Par Peter Symonds (revue de presse : WSWS – 11/1/23)*
Dans une interview d’une franchise remarquable accordée lundi au Financial Times, le plus haut général des Marines américains au Japon a déclaré que les succès remportés par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine étaient le fruit d’une planification et de préparatifs préalables – afin de «préparer le terrain» pour la guerre, dans le jargon militaire. C’est exactement ce que fait le Pentagone au Japon et en Asie, a-t-il expliqué, pour se préparer à un conflit avec la Chine au sujet de Taïwan.
«Pourquoi avons-nous atteint le niveau de succès que nous avons atteint en Ukraine?» a demandé rhétoriquement le lieutenant général James Bierman. Une grande partie de cela, a-t-il expliqué, est qu’après ce qu’il a appelé «l’agression russe» en 2014 et 2015, «nous nous sommes sérieusement attelés à la préparation du futur conflit: formation des Ukrainiens, prépositionnement de l’approvisionnement, identification des sites à partir desquels nous pourrions apporter un soutien, soutenir les opérations».
«Nous appelons cela préparer le terrain. Et nous préparons le terrain au Japon, aux Philippines, dans d’autres endroits». En d’autres termes, les États-Unis tendent un piège à la Chine en l’incitant à entreprendre une action militaire contre Taïwan, de la même manière qu’ils ont provoqué la Russie pour qu’elle envahisse l’Ukraine après le coup d’État soutenu par les États-Unis en 2014 qui a renversé un gouvernement pro-russe.
Le lieutenant général James Bierman est le commandant général de la troisième force expéditionnaire des Marines (III MEF) et des forces des Marines du Japon. De manière significative, la III MEF est la seule force de réponse aux crises des Marines stationnées en permanence en dehors des États-Unis. En d’autres termes, Bierman et ses Marines seraient en première ligne de tout conflit avec la Chine mené par les États-Unis.
Comme l’explique le Financial Times, la III MEF est «au cœur d’une réforme radicale du Corps des Marines». L’accent est mis non plus sur la «guerre contre le terrorisme» au Moyen-Orient, mais sur «la création de petites unités spécialisées dans les opérations rapides et clandestines dans les îles et les détroits d’Asie de l’Est et du pacifique occidental afin de contrer la stratégie d’“interdiction d’accès” de Pékin».
Les plans américains de guerre contre la Chine – connus sous le nom de AirSea Battle – prévoient un assaut aérien et de missiles massif contre les bases militaires et les industries stratégiques chinoises soutenu par des navires de guerre et des sous-marins. Le Pentagone est de plus en plus préoccupé par les capacités militaires de la Chine à défendre son territoire et à sécuriser les mers voisines: une «interdiction d’accès» avec ses propres missiles et navires de guerre.
Les préparatifs de guerre des États-Unis avec le Japon se poursuivent à un rythme soutenu. Comme s’en est vanté Bierman, les deux armées ont «connu une augmentation exponentielle… au cours de l’année dernière» de leurs activités sur le territoire à partir duquel elles opéreraient en cas de guerre. Lors de récents exercices, les Marines ont pour la première fois établi des centres bilatéraux de coordination tactique au sol, au lieu d’assurer la liaison avec un point de commandement japonais distinct.
L’objectif est une intégration beaucoup plus étroite des forces américaines et japonaises. Au lieu de faire la rotation de groupes militaires japonais pour opérer aux côtés des forces américaines au Japon, des unités spécifiques ont été désignées comme faisant partie de la «force de réserve» aux côtés de leurs homologues des Marines, de la Navy et de l’Armée de l’air américaines.
Bierman a également souligné que des préparatifs similaires sont en cours aux Philippines où le gouvernement a l’intention d’autoriser les États-Unis à prépositionner des armes et d’autres fournitures sur cinq bases supplémentaires, en plus des cinq auxquelles ils ont déjà accès. «On gagne un point de levier, une base d’opérations, qui permet d’avoir une avance considérable dans différents plans opérationnels», s’est-il enthousiasmé.
La guerre menée par les États-Unis contre la Russie en Ukraine et l’intensification de leur confrontation avec la Chine sont les deux faces d’une stratégie qui vise à dominer la vaste masse continentale eurasienne et qui menace de plonger l’humanité dans un holocauste nucléaire.
Alors que Bierman met en évidence la planification opérationnelle avancée de la guerre avec la Chine, elle est accompagnée d’une augmentation considérable des dépenses militaires des États-Unis et du Japon.
Le journal militaire, Stars and Stripes, a rapporté le 2 janvier que le nouveau budget de la défense américaine approuvé le mois dernier par le président Biden comprenait des milliards de dollars pour de nouvelles infrastructures militaires et des initiatives stratégiques dans le Pacifique. Le Commandement Indo-Pacifique compte déjà quelque 375.000 militaires et civils travaillant dans la région.
Le quartier général du commandement à Hawaï reçoit 87,9 millions de dollars pour des casernes, 103 millions de dollars pour la modernisation des installations de stockage des missiles, 111 millions de dollars pour une installation d’opérations de compagnie et 29 millions de dollars pour un Army National Guard Readiness Center.
La marine recevra 32 milliards de dollars uniquement pour de nouveaux navires de guerre et 36 avions F-35, chacun coûtant environ 89 millions de dollars. Le financement comprend également 621 millions de dollars pour deux sous-marins d’attaque de classe SSN-774 Virginia qui devraient mener des opérations dans le Pacifique et recevoir une maintenance au chantier naval de Pearl Harbor.
Pour contrer les armes chinoises, l’armée de terre modernise ses systèmes d’artillerie et de missiles, recherche de nouveaux canons à plus longue portée et des armes hypersoniques tout en modifiant les missiles lancés par air et par mer et les missiles de croisière pour qu’ils puissent être lancés au sol par les unités de l’armée de terre.
Le gouvernement japonais a annoncé le mois dernier qu’il doublerait ses dépenses militaires au cours des cinq prochaines années, entre 2023 et 2027, pour atteindre environ 80 milliards de dollars, soit 2 pour cent du PIB. Les documents de défense nationale associés identifient explicitement la Chine comme «le plus grand défi stratégique et sans précédent».
L’armée japonaise achètera toute une série d’armes offensives, notamment des missiles de croisière tels que le Tomahawk de Lockheed Martin et le Missile interarmées air-sol (Joint Air-to-Surface Standoff Missile – JASSM). Elle prévoit également de moderniser ses propres missiles guidés de type 12, qui peuvent être tirés depuis la surface, des navires ou des aéronefs pour frapper des navires, et de fabriquer ses propres missiles guidés hypersoniques.
Le Japon va également renforcer ses sites de missiles. Il a déjà commencé à militariser ses îles du sud immédiatement adjacentes à Taïwan et au large de la Chine continentale, notamment les îles Amami, Miyako, Ishigaki et Yonaguni. Tokyo a déployé ou a l’intention de déployer des unités de missiles et de guerre électronique sur ces îles, en plus de construire des dépôts de munitions et de carburant.
Le premier ministre japonais Fumio Kishida a entamé dimanche une tournée en Europe et en Amérique du Nord destinée à renforcer les liens militaires. Il se rendra en Grande-Bretagne et en Italie, partenaires d’un accord conclu le mois dernier pour la construction de nouveaux avions de combat avancés. Il devrait également signer en Grande-Bretagne un accord qui vise à établir le cadre des visites des forces militaires de l’autre pays.
La dernière étape de Kishida sera les États-Unis, où il s’entretiendra avec Biden à la Maison-Blanche pour discuter de la collaboration militaire, de l’achat par le Japon de missiles américains et des efforts qui visent à bloquer l’accès de la Chine aux semi-conducteurs avancés. Dans le cadre de la guerre économique des États-Unis contre la Chine, Biden a imposé une série d’interdictions sur la vente à la Chine de puces informatiques avancées ou des machines nécessaires à leur développement et à leur fabrication. Les ministres japonais de la Défense et des Affaires étrangères doivent tenir une série de discussions avec leurs homologues américains mercredi à Washington.
Dans le même temps, les États-Unis s’apprêtent à effectuer un voyage officiel provocateur à Taïwan, une île qu’ils reconnaissent de facto, dans le cadre de la politique de la Chine unique, comme faisant partie de la Chine et dont Pékin est le gouvernement légitime. Terry McCartin, le principal responsable américain du commerce avec la Chine, doit arriver à Taipei samedi à la tête d’une délégation qui comprendra des fonctionnaires d’autres agences gouvernementales.
La visite à Taïwan de la présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi en août dernier, sanctionnée par la Maison-Blanche, a provoqué de vives tensions et une dangereuse démonstration de force des deux parties dans les eaux environnantes. En renforçant les liens commerciaux et militaires avec Taipei, Washington pousse délibérément Pékin dans un coin pour l’obliger à tirer le premier coup de feu dans une guerre contre Taïwan à laquelle les États-Unis se sont déjà préparés.
Comme l’explique crûment le lieutenant général Bierman: «Quand nous faisons face à l’adversaire chinois, il va posséder le pistolet de départ et qui aura la capacité d’engager les hostilités… nous pouvons identifier un terrain clé décisif qui doit être tenu, sécurisé, défendu, exploité».
*Source : WSWS (World Socialist Web Site)
(Article paru en anglais le 10 janvier 2023)
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