nouvelles puissances comme la Chine ou « au nouveau pillage de l’Afrique » ?...
« Ceux qui ont déversé des bombes sur la Libye
ne doivent pas crier victoire
Rappelons que le 10 mars 2011, le Conseil de Sécurité et pour la Paix de l’Union Africaine avait adopté une importante Résolution pour régler le conflit libyen, en accord avec les obligations de l’Union Africaine découlant du Chapitre VII de la Charte des Nations unies. Cinq chefs d’Etat avaient été nommés pour exécuter cette résolution. Ce plan demandait la cessation immédiate des hostilités, le désarmement des milices, la protection de la population migrante, dont les Africains, l’amorce du dialogue entre les parties libyennes et l’établissement d’une période de transition, etc…
Sept jours plus tard, le 17 mars 2011, le Conseil de Sécurité de l’ONU adoptait sa Résolution 1973 alors qu’il avait connaissance de la résolution de l’UA et de la prise de fonction des chefs d’Etat. En décidant d’ignorer les démarches de l’UA, le Conseil de Sécurité a délibérément contribué à corrompre le droit international et à ruiner la légitimité de l’ONU aux yeux des peuples africains.
Comme l’ont écrit les « Africains concernés » dans leur Lettre ouverte : « le Conseil de Sécurité dont le mandat est la promotion de la paix et de la sécurité internationales a été contraint d’entériner le processus pernicieux de marginalisation de l’Afrique pour la résolution des conflits sur ce continent ». « Ceux qui ont déversé des bombes sur la Libye ne doivent pas crier victoire maintenant que leurs avions sont rentrés dans leurs bases, ni ne doivent imaginer que le silence apparent des millions d’Africains signifie que l’Afrique approuve la campagne de mort, de destruction et de domination que le changement de régime représente ».
L'Afrique doit agir avec détermination et conviction pour défendre le droit des Africains - y compris des Libyens - à décider de leur avenir et de leur destinée, où que ce soit sur le continent.
Intertitres : AFI-Flash
*Traduction et synthèse par Xavière Jardez