Par Gilles Munier
Le 25 octobre – un vendredi, jour de prière pour les musulmans - la télévision d’Etat syrienne a annoncé la mort près de Lattaquié - c’est-à-dire au cœur du pays alaouite, bastion du clan Assad - de Abou Mohammad al-Golani, chef de Jabhat al-Nosra (Front de soutien), principale organisation de l’opposition armée. Le régime cherchait sans doute à remonter le moral de ses sectateurs car l’information a été retirée le lendemain du site de l’agence de presse officielle SANA, sans explication. De son côté, le Front al-Nosra, a démenti la nouvelle, accusant les médias de propagande.
On sait peu de choses sur Abou Mohammad al-Golani, surnommé « Al Cheikh Al Fateh » (le Cheikh Conquérant) par ses partisans. Les opposants syriens combattent sous des noms de guerre pour des raisons de sécurité - notamment pour ne pas mettre en péril leur famille - mais aussi – s’agissant des dirigeants salafistes – parce que le culte de la personnalité est contraire aux préceptes de l’islam.
Selon des « responsables régionaux du renseignement » (1), le chef du Front al-Nosra aurait choisi de s’appeler al-Golani parce qu’il est natif du plateau du Golan… à moins que ce ne soit pour marquer symboliquement sa différence avec le régime bassiste syrien qui s’accommode depuis 1967 de l’occupation, puis de l’annexion de cette région par Israël.
Abou Mohammad al-Golani, âgé de 39 ans, professeur d’arabe classique, est Syrien. Il a rejoint Al-Qaïda au Pays des deux fleuves dès sa création par le jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui et combattu les troupes d’occupation étasuniennes en Irak jusqu’en 2006. Son expérience l’a fait désigner pour conseiller au Liban Jund al-Sham (Soldats de la Syrie, au sens de Grande Syrie, c’est-à-dire comprenant au moins la Palestine, la Jordanie et le Liban), une organisation djihadiste palestinienne également proche de Zarqaoui.
Arrêté par l’armée américaine quelques mois plus tard à son retour en Irak, il a été emprisonné au camp Bucca, terrible pénitencier situé en plein désert près d’Oum Qasr, au sud de Bassora (2). Libéré en 2008, il a rejoint « L’Etat Islamique en Irak », dirigé par Abou Bakr al-Baghdadi (nom de guerre) qui l’a nommé chef des opérations pour la province de Ninive (Mossoul).
Se démarquer des pratiques de « L’Etat Islamique en Irak »
En janvier 2012, L’Etat Islamique en Irak l’a aidé à constituer le Front al-Nosra. La nouvelle organisation s’est d’abord attiré la sympathie de la population des zones qu’elle administre grâce aux activités de sa branche humanitaire Qism Al-Ighata (L'organisme du secours), ce qui n’est pas le cas de certaines brigades de l’ASL (Armée syrienne libre) dans les régions où elles sévissent.
Pour se démarquer d’Abou Bakr al-Baghdadi et des pratiques barbares d’Al-Qaïda en Irak (AQI), Abou Mohammad al-Golani a prêté allégeance à Ayman al-Zawahiri, successeur d’Oussama Ben Laden, et refusé d’adhérer à « L’Etat Islamique en Irak et au Levant», ce qui lui donne plus de marge de manœuvre.
Le Front al-Nosra est inscrit sur la liste des organisations terroristes du Département d’Etat américain et, depuis mai dernier, sur celle du Conseil de sécurité de l’ONU. On estime à 7 000 le nombre des combattants qui s’en réclament, syriens en grande majorité.
« C'en est fini du régime tel qu'il a existé »
En septembre dernier un rapport de l'IHS Jane's (institut et revue britanniques spécialisés dans le renseignement) estimait à 100 000 combattants l’opposition armée syrienne, répartis en un millier de brigades, dont un tiers se réclamant de l’Armée syrienne Libre (ALS). Depuis, les organisations les plus importantes ont quitté l’ALS pour créer une nouvelle coalition comprenant le Front al-Nosra. Pour les groupes islamiques radicaux, les opposants qui participeraient à la conférence de Genève-2 seront considérés comme des « traîtres » et, en conséquence, devront répondre de leurs actes devant des tribunaux. Inutile de dire que ces menaces en font réfléchir plus d’un.
Pour le communiste Qadri Jamil (3), vice-Premier ministre syrien, limogé dernièrement par Bachar al-Assad pour « avoir quitté son lieu de travail sans autorisation préalable» (!) - en fait pour s’être entretenu à Genève avec Robert Ford, responsable très controversé du dossier Syrie au Département d’Etat américain - «ni l’opposition armée ni le régime ne sont capables de vaincre le camp adverse ». En septembre dernier, Qadri Jamil estimait, dans une interview accordée au quotidien britannique The Guardian, que « pour de multiples raisons concrètes, c'en est fini du régime tel qu'il a existé » (4). Reste à savoir si son initiative genevoise n’est pas une manœuvre de Moscou - ou de Damas - pour diviser un peu plus l’opposition syrienne dite modérée.
Sources:
(1) Al Qaeda’s Nusra Front leader stays in Syria’s shadows, par Zeina Karam and Qassim Abdul-Zahra (The National – 4/11/13)
(2) Ce pénitencier qui a compté jusqu’à 28 000 prisonniers politiques, était décrit par le quotidien suisse Le Temps (6/11/09) comme « un authentique camp de concentration au plein sens du terme ». Les prisonniers y étaient enfermés, « sans jugement, sans avocat, sans même un mandat d’arrêt », dans des conteneurs et des tentes par 60° l’été et -10° la nuit, l’hiver.
(Résistants prisonniers : La grande évasion, par Gilles Munier - Afrique Asie – septembre 2010 : http://0z.fr/zFZ7x )
(3) Exclu en 2000 du Parti communiste syrien pour « trotskisme », Qadri Jamil - marié à la fille du Kurde Khalid Bagdache, secrétaire général du parti de 1936 à sa mort en 1995 - a fondé le Comité national pour l’unité des communistes syriens. Il est membre de la présidence du Front Populaire pour le Changement et la Libération qui regroupe des opposants proches du régime de Bachar al-Assad.
(4) Syrian government says war has reached stalemate (The Guardian – 19/9/13)
http://www.theguardian.com/world/2013/sep/19/syrian-government-civil-war-stalemate
Sur le même sujet, lire aussi:
Mais où est donc passée la résistance irakienne ?
http://0z.fr/wV158
La famille Assad doit partir, d’une manière ou d’une autre