Revue de presse : Extrait de l’interview de Ghassan Salamé, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies et chef de la mission onusienne pour la Libye (Unsmil), au magazine tunisien Leaders (5/11/17)* :
…(…)… Le véritable obstacle à la sortie de crise est-il l’absence d’un sentiment national libyen?
C’est plutôt le fait qu’après la chute du régime de Kadhafi s’est installé un système macroéconomique de prédation. Il consiste à piller les ressources du pays, d’abord financières, mais aussi de toutes sortes, favorisant l’émergence d’une classe politique acquise à la prédation et qui n’a aucun intérêt à ce que cette situation change. Le principal obstacle, c’est ce que j’appelle le parti du statu quo, c’est-à-dire l’ensemble de politiciens, de groupes armés, de trafiquants et de gangsters qui coopèrent tous les jours pour piller leur propre pays et le saigner entièrement. Si on ne casse pas ce système, ce ne sera que du cosmétique. C’est ça la grosse différence entre les crises dans des pays comme le mien (le Liban) ou le vôtre (la Tunisie), qui ont des structures économiques normales par rapport à des pays qui bénéficient de ressources exceptionnelles. C’est que les enjeux économiques s’imposent comme les enjeux principaux de lutte. Dans le cas libyen, c’est un cas d’école comme je n’ai jamais vu ailleurs: un pays où à la fois la prédation atteint son niveau maximum jusqu’à créer chaque jour de nouveaux millionnaires, alors qu’une paupérisation rapide frappe de plein fouet la classe moyenne. Le niveau de vie de l’ensemble des Libyens est en train de chuter à une vitesse vertigineuse, alors que la richesse, acquise dans la plupart des cas illégalement, est accumulée entre les mains de certaines gens qui ont des rôles différents parfois, allant de gangsters à des politiciens, des voyous...
La Libye sera en faillite financière dans moins de 18 mois.
Les Libyens s’accommodent-ils de la division entre l’est et l’ouest?
En fait, ils l’utilisent quand ils ont besoin de justifier et défendre leurs intérêts personnels. La compétition est une compétition pour l’enrichissement personnel. Ensuite, ils ont un répertoire de références identitaires qu’ils utilisent en fonction des circonstances, sur commande. Quand ils ont besoin de vous montrer leur puissance, ils vous disent qu’ils appartiennent à telle tribu, forte d’un million de personnes... Il ne faut pas donner un réel crédit à ces affirmations identitaires sélectivement choisies selon les besoins. Je n’ai vu que des tribus divisées, des villes divisées, la seule affiliation tribale ou régionale n’explique rien. Ce sont des justifications, plus que des motivations.
Le risque est-il aussi la partition de la Libye?
Le grand péril sera la défragmentation face à des identités locales qui s’acharnent à rafler le maximum de biens.
….(…)…
Propos recueillis par Hédi Béhi, Abdelhafidh Harguem et Taoufik Habaieb
*L’intégralité de l’interview sur le site de Leaders