Le "Jardin des vaches", lieu historique de la communauté arménienne de Jérusalem, a été racheté en 2021 par un homme d’affaires australien afin d’y construire un hôtel. Depuis plusieurs semaines, les opposants arméniens au projet subissent des intimidations de la part des nouveaux propriétaires.
Par Guillaume Maurice (revue de presse: Les Observateurs – France 24 – 30 novembre 2023)*
En quelques mois, ce parking de Jérusalem est devenu le centre d’une controverse politique. Situé dans le sud-est du quartier arménien, il marque l’entrée de la vieille ville qu’il surplombe. Entouré par une muraille de l'époque ottomane, cet espace représente 25 % du quartier arménien. Mais en 2021, le patriarcat de Jérusalem – les autorités religieuses de la communauté arménienne – a décidé de le vendre, ainsi que plusieurs bâtiments, à un homme d'affaires pour un bail de 99 ans.
Selon un communiqué du collectif de conservation du quartier arménien SaveTheArQ, c’est le contrat de rénovation du parking qui contient une clause stipulant que la parcelle est cédée à la société Xana Capital. SaveTheArQ conteste ainsi la légalité de la vente.
L’homme d’affaires australien Danny Rubenstein (alias Danny "Rothman"), propriétaire de la firme Xana Garden, souhaitait racheter ce terrain afin d’y construire un hôtel de luxe. Une fois que la vente a été rendue publique; en octobre 2021, le projet a rencontré une forte opposition au sein de la diaspora arménienne de Jérusalem.
Le 26 octobre 2023, le patriarcat arménien a finalement publié un communiqué dans lequel il affirmait considérer désormais la vente comme illégale, revenant ainsi sur l’accord qu’il avait lui-même signé.
"On parle de travaux, mais nous avons surtout vu des tentatives d’intimidation"
Depuis cette annulation, il existe un flou sur l’actuel propriétaire de la parcelle. Contactée par notre rédaction, la mairie de Jérusalem n’a pas souhaité s’exprimer sur le statut juridique du terrain, estimant qu’il s'agit d'une "affaire privée". Ni le patriarcat, ni Danny Rubenstein n’ont souhaité s'exprimer sur la nature du contrat, malgré nos sollicitations.
Quelques jours après la résiliation du contrat, les premiers travaux de destruction du parking ont débuté, comme l’explique Setrag Balian, membre de l’ONG arménienne SaveTheArQ, qui se mobilise contre le rachat du terrain :
"On parle de travaux, mais nous avons surtout vu des tentatives d’intimidation. Ils sont venus avec des engins de chantier et des colons armés. Nous avons fait une chaîne humaine et nous avons arrêté pacifiquement les bulldozers. À titre personnel, j’ai été directement menacé par le directeur de la compagnie. Depuis avril, certains membres de notre communauté ont pour interdiction de se garer sur le parking par les colons."
Des engins de démolition sont venus entamer les travaux. @Observateurs-
La tension est montée d’un cran le 6 novembre : l’homme d'affaires Dany Rubenstein est venu accompagné de colons armés de fusils d'assaut. Très vite, des conflits ont éclaté entre les manifestants arméniens et les hommes armés.
Arrivée de colons israéliens qui font face aux manifestants arméniens © Observateurs
Ces hommes en armes sont pour certains des activistes radicaux proches de l’extrême droite israélienne. Grâce au logiciel de reconnaissance faciale en ligne PimEyes, il est possible d’identifier Saadia Hershkop, un Américain connu pour ses liens avec les mouvements de colons en Cisjordanie. Sur son compte Instagram, ce dernier fait la promotion de voyages organisés dans les colonies de la région d'Hébron, en Cisjordanie, et pose avec des armes.
Selon le journal qatari The New Arab, Saada Hershkop serait connu pour ses liens avec Eden Natan-Zada. Le 4 août 2005, ce dernier a tué quatre citoyens israéliens en signe de protestation contre le retrait des troupes israéliennes de Gaza. Suite à cette tuerie, Saadia Hershkop aurait été arrêté comme suspect par les forces de l’ordre israéliennes.
Une hausse des violences à l’encontre de la communauté arménienne
Au-delà de la question du rachat du terrain, certains membres de la communauté arménienne disent se sentir de moins en moins en sécurité. Selon Liana Margaryan, membre de la communauté arménienne, ces tensions remonteraient au début du conflit entre l’Arménie et l'Azerbaïdjan, en 2020. Une guerre durant laquelle le pays caucasien aurait noué des liens avec Israël :
"Ces attaques sont le fait d’extrémistes juifs [...] le plus souvent ce sont des attaques psychologiques et des menaces. Mais depuis le conflit sur le jardin des vaches, c’est plus intense [...] ils ont même attaqué un restaurant arménien."
Pour Setrag Balian, le gouvernement israélien porte aussi sa part de responsabilité dans les violences que subissent la communauté arménienne de Jérusalem :
"En 2022, avec l'arrivée du gouvernement de Benyamin Netanyahou, qui compte des ministres issus de l’extrême droite, il y a eu une augmentation des attaques envers les chrétiens. Cela se traduit par du harcèlement, des crachats et des agressions. Depuis l’arrivée du gouvernement actuel, les extrémistes ont un sentiment d’impunité totale.
Les habitants du quartier juif, ce sont nos voisins depuis 40 ans et nous n’avons jamais eu de problème avec eux. Bien sûr, il y a tout le temps quelques crachats et des insultes de la part de gens qui n'aiment pas voir des églises ou des croix... Mais ce n’était rien de significatif, on sentait que c'étaient des incidents isolés. Mais depuis peu, on se sent visés directement"
Malgré les intimidations, les membres de la communauté arménienne disent vouloir continuer de se mobiliser contre la construction de l'hôtel au travers de sit-in et des manifestations.
*Source : Les Observateurs (France 24)