Revue de presse : Mounadil al-Djazaïri (15 octobre 2024)*
L’historien Zachary Foster aborde un sujet qui semble aller de soi pour beaucoup de personnes : le rôle du sionisme dans la protection des communautés juives victimes de l’antisémitisme européen qui connut son paroxysme avec la déportation dans les camps de concentration nazis et la mort de millions de Juifs.
Or le sionisme ne s’était pas donné pour objectif de mettre les Juifs européens à l’abri des pogroms mais de construire un État juif afin de créer un Juif nouveau qui ne serait plus objet du mépris des Goyim car devenu digne de respect. Un aspect du sionisme des débuts est en effet de considérer que l’antisémitisme n’est pas sans justification et que l’enracinement du «peuple» juif dans ce qui deviendrait sa patrie serait de nature à «normaliser» les Juifs.
Le projet national du sionisme est marqué des stigmates du nationalisme européen de l’époque avec une tendance racialiste marquée et une volonté d’insertion dans les schémas impériaux et coloniaux caractéristiques de l’Europe du 19ème du 20ème siècles, schémas en vigueur jusqu’en 1945 et qui subsistent à l’état de quasi refoulé en Occident.
La compromission du sionisme avec le nazisme n’est plus un secret que pour ceux qui ne veulent pas savoir.
Le sionisme visait-il à sauver les Juifs fuyant la persécution ? Non.
Par Zachary Foster, Palestine Nexus, 15 octobre 2024 Traduction Google amendée par Djazaïri
Pendant des décennies, les sionistes ont cru que leur mouvement avait pour objectif premier de sauver les Juifs fuyant les persécutions. Pourtant, tous les dirigeants clés du mouvement sioniste des années 1880 à 1948 ont rejeté cette idée. Ils pensaient au contraire que les intérêts de l’État l’emportaient sur ceux des Juifs persécutés. Voici une brève histoire du mythe le plus répandu sur le sionisme aujourd’hui.
Entre les années 1880 et 1914, les dirigeants sionistes ont rejeté l’immense majorité des Juifs qui souhaitaient s’installer en Palestine ottomane. Arthur Ruppin et Menahem Sheinkin, responsables de la politique d’immigration sioniste, ont dit à environ 61 % des Juifs qui souhaitaient s’installer dans les colonies de ne pas venir .
Gur Alroey, Une terre peu prometteuse La migration juive vers la Palestine au début du XXe siècle (Stanford University Press, 2014), ch. 2
Pour quelle raison? Ils étaient trop démunis. Ruppin et Sheinkin préféraient les Juifs riches aux Juifs pauvres. « Plus le capital dont dispose le candidat est faible, plus il est probable qu’on lui déconseille d’aller en Palestine », explique l’historien israélien Gur Alroey. Après tout, la tâche à accomplir était d’établir un État juif en Palestine, et non de sauver les Juifs persécutés. Ce dernier objectif était pertinent dans la mesure où il facilitait le premier, et non l’inverse.
Sheinkin a même expliqué aux Juifs persécutés d’Europe pourquoi ils n’étaient pas les bienvenus : «Tant que les capitalistes n’arriveront pas dans le pays, il n’y aura pas de place pour les travailleurs. » Il s’agissait d’une approche de l’immigration qui mettait les « capitalistes d’abord » en avant, pour reprendre les termes d’Alroey, le plus grand expert mondial sur le sujet. Cette politique donnait la préférence aux Juifs des classes moyennes ou supérieures aux migrants pauvres victimes des vagues de pogroms. Ceux qui avaient le plus besoin d’un refuge sûr étaient précisément ceux qui étaient rejetés.
Dans les années 1920, les dirigeants sionistes continuèrent à s’opposer à « l’immigration de masse » et à « l’ouverture des frontières ». Des centaines de milliers de Juifs souffrirent des pogroms en Ukraine entre 1918 et 1920, mais cela n’eut que peu d’impact sur l’approche sioniste de l’immigration.
Ruppin craignait qu’un afflux massif de « réfugiés de qualité inférieure », pour reprendre ses termes, ne constitue un danger pour le Yishouv, qui avait besoin de candidats possédant la «profession, l’état de santé et le caractère adéquats ». La dernière chose que souhaitait la communauté juive de Palestine était un grand nombre «d’éléments indésirables», du moins c’est ce que pensait Ruppin.
En fait, Ruppin cherchait à empêcher les réfugiés juifs les plus nécessiteux qui entraient en Palestine sans invitation officielle de la communauté sioniste de bénéficier des avantages liés à leur intégration. Il voulait priver ces Juifs d’un logement temporaire, de possibilités d’emploi, de crédit, d’assistance médicale gratuite et d’assurance contre les accidents du travail. Il espérait ainsi les décourager de venir en Palestine, où ils empêcheraient les sionistes de construire un État juif dans un pays arabe, une tâche déjà lourde de défis.
Chaim Weizmann, figure centrale du mouvement sioniste à l’étranger, partageait cet avis. En 1919, il écrivait que « hélas, le sionisme ne peut pas apporter de solution aux catastrophes », fermant la Palestine à des milliers de juifs fuyant les persécutions en Ukraine. Weizmann préférait les immigrants productifs aux réfugiés nécessiteux à tel point qu’il essaya même de persuader les autorités britanniques de limiter les quotas d’immigration juive de 1919 à 1929. Pour Weizmann, les survivants des récents pogroms ne seraient pas aptes à construire un paradis sioniste dans un pays arabe.
L’approche britannique reflétait la position officielle du sionisme. En 1919, le colonel britannique Meinertzhagen écrivait : « Le sionisme n’implique pas l’inondation de la Palestine par les classes juives les plus pauvres… l’immigration dans ses premières étapes signifie seulement l’introduction du capital nécessaire au développement, de la main-d’œuvre qualifiée et de la capacité intellectuelle scientifique préparatoire, afin de construire un foyer sain et préparé. » Les colons juifs disposant de moyens économiques, d’un soutien financier ou de compétences professionnelles étaient préférés .
Au début des années 1930, les réfugiés juifs ont tenté par tous les moyens d’entrer en Palestine, mais les réfugiés juifs pauvres n’étaient pas les bienvenus. Les immigrants devaient payer une grosse somme d’argent pour obtenir un certificat d’entrée dans le pays. Dans d’autres cas, ils devaient avoir des proches disposant de revenus suffisants pour subvenir aux besoins du nouveau venu.
Puis, en 1938, les Juifs allemands furent soumis au pire pogrom de leur histoire, la Nuit de Cristal, au cours de laquelle des milliers de magasins, d’entreprises et de maisons juives furent saccagés et détruits dans toute l’Allemagne.
Peu de temps après, une opération de sauvetage fut organisée, connue sous le nom de «Kindertransport», dans laquelle la Grande-Bretagne accepta à contrecœur d’autoriser 10 000 enfants juifs d’Allemagne à venir en Grande-Bretagne.
En réponse, Ben Gourion déclara le 9 décembre 1938 : « Si je savais qu’il serait possible de sauver tous les enfants d’Allemagne en les ramenant en Angleterre, ou seulement la moitié d’entre eux en les transportant en Israël, alors j’opterais pour la deuxième solution, car nous devons prendre en compte non seulement la vie de ces enfants, mais aussi l’histoire du peuple d’Israël » [ 1 , 2 , 3 ]. Tout comme Ruppin et Weizmann, Ben Gourion comprenait que sauver les Juifs ne devait pas faire obstacle à la construction d’un État juif.
Ben Gourion comprenait que le mouvement sioniste risquait de devenir un sujet secondaire pour les philanthropes juifs. « Si les Juifs sont confrontés à un choix entre le problème des réfugiés et le sauvetage des Juifs des camps de concentration d’un côté, et l’aide à la Palestine de l’autre », avait déclaré Ben Gourion, « toute la force de notre peuple sera consacrée à l’aide aux réfugiés. » Il insistait sur le fait que dès lors «le sionisme disparaîtra de l’ordre du jour de l’opinion publique mondiale… nous risquons l’existence même du sionisme si nous permettons que le problème des réfugiés soit séparé du problème de la Palestine. »
En bref, les trois dirigeants sionistes les plus importants de l’entre-deux-guerres, Arthur Ruppin, Chaim Weizmann et David Ben Gourion, ont clairement exprimé leur préférence pour la construction d’un État plutôt que pour le sauvetage des Juifs. Hélas, les dirigeants sionistes n’ont cherché à sauver les Juifs de la persécution que dans la mesure où cela servait l’intérêt de l’objectif réel du sionisme, à savoir l’établissement d’un État juif en Palestine. Pour les sionistes, le caractère sacré de l’État juif l’emportait sur le caractère sacré de la vie juive.
*Source : Mounadil al-Djazaïri