Une étude réalisée par le « International Journal of Health Service »* montre que la fuite des cerveaux dans le domaine médical irakien est très élevée et que cet exode aura de sérieuses conséquences à long terme sur la santé et la recherche médicale dans ce pays.
Traduction et synthèse par Xavière Jardez
L’immigration traditionnelle repose sur des facteurs de poussée (push factors) extérieure du pays d’origine et de facteurs d’attraction (pull factors) du pays de destination. Ces facteurs ont toujours joué un rôle décisif dans la direction, la célérité et la magnitude de l’immigration, notamment s’agissant des indicateurs économiques. Ce phénomène a particulièrement frappé les pays africains où le taux d’émigration a été associé au déclin de la croissance économique. Un mauvais environnement de travail et des programmes de formation défectueux sont aussi à l’origine de cette évasion comme en Inde, Pakistan et autres nations asiatiques. Enfin, la violence, les guerres et l’insécurité ont, dans les zones de conflit, conduit à un exode massif des médecins, comme au Liban au cours des années de guerre civile.
Dans l’Irak d’avant la chute de Saddam Hussein, la Grande-Bretagne accueillait des médecins irakiens pour des études spécialisées et un certain nombre s’y installait. Il était normal pour les médecins d’aller à l’étranger sur des bourses d’Etat. Ceux qui retournaient en Irak ont formé le noyau de professeurs de médecine pour les générations futures. Le système de santé irakien faisait l’envie des pays arabes et on y venait pour des traitements ou pour y étudier. L’embargo décrété après la Première Guerre du Golfe a appauvri le secteur médical en professionnels de la santé et les salaires des médecins sont rapidement tombés à 30 dollars par mois, à peine de quoi subvenir aux besoins quotidiens.
Après l’invasion US de l’Irak, en 2003, l’intelligentsia irakienne et les médecins en particulier ont dû faire face à des niveaux de violence intolérables et sont devenus des cibles systématiques. Les équipements médicaux furent pillés ou détruits, les docteurs durent se défendre les armes à la main, sacrifiant leur sécurité personnelle. Le gouvernement irakien a été incapable de répondre ; il n’a jamais protégé ceux qui restaient ni n’a initié d’enquête sérieuse. Même si les salaires sont passés de 380 dollars à 5100 dollars par an, ils sont restés considérablement insuffisants comparés à la charge de travail et aux risques élevés encourus. La détérioration de l’enseignement médical fut sans précédent, avec une absence choquante d’études continues obligatoires et de programmes de certification dignes de ce nom.
Le pic de l’émigration de docteurs irakiens eut lieu en 2006 en raison des violences confessionnelles.
Le plan de restructuration du secteur de santé semble ne pas avoir de consistance étant donné le manque de sécurité, la mauvaise gestion, la corruption, la politisation du ministère de la santé et un enseignement de pauvre qualité, tous problèmes qui n’ont pas été résolus depuis 2003. Cet échec a concouru au peu d’enthousiasme du corps médical hors Irak à revenir. 70% des médecins hautement qualifiés ont cherché refuge à l’étranger ; ceux qui occupaient un poste supérieur étaient nombreux et leur départ a résulté en un vide critique à l’échelon de direction et d’enseignement, ou entraîné la disparition même de certaines spécialités médicales. En 2008, des 34 000 docteurs enregistrés en Irak, avant 2003, on estime à 20 000 les exilés, 2000 ont été tués et plus de 250, enlevés. En 2011, 40% environ des cliniques de premiers soins manquaient de généralistes.
60% des médecins interrogés ont quitté l’Irak pour des raisons de sécurité dès 2003, avec une accélération en 2006. L’ironie du sort veut que le personnel médical kidnappé fut le seul à ne pas émigrer. Même si ces chiffres ont baissé depuis récemment le taux d’émigration, notamment dans les pays de langue anglaise, reste très élevé. Les raisons en sont : de meilleures conditions de travail et de formation mais aussi en 2003, le patriotisme de ceux qui partaient. Les candidats à l’émigration sont, actuellement, de jeunes docteurs attirés par les possibilités de formation à l’étranger et les solutions apportées à cette ambition par le gouvernement irakien ne les ont pas convaincus de rester.
L’Irak doit faire face, en 2013, à une fuite des cerveaux dans le domaine médical qui va détériorer davantage, pendant des décades, le misérable système de santé existant. L’exode de masse va avoir un fort impact sur l’éducation, la formation et le système de direction et sur la capacité à offrir des services de soins à long terme.
* Source: The Iraqi Medical brain drain: a cross-sectional study, par Nabil Al-Khalisi (International Journal of Health Service - vol. 43, n°2, pages 363-378, 2013)