Netanyahou : « Dans combien de temps serai-je inculpé ? »
Editorial de Maurice Buttin (revue de presse : Courrier du CVPR n° 74 - septembre 2019)
Le premier ministre sortant, Benyamin Netanyahou, a perdu sa majorité en avril dernier par la défection de son ex-allié stratégique Avigdor Lieberman, ancien videur de boîtes de nuit, devenu ministre de la Défense. Désireux de se maintenir à tout prix au pouvoir pour des raisons personnelles, il a dissous la Knesset (le parlement) et décidé de nouvelles élections, le 17 septembre.
Provocations
Netayahou a alors multipliées les provocations. Une constante combattivité, qui fut et demeure sa marque de fabrique. Mais cachant beaucoup de faiblesse, voire de désarroi. N’avait-t-il, n’a-t-il pas, en permanence en tête le couperet qui lui tomberait dessus, demain, s’il n’était pas gagnant des élections ? Il pourrait, en effet, être inculpé pour des soupçons de corruption, prochainement.
Rappelons brièvement : un raid aérien en Syrie - depuis 2011, il y en a eu des centaines - ; une attaque au drone contre le Hezbollah, dans la banlieue sud de Beyrouth ; une frappe aérienne en Irak - la première depuis qu’Israël avait détruit un réacteur nucléaire près de Bagdad en 1981 - contre une milice favorable à l’Iran, l’ennemi N°1 d’Israël, pour ne pas dire de Netanyahou lui-même… Tout cela, sans doute, en coordination avec les Etats-Unis.
Un aveu indirect : Yaakov Amidror, ancien conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre, a écarté l’idée d’une influence du calendrier électoral, tout en estimant toutefois que ces frappes « pourraient aider Netanyahou lors des prochaines élections ». Sans commentaire !
Il est évident, bien sûr, que celles-ci étaient le fait d’une tactique de Netanyayou, car il n’a pas cessé de les commenter pour se féliciter des « succès opérationnels d’Israël ». Le label de « Monsieur Sécurité » qu’il voulait, ainsi, obtenir, pourrait pourtant ne pas s’avérer aussi profitable que prévu. Les médias israéliens depuis des mois propagent, en effet, un sentiment de panique parmi les Israéliens, en particulier ceux qui vivent dans le nord du pays et dans les colonies illégales du Golan annexé.
Autres provocations : sa demande - refusée par la Knesset - d’installation de caméras dans les bureaux de vote, afin de « prévenir les fraudes » ; d’où la réplique singlante de son adversaire principal, Benny Gantz, chef de la coalition « Kahol Lavan » (Bleu Blanc - les couleurs d’Israël) : « La seule fraude dans notre système politique, c’est Netanyahou » ! Sa promesse, une semaine avant les élections, de l’annexion, le lendemain de sa victoire, de la vallée du Jourdain et de colonies, de facto, plus d’un tiers de la Cisjordanie. Ses déclarations sur facebook haineuses à l’égard des « Arabes » : « Ils essayent de nous anéantir » : si « la gauche » gagnait, le seul moyen pour former un gouvernement serait de dresser une coalition avec « les Arabes ». Ses rencontres avec le premier ministre britannique et le président russe. Ses déplacements, les derniers jours, en Cisjordanie occupée, pour courtiser les 400 000 colons. Son projet d’un Traité de défense historique entre les Etats-Unis et Israël. Enfin, point peut signaler dans la presse, devant les sondages qui ne lui étaient pas favorables, son désir, pour voir reculer les élections, de lancer une nouvelle opération militaire contre Gaza, auquel les dirigeants de l’armée se sont opposés.
Elections
Celles-ci se sont tenues avec pour seul enjeu : chez Netanyahou, les gagner largement et rester au pouvoir pour éviter des poursuites ; chez Benny Gantz, et bien d’autres, y compris au sein du Likoud, le dégager. Un véritable référendum donc !
Nul débat, nulle proposition, quant au problème fondamental pour Israël - je n’hésiterai pas à écrire sa survie - la résolution de la question palestinienne. Comment aurait-il pu en être autrement ? La position de Netanyahou à l’égard des Palestiniens est bien connue. Il faut aussi ne pas ignorer celle de son ancien chef d’Etat-major, Benny Gantz. Le 20 janvier 2019, il présentait des vidéos, dont l’une se félicitait que, sous son commandement, une partie de Gaza avait été « renvoyée à l’âge de la pierre » au cours de la guerre de l’été 2014 !
Chacun connait les résultats. Après une participation légèrement en hausse par rapport au printemps dernier (70 %), le parti Bleu Blanc a obtenu 33 sièges contre 31 pour le Likoud ; la Liste arabe unifiée - regroupant trois partis arabes et le Hadash (comprenant des communistes israéliens juifs),13. Il devient la troisième formation politique du pays. Sera-t-elle le plus grand parti de l’opposition ? Ou soutiendra-t-il un gouvernement présidé par Benny Gantz, comme il semble le proposer ? Ce serait un tournant capital dans l’histoire d’Israël, car jamais les Palestiniens d’Israël n’ont soutenu les partis sionistes, de droite comme de gauche. Leurs représentants auraient-il aujourd’hui en tête l’avenir d’Israël/Palestine, en un seul Etat ?
Israël, quoi qu’il en soit, est dans une nouvelle impasse politique. Le bloc dit de centre-droit ne compte que 55 sièges, celui de centre-gauche, 57. Le seuil est de 61 députés pour obtenir une majorité. A qui le Président de l’Etat proposera-t-il d’abord de tenter de former le nouveau gouvernement ? Un accord interviendra-t-il entre les deux grands partis ? Dès le soir des élections Benny Gantz a proposé un gouvernement d’union nationale comme en 1984, mais sans Netanyahou... Ou, l’un l’emportera-t-il sur l’autre par des défections ? Le parti d’Avigdor Liberman (Israël Beitenou), avec 9 sièges, jouera-t-il le rôle de faiseur de roi d’un côté ou de l’autre… en se remettent d’accord avec Netanyahou et les partis religieux ? A quel prix payé par celui-là ? Tout est possible en Israël au nom de la sacro « sécurité » du pays », utilisée à toutes les sauces depuis 1948 !
Rien n’est établi à l’heure où j’écris. Je pense néanmoins que, demain, le nouveau pouvoir aura rappeller à Netanyahou que « La roche Tarpéienne est près du Capitole ».
*Maurice Buttin est président d’honneur du CVPR PO (Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient).
*Source : Courrier du CVPR n°74