La France espérait une nouvelle administration libyenne qui prendrait ses distances avec la Turquie. Or contre toute espérance, l’alliance entre la Turquie et la Libye est vouée à durer dans le temps.
Par Öznur Küçüker Sirene (revue de presse : TRT en français – 17/2/21)
L’année 2021 a commencé avec beaucoup d’espoir après une année 2020 tumultueuse marquée par l’épidémie de coronavirus, des tensions politiques. Alors que les déclarations et initiatives d’apaisement s’enchaînent les unes après les autres par des responsables turcs et européens, il existe encore plusieurs dossiers qui prouvent que la normalisation des relations entre la Turquie et l’UE ainsi que la résolution des crises entre Ankara et Paris ne sont pas chose simple.
Plus particulièrement un pays, la Libye, semble continuer à être un véritable champ de confrontation entre la Turquie et la France. Après des échanges cordiaux entre le président turc Recep Tayyip Erdoğan et le président français Emmanuel Macron qui s’est même adressé en turc à Erdoğan en écrivant « cher Tayyip », venu le temps des « conditions » pour rétablir de meilleures relations entre les deux pays.
Le 4 février, Macron a conditionné le rapprochement de son pays avec Ankara au retrait des troupes turques de Libye.
Le président Erdoğan n’a pas tardé à rétorquer à ces propos de manière virulente en expliquant que son pays « ne se trouve pas en Libye pour son plaisir » mais pour assurer la paix. « Emmanuel Macron doit d'abord expliquer au monde pourquoi ses troupes se trouvent au Tchad et dans d'autres pays africains », a-t-il ajouté.
La présence de militaires français au Sahel dans le cadre de l'opération Barkhane fait effectivement polémique tant dans les pays concernés (Mali, Tchad, Niger, Burkina Faso et Mauritanie) qu'en France.
Au Mali, malgré l'interdiction des manifestations en raison du coronavirus, une centaine de manifestants a protesté fin janvier contre la présence de la force française dans le pays. En France aussi, un récent sondage Ifop a révélé que 51 % de la population désapprouvait les opérations militaires au Mali.
Or au lieu d’assumer la responsabilité de son pays dans les manifestations anti-françaises qui ne cessent d’accroître dans la région, Macron a même accusé la Russie et la Turquie d’« inspirer des discours anti-français au Sahel ». Il préfère adopter la même attitude vis-à-vis de la Turquie dans le dossier libyen.
Libye : un pays aux enjeux hautement stratégiques
L’année dernière, la Turquie a obtenu d’importants succès militaires et diplomatiques en Libye au grand détriment de la France. C’est notamment la signature de deux accords stratégiques sur la coopération militaire et la délimitation maritime avec le gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, reconnu par la communauté internationale, qui a permis à la Turquie de changer le cours des évènements dans le pays.
Le soutien militaire turc a permis aux forces pro-GNA de repousser fin juin 2020 une offensive de Haftar -soutenu par la France- lancée en avril 2019 pour s’emparer de la capitale libyenne, Tripoli. Quant au protocole sur le partage des ZEE turque et libyenne, il a renforcé la main de la Turquie en Méditerranée orientale dans un contexte où la Grèce soutenue par la France tentait d’exclure Ankara de toute table de négociation pour le partage des ressources naturelles.
Aujourd’hui encore, alors qu’un nouvel exécutif a été établi en Libye dans le cadre du Forum du dialogue politique libyen (FDPL), processus mené par la mission des Nations unies en Libye (UNSMIL), le nouveau Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah, qui a pris ses fonctions le 5 février, a exprimé son attachement à la Turquie par ces mots : « La Turquie est un pays allié, ami et frère ». Une alliance qui inquiète déjà la France, comme le prouve le tout récent titre du journal Le Monde : « En Libye, l’ombre de la Turquie et de la Russie plane sur le compromis politique ». De plus, comme le souligne le spécialiste Jean Dominique Merchet dans son article intitulé « Coup de théâtre en Libye », le nouvel exécutif d'union nationale nommé en Libye n'est pas vraiment « celui attendu par la communauté internationale ».
Les enjeux sont majeurs dans cette quête d’influence en Libye tant pour la Turquie que pour la France : Bénéficiant d’une position géographique géostratégique, le pays représente un lieu de transit migratoire, une porte d'entrée commerciale en Europe mais il possède surtout d'importantes réserves de pétrole (les plus importantes en Afrique et les neuvièmes dans le monde). Selon le chercheur à l'institut Initiative Globale contre le Crime Organisé Transnational, Jalel Harchaoui, la Turquie vise aussi à « raviver des contrats qui représentaient quelque 20 milliards d’euros avant la chute de Mouammar Kadhafi » en Libye. Pour la France, la Libye présente une importance cruciale notamment parce qu'elle collecte l'or, l'uranium et le pétrole extraits du Tchad, du Niger, du Mali sur la base aérienne d'Al Joufra avant de les transporter sur le territoire français via le port de Syrte.
Les enjeux importants en Libye nous montrent que la guerre d’influence entre la Turquie et la France n’est pas prête à s’arrêter.
Une chose est certaine : Comme toujours la Turquie ne se laissera pas intimider par ces ultimatums. Espérons maintenant qu’Ankara et Paris trouvent enfin un terrain d’entente au sujet du dossier libyen, basé sur une approche gagnant-gagnant pour toutes les parties concernées, ce qui serait aussi une avancée considérable pour l’amélioration des relations franco-turques.
*Source : TRT en français