Par Shay Fogelman (revue de presse : Haaretz via AURDIP – 21 août 2024)*
Pieds et mains menottés. Yeux bandés. Interdiction de bouger. De parler. Et parfois, des passages à tabac violents. Jour après jour, semaine après semaine passent ainsi à l’établissement de Sde Teiman destinés aux terroristes du Hamas et aux civils palestiniens de Gaza. Les personnes que nous avons interviewées le savent. Elles ont servi là-bas.
Dans les jours qui ont suivi l’attaque surprise sur le sud d’Israël le 7 octobre, un total de quelque 120 militants du Hamas, membres de l’aile militaire Nukhba du mouvement et civils palestiniens de la Bande de Gaza ont été emprisonnés en Israël. Ils ont été envoyés à un établissement de détention spécialement créé sur une base de la police militaire au camp de Sde Teiman, entre les villes d’Ofakim et de Be’er Sheva dans le Néguev. Dans les mois qui ont suivi, plus de 4500 autres habitants de la Bande de Gaza, parmi lesquels des terroristes de diverses organisations et des civils, y ont été incarcérés.
Peu de temps après la mise en fonctionnement de l’établissement, des témoignages ont été publiés dans des médias israéliens et étrangers, disant que les détenus y étaient affamés, battus et torturés. Il a aussi été allégué que les conditions de détention n’étaient pas conformes au droit international. D’autres allégations ont été faites à propos du traitement à l’hôpital de campagne installé à proximité. Le personnel a témoigné que les patients détenus étaient nourris avec une paille, contraints à se soulager dans des couches et menottés si étroitement, 24 heures par jour, qu’il y avait eu plusieurs cas d’amputations des membres.
Il y a deux mois, on a appris que les Forces de défense israéliennes menaient une enquête criminelle contre des soldats qui auraient été impliqués dans la mort de 36 détenus du camp. Le mois dernier, 10 réservistes ont été arrêtés, soupçonnés d’abus sexuels violents sur un prisonnier. Les soldats, réservistes ou non, assignés à Sde Teiman, sont subordonnés à la police militaire, qui a l’autorité suprême sur ce qui se passe là-bas.
À la suite des nombreux témoignages qui ont fait surface, cinq organisations de défense des droits humains ont saisi la Haute Cour de justice, demandant la fermeture du site. Début juin, l’État a annoncé en réponse qu’il prévoyait de transférer la plupart des détenus dans des établissements gérés par le Service israélien des prisons et de redonner au camp sa mission originelle « d’établissement pour une [incarcération] temporaire, de courte durée, à des fins d’interrogatoire et de classification seulement ». Dans une autre réponse à la Haute Cour de justice au début de ce mois, l’État a déclaré qu’il n’y avait plus maintenant que 28 détenus dans l’établissement.
Depuis que la guerre a éclaté, des milliers de soldats israéliens des forces régulières ou de réserve ont servi à Sde Teinam. La plupart ont été postés là dans le cadre d’une mission à laquelle leur unité était affectée. D’autres ont été volontaires pour y servir pour diverses raisons. Ces derniers mois, plusieurs soldats et professionnels de santé ont accepté de parler avec Haaretz de la période où ils s’y trouvaient. Huit de ces témoignages suivent, anonymement et en ordre chronologique, depuis le séjour le plus ancien jusqu’au plus récent.
N., un étudiant du Nord, réserviste
« J’ai été mobilisé avec tout le bataillon le 7 octobre. Nous avons été envoyés pour sécuriser des communautés dans la partie ouest du Neguev, et après deux semaines, nous nous sommes déplacés vers Be’er Sheva. J’étais engagé dans une activité sans lien avec le bataillon quand j’ai vu sur le groupe What’sApp de la compagnie des annonces pour une autre mission — quelque chose de nouveau : service de garde à Sde Teinam. Ce n’était pas très clair au début.
« Quand je suis retourné à ma compagnie, les gens chuchotaient déjà entre eux à propos de l’endroit. Quelqu’un a demandé si j’avais entendu parler de ce qui se passait là-bas. Quelqu’un d’autre a dit : « Tu sais que tu dois frapper des gens là-bas », comme s’il me provoquait et voulait tester ma réaction, voir si j’étais un gauchiste ou quelque chose comme cela. Il y avait aussi un soldat dans la compagnie qui se vantait d’avoir frappé des gens dans cet établissement. Il nous a dit y être allé avec un officier de garde de la police militaire et qu’ils avaient frappé un des détenus avec des matraques. J’étais curieux de voir l’endroit et les histoires me semblaient un peu exagérées, donc je me suis plus ou moins porté volontaire pour aller là-bas.
À Sde Teinam, nous gardions le lieu de détention des prisonniers. Nous avions de périodes de travail de 12 heures, jour ou nuit. Les médecins et le personnel médical du bataillon faisaient des périodes de 24 heures à l’hôpital de campagne. À la fin de chaque garde, nous retournions dormir à Be’er Sheva.
Les détenus étaient dans un vaste hangar avec un toit et des murs sur trois côtés. Au lieu du quatrième mur, face à nous, il y avait une clôture avec une double porte et deux serrures, comme dans les parcs pour les chiens. Une clôture de barbelés entourait le tout. Nos positions étaient proches des deux coins de la clôture, à une sorte de diagonale, derrière des blocs de béton en forme de U. Un soldat se tenait à chaque poste, observant les détenus et assurant la protection du personnel de la police militaire chargé de gérer l’endroit. Nous étions en poste deux heures de suite, avec deux heures de repos entre. Si vous n’étiez pas de garde, vous pouviez aller dans l’aire de repos, une sorte de tente où il y avait des boissons et des collations.
« Les prisonniers étaient assis sur le sol sur huit rangs, avec à peu près huit personnes dans chaque rang. Un des hangars contenait 70 personnes et le deuxième environ 100. La police militaire nous a dit qu’ils devaient rester assis. Ils n’étaient pas autorisés à jeter un coup d’oeil à travers leur bandeau. Ils n’étaient pas autorisés à bouger. Ils n’étaient pas autorisés à parler. Et que si … ce qu’ils [la police militaire] ont dit, c’est que s’ils enfreignaient les règles, il était permis de les punir. »
... La suite sur le site de l’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) : ICI
Version originale : Haaretz
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