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France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l'Atlantique

France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l'Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak et du Golfe à l'Atlantique. Traduction d'articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne.


Israël construit un tunnel pour couper l’accès des Palestiniens au cœur de la Cisjordanie

Publié par Gilles Munier sur 3 Juillet 2025, 06:44am

Catégories : #Cisjordanie, #colonialisme, #Netanyahou

Israël construit des tunnels que les Palestiniens devront emprunter pour se rendre dans le cœur de la Cisjordanie, rendant de nombreuses parties des territoires occupés accessibles uniquement aux Israéliens. Le but est d’arrêter la présence palestinienne autour de Jérusalem. 

Par Qassam Muaddi pour Mondoweiss (revue de presse : Agence Média Palestine - 26 juin 2025)*

Un tunnel souterrain sera bientôt la seule connexion entre 1,5 millions de Palestiniens dans la Cisjordanie du Sud et le reste du territoire. Ce plan d’infrastructure récemment approuvé, le projet “Tissu de la vie”, pourrait effectivement couper la Cisjordanie en deux.

Le passage des Palestiniens des gouvernorats d’Hébron et Bethléem vers Jéricho dans la vallée du Jourdain se fera par un nouveau tunnel souterrain qu’Israël prévoit de construire pour contourner le désert de l’est de Jérusalem. En d’autres termes, l’ensemble de l’espace compris entre Jérusalem et les confins de la vallée du Jourdain deviendrait accessible uniquement aux Israéliens.

Approuvé par le gouvernement israélien plus tôt ce mois-ci, le coût du projet est estimé à 90 milliards de dollars, financés via un fonds spécial alimenté par les droits de douane palestiniens collectés au nom de l’Autorité palestinienne. Bien que ces fonds soient officiellement destinés à financer des projets de développement pour la population palestinienne, le projet n’a pas pour objectif l’amélioration du transport palestinien, mais bien le renforcement du contrôle israélien sur l’est de la Cisjordanie. Le projet « Tissu de la vie » empêcherait dans les faits toute circulation palestinienne dans cette zone.

Ce projet s’inscrit dans une stratégie plus large de développement appelée « Grand Jérusalem », initiée au début des années 2000 sous l’impulsion de l’ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon.

L’idée est simple : relier Jérusalem-Est, annexée unilatéralement par Israël en 1981, à une série de colonies israéliennes s’étendant vers l’est, à travers le désert de Jérusalem, jusqu’à la vallée du Jourdain. Le projet cible environ 12 km² de territoire en Cisjordanie que les cartes israéliennes désignent comme zone E-1 (Est-1), dans le but de l’intégrer au périmètre élargi de Jérusalem.

Ce morceau de territoire, large de 25 km et long de 35 km, deviendrait ainsi partie intégrante d’Israël, coupant à travers la Cisjordanie d’ouest en est.

En 2007, un projet similaire avait été approuvé, baptisé « Route de la Souveraineté », prévoyant un autre tunnel sous la Route 1 israélienne, pour relier le sud de la Cisjordanie au centre du territoire. Cette route souterraine, réservée aux Palestiniens, libérerait la voie terrestre en surface pour un usage exclusivement israélien.

Alors que la « Route de la Souveraineté » contourne la périphérie est de Jérusalem, qui représente la continuité de la présence palestinienne entre le sud et le centre, le projet « Tissu de la Vie » contournerait le désert à l’est, dans la zone représentant la continuité palestinienne entre Jérusalem et la vallée du Jourdain. Ensemble, ces deux projets draineraient toute la circulation palestinienne à l’est de Jérusalem, isolant les communautés palestiniennes encore présentes dans cette zone.

Les origines du projet de tunnels souterrains

La relance du projet « Grand Jérusalem » est intervenue sous l’actuel gouvernement d’extrême-droite de Benjamin Netanyahou, qui accélère les démarches d’annexion de la Cisjordanie sous couvert de la guerre contre Gaza, déclenchée par Israël après les attaques du 7 octobre. Toutefois, dès 2021, trois ans avant cette guerre, le gouvernement israélien avait déjà lancé la première phase du projet « Tissu de la Vie ».

À l’époque, 14 millions de shekels (environ 4,6 millions de dollars) avaient été alloués pour isoler deux communautés palestiniennes à la périphérie est de Jérusalem : al-Eizariya et Abu Dis, deux localités ayant désormais pratiquement fusionné. Celles-ci se trouvent au point de jonction des projets de tunnels du « Tissu de la Vie » et de la « Route de la Souveraineté ».

Considérées comme une extension naturelle de Jérusalem depuis l’ère biblique, ces villes ont vu leur lien avec la capitale se distendre depuis l’installation de la colonie israélienne Maale Adumim à la fin des années 1970. Cette dernière est désormais considérée une ville israélienne de plus de 40 000 habitants.

« Aujourd’hui, Al-Eizariya n’a de connexion qu’avec Abu Dis, elles ne forment pratiquement plus qu’un», explique Sara (nom modifié), une résidente d’Al-Eizariya qui a parlé à Mondoweiss sous réserve d’anonymat. « Il y a une entrée commune par le rond-point de Maale Adumim, et une autre au sud vers Bethléem. »

La première phase du projet en 2021 consisterait à murer l’entrée d’al-Eizariya au rond-point de Maale Adumim, enfermant la ville entre deux murs, laissant Al-Aizariyah piégée entre le nouveau mur et celui à l’opposé d’Abu Dis. Les seules voies de sortie resteraient au sud vers Bethléem et au nord vers un checkpoint israélien dans la ville de Zaayem.

Vivre dans “une grande prison”

« Vivre à al-Eizariya, c’est vivre dans une grande prison », confie Sara. « Il y a une rue principale constamment embouteillée. On couvre ses besoins quotidiens, mais sortir de la ville est un calvaire, qu’on évite à moins d’avoir une bonne raison, comme aller à l’hôpital ou pour travailler. »

“Je travaille moi-même dans un centre culturel à Al-Aizariyah pour ne pas avoir à quitter la ville. Avant octobre 2023, j’allais à Ramallah une fois par mois juste pour voir des amis. Pourtant Ramallah n’est qu’à 15 minutes de distance s’il n’y a pas beaucoup de trafic”, explique Sara. «Depuis le début de la guerre, la police israélienne ferme l’entrée au rond-point arbitrairement à n’importe quel moment, pendant quelques minutes ou parfois des heures, créant de nouveaux embouteillages en ville. Tout cela rend la sortie d’Al-Aizariyah et Abu Dis encore plus difficile”, poursuit-elle. “Depuis octobre 2023, j’ai vécu entre ma maison et le centre culturel, et je quitte Al-Aizariyah une fois tous les trois ou quatre mois”. Elle continue : “Si ce n’est pas une prison, alors qu’est-ce que c’est ?” 

“Au centre culturel, on fournit des cours de musique, d’art et de langues aux enfants d’Al-Aizariyah et Abu Dis. L’année dernière, on a dû annuler certains cours car les professeurs étaient bloqués sur le trajet pendant des heures à cause des fermetures de checkpoint ou des embouteillages. Certains collègues qui viennent de Bethléem ou Ramallah doivent souvent télétravailler pour les mêmes raisons”, détaille-t-elle. 

La situation a été un véritable statu quo à Al-Aizariyah pendant des années, bien avant que le “Tissu de la vie” et la “Route de la souveraineté” commencent leur mise en place. Le tunnel du « Tissu de la Vie » accentuerait cette fermeture : il partirait du sud-est d’Al-Eizariya pour rejoindre Zaayem sous terre (sur 4,5km de longueur) puis Ramallah. Un second tunnel, approuvé en mai dernier, partirait du même point, mais cette fois vers l’est. Ce dernier émergerait près de Jéricho, contournant ainsi l’est de Jérusalem.

Le checkpoint de Zaayem, qui limite actuellement la circulation des véhicules palestiniens à la Route 1, serait supprimé. La route deviendrait alors exclusivement israélienne. L’impact serait même encore plus grand : toute circulation palestinienne entre Ramallah, Jéricho, et les gouvernorats Sud de Bethléem et Hébron  (1,5 million d’habitants au total) serait redirigée par le tunnel.

Un chauffeur de minibus palestinien, sous couvert d’anonymat, décrit son difficile parcours quotidien entre Ramallah et Bethléem. 

“Chaque jour, je quitte Ramallah par le Sud et je conduis directement vers le checkpoint Qalandia, qui nous sépare de Jérusalem puis je me dirige vers le checkpoint de Zaayem.” explique-t-il à Mondolweiss.

Il continue le long de la Route 1, voyageant à côté des colons israéliens qui rejoignent Maala Adumim. Juste avant la colonie, il bifurque vers les rues embouteillées de Al-Eizariya puis atteint finalement le “Container ”checkpoint juste au nord de Bethléem. 

Le chauffeur explique qu’avant octobre 2023 il était capable de faire quatre aller-retour chaque jour, en transportant sept personnes par voyage. “C’était déjà à peine assez pour couvrir les frais d’essence et gagner ma vie”, explique-t-il. “Mais depuis la guerre à Gaza, l’armée israélienne a commencé à fermer Zaayem, le Container et l’entrée d’Al-Eizariya plus souvent, aggravant les bouchons.”

La situation est désormais encore pire, au point qu’il n’arrive à faire qu’un seul aller retour par jour. “Chaque matin quand je pars de Ramallah avec le minibus rempli de passagers, je songe au long voyage qui m’attend”.

Que ce soit un embouteillage à Qalandia ou une fermeture surprise à Zaayem ou au checkpoint du Container, il se retrouve souvent à passer deux ou trois heures sur la route avec ses passagers. “Et je me dis une fois de plus que je déteste ce travail”. 

Le regard au loin, il exprime son inquiétude quant aux deux projets. Il dit que ça compliquera encore plus les déplacements des Palestiniens. Il devrait contourner Al-Aizariyah avec le système de tunnels, il ne pourrait plus déposer les passagers directement là bas ou à Abu Dis. “Ils devront finir à pied” explique-t-il.

Il craint en outre une aggravation du contrôle avec ce nouveau système. “Le trafic va empirer, quand on ne partage pas la route avec les colons, l’armée israélienne se moque de la fermer pour un jour entier. Ça ne prendra qu’un soldat pour fermer le tunnel”.

Diluer la démographie palestinienne dans le « Grand Jérusalem »

Le conducteur du minibus a aussi expliqué combien les projets d’infrastructure pourraient affecter les communautés palestiniennes vivant dans la zone. Ces projets excluraient des douzaines de communautés bédouines. “Ils habitent entre Al-Aizariyah et Jéricho,et je ne pourrai pas transporter ces passagers” explique-t-il.

Les passagers bédouins qui ne pourront pas prendre le minibus de Ramallah à Bethléem sont les résidents de 25 communautés bédouines sur les terres à l’est de Jérusalem, où Israël a prévu d’étendre son projet de “Grand Jérusalem”. Ce sont précisément ces communautés que le tunnel du “Tissu de la vie” isolerait totalement des réseaux de circulation palestiniens.Cela inclut d’ailleurs les fameuses communautés bédouines de Khan Al-Ahmar et Jabal Al-Baba, qu’Israël essaye de déplacer depuis des années.

Ces communautés assurent actuellement la continuité démographique palestinienne entre le centre et le sud de la Cisjordanie. Leur isolement faciliterait leur nettoyage ethnique, préalable à l’annexion de la zone E-1 au « Grand Jérusalem », vidant cette région de sa population palestinienne et compromettant toute base territoriale pour un futur État palestinien.

Ce n’est pas le seul impact à long terme de ces projets. “La vie à Al-Aizariyah et Abou Dis est déjà suffisamment difficile, et la surpopulation des deux villes est principalement dûe au fait qu’elles sont au milieu du trajet entre le centre et le sud”, pointe Sarah. “Logiquement, ça aide les commerces locaux, et les gens peuvent encore aller au travail et rentrer malgré les difficultés. Mais si le projet passe, on sera complètement isolés. J’imagine déjà les fermetures des routes pendant de longs moments, et ceux qui travaillent à Ramallah et Bethléem devront forcément partir y habiter”. 

Les conditions de vie des Palestiniens à Al-Aizariyah sont les mêmes que dans d’autres villes en périphérie de Jérusalem, isolées de la ville par les murs israéliens et les checkpoints, comme Shu’fat, Qalandia et Anata. Les isoler encore plus ne va faire qu’accentuer les difficultés de vie dans ces endroits, poussant les Palestiniens à quitter la région, contribuant à un effacement démographique systématique.

Source et Traduction : RM pour l’Agence Média Palestine

Version originale : Mondoweiss.net

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