Traduction et synthèse : Xavière Jardez
L’Occident impérialiste ne manque pas d’imagination pour concocter des produits de marketing qui assureront sa domination. On est ainsi passé de la « démocratie », au multipartisme, aux droits de l’homme, pour arriver, dernièrement, au concept de «protection des civils ». Mais, cette notion avait-elle cours lors de la guerre d’Algérie quand des « rebelles », Français Algériens, se sont soulevés contre le gouvernement central pour accéder à leur libération. Un million de personnes fut tué, des milliers de personnes furent déplacés, des charniers furent découverts. Cependant, l’OTAN n’est ni intervenu, ni l’internationalisation de leur cause n’a été soutenue, reconnaissant par là les droits régaliens de la France.
Il n’en va pas de même de la Libye où selon l’expression utilisée par un journaliste britannique, John Harris, « Ils (la France, la Grande Bretagne et les Etats-Unis) sont devenus le bras armé d’Amnesty International parce qu’ils ne peuvent supporter que des innocents soient tyrannisés par les tyrans qu’ils ont armés et financés pendant des années »
Or, qu’en est-il exactement. ? Depuis 2004, les Etats-Unis, avec le soutien de l’Europe, ont systématiquement bombardé le Pakistan par drones armés interposés sans aucune raison valable. Et Barack Obama a même intensifié cette politique, la justifiant parce qu’Al-Qaïda en était la cible. Mais cette argumentation présente quelques failles. Les renseignements permettant aux Américains de guider leurs bombes sur les vrais djihadistes sont si peu fiables que l’OTAN a ouvert des négociations de haut niveau avec un individu se prétendant leader des Taliban, pour qu’il reconnaisse, ensuite, n’être qu’un vulgaire épicier pakistanais n’ayant aucun contact avec l’organisation. Il avait seulement besoin de bakchich.
Au Pakistan, les attaques de l’OTAN
accroissent le nombre des djihadistes
Les conseillers militaires US admettent que, même quand l’information est juste, pour chaque djihadiste tué, 50 autres personnes périssent. Et tous les Pakistanais pensent que ces attaques en fait accroissent le nombre de djihadistes, chacun d’eux voulant venger la mort de membres de leur famille.
Pour Fatima Bhutto, un des meilleurs écrivains du Pakistan, quand « au Pakistan, nous écoutons la rhétorique d’Obama sur la Libye, nous ne pouvons qu’en rire. Si les massacres gratuits de civils innocents le tourmentent, il n’aurait qu’un premier pas à franchir pour les arrêter : cessez de le faire chez nous ».
« La guerre au Congo est la guerre la plus sanglante depuis la marche d’Hitler à travers l’Europe. J’ai vu les pires choses que l’imagination puisse concevoir : des armées d’enfants mutilés et drogués, des femmes ayant été violées par des groupes d’hommes, et dans le vagin desquelles on avait tiré. Plus de 5 millions de personnes ont été tués et les traces de sang courent de votre téléphone au mien ».
La principale enquête de l’ONU sur la guerre a expliqué comment cela s’est passé. Des « armées d’hommes d’affaires » ont envahi le Congo pour piller les ressources et les vendre à l’Occident connaisseur. Le butin le plus apprécié est le coltan utilisé pour produire le métal des téléphones portables, des consoles de jeux et des ordinateurs portables. Ces « armées d’hommes d’affaires » se sont battus et ont tué pour contrôler les mines et l’envoyer vers l’Occident. L’ONU a dressé une liste des principaux groupes occidentaux qui ont nourri ce commerce et ajouté que s’ils cessaient leur trafic, la guerre s’arrêterait.
L’an dernier, soit une dizaine d’années plus tard, les Etats-Unis ont finalement adopté une loi qui, en théorie du moins, est supposé traiter du problème dans le cadre d’un système volontaire visant à savoir qui achète et vend le coltan et d’autres minéraux meurtriers (le coltan est disponible ailleurs qu’au Congo, mais est plus cher). Le Département d’Etat devait envisager un certain type de sanctions dans les 140 jours. Le délai est passé sans qu’il ne manifeste la moindre inclination à les définir. Peut-être, était-il trop occupé à préparer les bombardements sur la Libye parce qu’évidemment, il ne peut tolérer la mort de civils innocents. (La France et la Grande-Bretagne se sont comportées de la même manière).
L’Occident cause d’horribles souffrances
aux civils dans le monde
Si la rhétorique sur la Libye était sincère, cela ne demanderait aucun effort : quelques multinationales débourseraient un peu d’argent - qu’elles refusent de payer- et la pire guerre depuis 1945 continue.
Ce qui précède ne jette-t-il pas plus de lumière sur le débat sur la Libye ? Les médias nous incitent tous les jours à porter notre attention sur les abus de nos ennemis et demandent : « que pouvons-nous faire ? ». Mais, on ne nous demande jamais de juger les abus énormes et tout autant réels de nos pays, de nos alliés et de nos multinationales, sur lesquels nous avons pourtant plus de contrôle.
Quand le Premier ministre britannique Cameron déclare que « ce n’est pas parce que nous ne pouvons intervenir partout que nous ne pouvons intervenir nulle part », il n’a rien compris. Alors que « nous » intervenons et causons d’horribles souffrances aux civils dans le monde, il est parfaitement faux de prétendre que nous sommes mus par le désir d’empêcher les autres de se comporter exactement comme nous.
Aussi pourquoi, nos gouvernements bombardent-ils la Libye ? Nous ne le saurons vraiment que dans une dizaine d’années, quand les documents auront été déclassifiés. Mais Bill Richardson, l’ancien Secrétaire à l’Energie et aussi ambassadeur auprès de l’ONU, a certainement raison quand il dit : « Il y a un autre intérêt et c’est l’énergie. La Libye est parmi les 10 principaux exportateurs de pétrole dans le monde. Vous pouvez dire, en toute certitude, que la hausse du prix du pétrole aux Etats-Unis est due à l’arrêt de la production en Libye. Aussi ce n’est pas un pays sans importance et je pense que notre engagement est justifié ».
Pour la première fois depuis 60 ans, le contrôle de l’Occident sur les plus grands puits de pétrole a été secoué par des révolutions que nos gouvernements ne pouvaient maîtriser. L’explication la plus plausible est que l’intervention est une manière d’assurer la surpuissance de l’Occident afin que le résultat soit en sa faveur.
Et, si vous pensez toujours que nos gouvernements agissent pour des motifs humanitaires, j’ai un billet aller et retour pour vous faire voir des ruines au Pakistan et au Congo. Les gens là-bas seront heureux d’entendre vos arguments.
Source : John Harris, The Independent, Grande-Bretagne, repris par The Star, Johannesburg, 12 avril 2011