Par Elisabeth Sedmik, Nathalie Lahire et May Bend (revue de presse : Banque mondiale blogs – 4/11/20)*
Pour Amal, aller à l’école de sa petite bourgade dans le gouvernorat d’Al-Anbar était toujours un plaisir… jusqu’à ce jour de février où toutes les écoles d’Iraq ont fermé pour contenir la propagation du coronavirus. La fillette de six ans, à l’esprit curieux, aimait découvrir la lecture et l’écriture avec ses camarades. Son école fonctionnant avec un système de classes par roulements, elle ne suivait que quelques heures de cours par semaine, cependant elle était toujours attentive. Deux semaines après avoir finalement appris à écrire son prénom (qui signifie « espoir »), la COVID-19 a commencé à se propager dans son village et Amal a été renvoyée chez elle.
Son école est restée fermée jusqu’à la fin de l’année scolaire.
En Iraq, plus de 11 millions d’enfants ont été touchés par les fermetures d’établissements scolaires. Amal passe ses journées chez elle, coupée de ses amis de l’école et privée de cet apprentissage qu’elle appréciait tant. Et elle ne peut pas toujours profiter des solutions à distance qui ont été mises en place : dans les zones rurales comme celles où elle vit, les connexions internet sont rares et la fillette doit partager un ordinateur avec ses frères et sœurs. Son frère aîné l’a plus ou moins accaparé pour préparer son examen final de classe de terminale, dont le résultat déterminera son parcours universitaire et, à terme, son métier.
Même quand Amal parvient à se connecter ou à utiliser les documents que son enseignant lui envoie par téléphone, elle ne maîtrise pas encore suffisamment la lecture pour être à l’aise avec ces supports écrits.
La situation d’Amal ressemble à celle de nombreux enfants qui s’efforcent, malgré la pandémie, d’acquérir des compétences de base indispensables pour leur apprentissage et leur futur parcours scolaire. Des années de conflit et d’insuffisances structurelles expliquent que le système éducatif iraquien échoue à impartir les fondamentaux et le niveau d’instruction nécessaires pour mener une vie adulte réussie. Selon une évaluation des capacités de lecture des jeunes élèves (a), la plupart des écoliers du pays en 2e et 3e années (CE1 et CE2) étaient incapables de comprendre un texte adapté à leur âge.
Une enquête récente de l’UNICEF a révélé que 75 % seulement des petits Iraquiens scolarisés en primaire et moins de 50 % des élèves du secondaire vont au terme de leur scolarité.
Les fermetures actuelles risquent d’aggraver le décrochage scolaire, surtout en milieu rural et dans les foyers les plus modestes. Comme dans de nombreux autres pays, la crise devrait accentuer les inégalités d’apprentissage. Le ministère iraquien de l’Éducation a mis en place une plateforme en ligne et des émissions télévisées pour assurer la continuité des cours, mais cette offre concerne surtout les élèves des classes supérieures ayant un examen en fin d’année. Et, inévitablement, ce dispositif privilégie les enfants pouvant accéder à la technologie.
Les fermetures des écoles auront un impact durable sur l’avenir d’Amal et de ses camarades de classe ainsi que sur les perspectives économiques du pays tout entier. Même avant la survenue de la pandémie, les écoliers iraquiens étaient très en retard en termes de développement du capital humain tel que mesuré par l’indice de la Banque mondiale. Un enfant qui vient au monde aujourd’hui en Iraq n’atteindra, en moyenne, que 41 % de son niveau potentiel de productivité (a) à l’âge adulte. Sur une durée moyenne de scolarité de sept ans, le niveau d’instruction atteint ne correspond qu’à quatre années de cours.
Les fermetures d’école induiront une « perte d’apprentissage » encore plus prononcée (a). La Banque mondiale (a) estime qu’à l’échelle mondiale, les pertes de revenu sur la vie entière de la cohorte actuelle d’élèves pourraient dépasser les 10 000 milliards de dollars (a). Ce qui équivaudrait à un manque à gagner annuel sur une vie entière d’au moins 5 % (environ 31 milliards de dollars) pour tous les étudiants d’Iraq.
La crise sanitaire affectant de nombreux secteurs, pourquoi des pays comme l’Iraq devraient-ils axer leurs investissements sur l’éducation ? Dans les enveloppes destinées à assurer le redressement, l’éducation fait partie des dépenses de relance budgétaire parmi les plus efficaces (a). La corrélation entre les compétences acquises à l’école et la croissance économique est avérée depuis longtemps et les retours sur investissement dans l’éducation sont bien supérieurs aux autres investissements (a), pour les individus comme pour les États.
L’Iraq pourrait tirer les leçons de la crise sanitaire actuelle et profiter des opérations de relance pour reconstruire en mieux. Plus que jamais, les autorités doivent protéger aujourd’hui l’instruction des enfants les plus pauvres et vulnérables. La Banque mondiale propose une riposte stratégique en trois actes : 1) adaptation : une réponse éducative d’urgence qui permettra de préserver la sécurité des enfants tout en soutenant la poursuite des apprentissages ; 2) gestion de la continuité : à mesure que les écoles rouvrent, le gouvernement doit garantir la sécurité de tous, veiller à réduire le nombre de décrocheurs et assurer une reprise des apprentissages afin de renforcer le capital humain ; et 3) amélioration et accélération : il faut profiter des opportunités qui s’offrent pour reconstruire des systèmes éducatifs plus solides et plus équitables qu’avant.
Le recours à des approches novatrices de prestation de l’éducation est indispensable pour atténuer les pertes d’apprentissage et édifier un système éducatif résilient offrant à tous les enfants d’Iraq la possibilité de s’instruire. Les infrastructures TIC sont rares et leur accès très inégal. Des solutions locales pour assurer des services éducatifs et faisant appel aux communautés sont indispensables pour garantir un apprentissage pour tous. Ainsi, le recours à une approche mixte reposant sur la diffusion de contenus en ligne et hors ligne peut permettre aux enfants les plus vulnérables de bénéficier d’un apprentissage sans rupture. Cette forme d’assistance peut s’appuyer sur la technologie TIC la plus répandue (a) — les téléphones portables — dont 99 % des ménages sont équipés avec, en parallèle, un accompagnement proposé aux adultes qui aident les enfants à apprendre depuis la maison et continueront de le faire quand les écoles auront rouvert.
En primaire, la priorité doit être mise sur les supports de lecture et, au niveau des supports d’apprentissage et d’accompagnement des enseignants, sur le renforcement des compétences fondamentales.
- Dans le secondaire, des approches novatrices pourraient favoriser l’auto-apprentissage en mettant à la disposition des élèves des contenus complémentaires de qualité sans renoncer aux cours visant à impartir des compétences utiles au quotidien et pour la vie professionnelle.
- Des filets sociaux adaptés, via par exemple des programmes de transferts monétaires, pourraient aussi être déployés en direction des enfants les plus fragiles pour faire en sorte que les plus menacés par le décrochage puissent poursuivre leur cursus scolaire.
Source : Banque mondiale blogs