© 2021 Sam Tarling
Revue de presse : Communiqué de Human Right Watch (23/3/21)*
Les pays concernés devraient rapatrier leurs ressortissants suspectés de liens avec l’EI et respecter leur droit à un procès équitable
Près de 43 000 hommes, femmes et enfants d’origine étrangère et liés à l’État islamique (EI) sont toujours détenus dans des conditions inhumaines ou dégradantes par les autorités régionales du nord-est de la Syrie, deux ans après avoir été arrêtés lors de la chute du « califat », a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. La détention de ces personnes se poursuit souvent avec le consentement explicite ou implicite des pays dont elles sont ressortissantes.
Les détenus étrangers n’ont toujours pas été traduits devant un tribunal, ce qui rend leur détention arbitraire et indéfinie. Parmi eux figurent 27 500 enfants, la plupart se trouvant dans des camps de détention et au moins 300 dans des prisons sordides réservées aux hommes, tandis que des dizaines d’autres sont retenus dans un centre de réadaptation sous surveillance. Les détenus font face à une hausse de la violence et au déclin d’une aide vitale, notamment de soins médicaux. Dans un cas, la France a refusé à une femme atteinte d’un cancer du côlon avancé de rentrer dans son pays pour s’y faire soigner. Une autre détenue a déclaré à Human Rights Watch qu’un garde conduisant un véhicule avait écrasé un jeune enfant, lui brisant le crâne.
« Des hommes, des femmes et des enfants du monde entier entament une troisième année de détention illégale dans des conditions mettant leur vie en danger dans le nord-est de la Syrie, alors que leurs gouvernements respectifs détournent le regard », a déclaré Letta Tayler, directrice adjointe de la division Crises et conflits de Human Rights Watch. « Ces pays devraient aider à poursuivre de manière équitable les détenus soupçonnés de crimes graves et à remettre en liberté tous les autres, au lieu de contribuer à la création d’un nouveau Guantanamo. »
Les gouvernements qui contribuent activement à cette détention abusive pourraient être complices de la détention illégale et de la punition collective de milliers de personnes, pour la plupart des femmes et de jeunes enfants, a souligné Human Rights Watch.
En février et mars 2021, Human Rights Watch a communiqué par SMS, courriel ou téléphone avec huit femmes étrangères détenues dans des camps réservés aux membres des familles de suspects de l’EI dans le nord-est de la Syrie, ainsi qu’avec des proches de cinq détenus du camp. Human Rights Watch s’est également entretenu, ou a échangé des courriels, avec des membres de six organisations humanitaires et de six organisations de la société civile qui plaident pour le rapatriement de ces populations, ainsi qu’avec les autorités régionales, des responsables de gouvernements occidentaux, des fonctionnaires de l’ONU, des journalistes et des universitaires. En outre, Human Rights Watch a examiné des dizaines de rapports, d’articles et de vidéos sur les camps et les prisons.
Les personnes interrogées ont décrit des mères et des enfants de plus en plus désespérés qui luttent pour maintenir leur dignité dans des conditions très dures et vivant dans la crainte de contracter le Covid-19. Trois femmes détenues dans le camp de Roj ont déclaré que les gardiens confisquaient les Corans, menaçaient les femmes parce qu’elles portent des niqabs et effectuaient des descentes dans les tentes pendant la nuit. Des femmes surprises avec des téléphones portables ou soupçonnées de dissimuler des informations sur les crimes commis dans le camp ont parfois été passées à tabac et emprisonnées pendant plusieurs jours, voire des semaines, ont déclaré les femmes ainsi qu’un membre de leur famille. L’autorité régionale, appelée Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie, a nié tout abus de la part de ses gardiens, assurant que certaines femmes s’en étaient prises à eux à l’aide de projectiles et d’objets contondants. Badran Chia Kurd, le vice-président de l’administration autonome, a déclaré à Human Rights Watch que les femmes n’étaient dans la plupart des cas emprisonnées que « quelques jours » si elles tentaient de s’enfuir.
Un membre de la famille d’une détenue a déclaré que celle-ci était suicidaire. Une jeune mère a écrit que la vie quotidienne dans les camps lui donnait envie de « hurler à pleins poumons » :
C’est épuisant mentalement … Rien ne s’améliore jamais ici. Toujours pire… La majorité des enfants du camp sont malades. Presque tous les jours, un problème survient. Des enfants pris au piège dans des tentes incendiées meurent… Nous avons un réservoir d’eau rempli de vers. Les toilettes sont repoussantes et les gens ont commencé à aménager les [leurs].
Comme toutes celles avec qui Human Rights Watch s’est entretenue, ces femmes ont demandé à ne pas être identifiées par leur nom ou leur nationalité par crainte de représailles de la part d’autres détenus ou des gardiens du camp.
La détention des étrangers « est un énorme fardeau » pour une administration autonome à court d’argent, a déclaré Chia Kurd. « La communauté internationale, en particulier les pays dont des ressortissants se trouvent dans les camps et les prisons, n’assument pas leurs responsabilités. Ce problème, s’il n’est pas résolu, aura des répercussions non seulement pour nous, mais pour le reste du monde. »
Les pays concernés devraient répondre aux appels répétés de l’Administration autonome pour l'aider à garantir aux détenus une procédure régulière, notamment le droit de contester la légalité et la nécessité de leur détention devant un juge. Tous ceux qui sont détenus dans des conditions inhumaines ou dégradantes, ou qui ne sont pas rapidement visés par un chef d’inculpation d’une infraction pénale identifiable dans le cadre de procédures équitables, devraient immédiatement être remis en liberté.
Les pays étrangers devraient également donner suite aux appels répétés de l’Administration autonome leur demandant de rapatrier les détenus non inculpés d’un crime, en donnant priorité aux plus vulnérables. Les enfants rapatriés doivent être accompagnés de leurs parents, conformément au droit de l’enfant à l’unité familiale. Les étrangers exposés à des risques de mort, de torture ou d’autres mauvais traitements dans leur pays d’origine devraient être transférés vers un pays tiers sûr.
Une fois transférés dans leur pays d’origine ou à l’étranger, les détenus pourront accéder à des mesures de réadaptation et de réintégration et, le cas échéant, faire l’objet d’enquêtes et de poursuites, a relevé Human Rights Watch. Les enfants qui vivaient sous le joug de l’EI et toutes les femmes victimes de traite d'êtres humains de la part de l’EI devraient être considérées avant tout comme des victimes, et les enfants ne faire l’objet de poursuites et n’être placés en détention que dans des circonstances exceptionnelles.
Entre temps, les gouvernements étrangers et les bailleurs devraient immédiatement accroître leur aide pour améliorer les conditions de vie dans les camps et les prisons dans le nord-est de la Syrie et faire pression sur le Conseil de sécurité de l’ONU pour qu’il autorise à nouveau les opérations d'aide vitales de part et d’autre des frontières nord-est et nord-ouest de la Syrie en vue d’accélérer l’acheminement de l’aide humanitaire.
Selon les informations disponibles, seulement 25 pays ont rapatrié du nord-est de la Syrie que quelques-uns de leurs ressortissants, principalement des orphelins ou de jeunes enfants, dans certains cas sans leur mère.
L’ONU et les pays donateurs, notamment de nombreux pays d’origine des détenus étrangers, fournissent une aide humanitaire aux détenus et à d’autres dans le nord-est de la Syrie. Mais de graves pénuries d’eau potable, de vivres, de médicaments et d’abris adéquats ainsi que l'insécurité persistent, affirment des experts de l’ONU et d’autres.
L’armée américaine, qui dirige la coalition contre l’État islamique, a financé des mesures visant à renforcer la sécurité et à réduire la surpopulation dans certaines prisons, selon Chia Kurd, les médias et le gouvernement américain. Cependant, ces mesures semblent avoir peu œuvré à rendre les prisons conformes aux normes minimales de détention. En outre, ni les États-Unis ni d’autres membres de la communauté internationale, y compris les pays ayant des ressortissants en détention dans le nord-est de la Syrie, n’ont financé de mesures visant à assurer aux prisonniers des garanties de procédure régulière, selon Chia Kurd.
La coalition internationale contre l’État islamique prévoirait également de financer la construction de centres de détention supplémentaires pour les femmes suspectes, ainsi que d’un « centre de réadaptation » doté de 500 lits pour les garçons plus âgés. Le Royaume-Uni, autre membre clé de la coalition, financerait quant à lui un projet visant à doubler la capacité d’accueil d’une des prisons, à Hasakah, de 5 000 à 10 000 détenus. Les responsables britanniques et américains contactés n’ont pas répondu aux sollicitations de Human Rights Watch dans les délais impartis.
« L’amélioration des conditions de détention horribles ne change rien au fait que la détention indéfinie en l’absence de contrôle judiciaire est illégale », a conclu Letta Tayler. « Il est inacceptable d’agrandir les prisons et les centres de réadaptation pour y parquer des centaines d’enfants qui n’ont jamais choisi de vivre sous le régime de l’EI. »
*Source : HWR