La vice-présidente Harris a peut-être essayé de marquer des points, mais ses commentaires sont absurdes. Voici pourquoi.
Par Justin Logan (revue de presse : Les Crises - 30 octobre 2024)*
Lors d’une récente interview accordée à l’émission 60 Minutes, la vice-présidente Kamala Harris a déclaré que l’Iran était le plus grand adversaire des États-Unis. « L’Iran a du sang américain sur les mains, d’accord ? » a-t-elle déclaré, ajoutant que l’Iran avait également attaqué Israël avec 200 missiles balistiques.
L’Iran a bien sûr du sang américain sur les mains. Les dirigeants iraniens ont contribué à tuer des centaines de militaires américains qui ont été envoyés dans une guerre ruineuse en Irak, née des rêves enfiévrés de Dick Cheney, partisan de Harris. Mais au-delà de ce point moralement juste mais stratégiquement non pertinent, l’argument de Harris est absurde.
L’Iran est une puissance régionale du Moyen-Orient, qui est lui-même une région pauvre et faible dont les États-Unis feraient bien de se tenir à l’écart.
En ce qui concerne la menace que représente l’Iran, commençons par l’essentiel. L’Iran n’a pas de missiles pouvant atteindre les États-Unis. Il n’a pas la capacité de projeter une puissance militaire conventionnelle en dehors de ses frontières. Sa doctrine militaire repose sur ce que l’on appelle la défense en profondeur, qui consiste à céder lentement du terrain à un agresseur tout en saisissant les occasions de contre-attaquer. Comme l’indique le dernier rapport de la Defense Intelligence Agency (DIA) sur les capacités militaires de l’Iran, « Le “mode de guerre” de l’Iran met l’accent sur la nécessité d’éviter ou de dissuader les conflits conventionnels tout en faisant progresser ses objectifs de sécurité dans la région, notamment par le biais de la propagande, de la guerre psychologique et d’opérations par procuration. »
Il ne s’agit pas de la Wehrmacht de 1940. Éviter ou dissuader les conflits conventionnels tout en poursuivant des objectifs de sécurité dans la région par le biais de la propagande, de la guerre psychologique et des opérations par procuration n’est pas la voie à suivre pour dominer le Moyen-Orient, et encore moins pour devenir la plus grande menace pour les États-Unis.
Si l’on souhaite se présenter en tant que puissance du Moyen-Orient comme le plus grand adversaire des États-Unis, il fautdrait au moins un pays capable au moins de dominer sa région. Bien avant la doctrine Carter, les responsables américains de la planification de la défense craignaient qu’un hégémon au Moyen-Orient n’exerce une influence démesurée sur les marchés pétroliers et ne fasse des ravages sur le prix mondial du pétrole.
L’Iran n’a aucune chance de dominer le Moyen-Orient, de par ses blindés dépassés et mal entretenus, son artillerie tractée et son manque d’expérience en matière d’armes combinées offensives. Si l’Iran était assez fou pour tenter d’envahir un pays voisin, la puissance aérienne pourrait détruire la force d’attaque sans trop de difficultés.
Ces énormes faiblesses militaires conventionnelles – qui ne peuvent être corrigées dans un avenir politiquement pertinent – empêchent l’Iran d’essayer de dominer la région. Et un Iran qui ne peut pas dominer sa région ne peut pas constituer la plus grande menace pour les États-Unis.
Bien entendu, l’Iran a une idéologie farouchement anti-américaine et soutient une série de mandataires dans la région qui contrecarrent les objectifs des États-Unis. En ce sens, il semble imprudent de parsemer la région de déploiements américains sans défense qui ne contribuent pas à des objectifs militaires réalisables et qui ne servent qu’à déclencher une guerre avec l’Iran et à faciliter les frappes israéliennes en Syrie.
Plus les États-Unis se rapprochent de l’Iran, plus l’Iran peut nuire aux Américains. L’Irak était une menace insignifiante pour les États-Unis jusqu’à ce que nous l’envahissions, ce qui en a fait un problème bien plus grave. Taper dans un nid de frelons ou danser autour d’un puits de sables mouvants présente de réels dangers, mais comme dans ces cas-là, la meilleure option vis-à-vis de l’Iran est tout simplement de se maintenir à distance.
La meilleure défense que l’on puisse opposer à la vice-présidente Harris dans ce contexte est qu’elle semblait chercher à tâtons une réponse présentant le moins d’inconvénients politiques et le moins d’inconvénients pour le Blob de la politique étrangère, et qu’elle l’a probablement trouvée. Le problème est qu’elle a tort sur le fond. Si sa remarque extemporanée devait influencer sa politique, elle pourrait pousser les États-Unis plus loin sur la voie de la ruine au Moyen-Orient.
Justin Logan est directeur des études sur la défense et la politique étrangère au Cato Institute. Il est spécialiste de la grande stratégie des États-Unis, de la politique étrangère américaine et de la théorie des relations internationales. Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.
*Source : Les Crises
Version originale : Responsible Statecraft, Justin Logan, 15-10-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises