Theresa May et Benyamin Netanyahou
devant le 10 Downing Street en novembre 2017 (Reuters).
par Mark Curtis (revue de presse : Réseau international / Middle Est Eye – Extrait -13/8/18)*
Londres considère Israël comme un allié stratégique contre la Syrie et l’Iran – ses deux principaux ennemis dans la région – et n’hésite pas, au passage, à sacrifier les Palestiniens
La Grande-Bretagne a une relation spéciale avec Israël dont font peu état les médias traditionnels mais qui est incontournable à la lumière des récents massacres à Gaza. Bien que plus de 110 manifestants aient été tués depuis le début de la Grande marche du retour, la Grande-Bretagne a défendu les actions israéliennes. À ma connaissance, le gouvernement britannique n’a pas condamné Israël pour ces tueries. À la place, il s’est contenté d’« exhorter Israël à faire preuve de retenue », tout en reconnaissant son « droit à se protéger » et en tenant le Hamas pour responsable de la violence.
Lorsque la Première ministre britannique Theresa May a téléphoné à son homologue israélien Benyamin Netanyahu le 10 mai, date à laquelle 40 manifestants palestiniens avaient déjà été abattus par les forces israéliennes à Gaza, il semblerait qu’elle n’ait même pas soulevé la question. En revanche, la Grande-Bretagne a décidé qu’elle ne reverrait pas ses exportations d’armes à Israël après les massacres de Gaza, lesquels n’ont été discutés qu’une seule fois par le gouvernement.
En prenant le parti d’Israël lors des tueries de Gaza, la Grande-Bretagne est apparue comme fidèle à ses habitudes. La relation du Royaume-Uni avec Israël est en effet spéciale dans au moins neuf domaines, notamment les ventes d’armes, la force aérienne, le déploiement nucléaire, la marine, le renseignement et le commerce, pour n’en citer que quelques-uns.
Un soutien continu
Theresa May a déclaré qu’Israël était « l’une des grandes réussites du monde » et un « phare de la tolérance », tandis que son secrétaire d’État à la Défense Gavin Williamson a affirmé qu’Israël était une « lumière pour les nations » dont les relations avec le Royaume-Uni « reposent sur un sens partagé des valeurs de justice, de compassion et de tolérance ».
Cette exubérance traduit un soutien britannique continu à Israël sur la scène internationale, un soutien qui l’aide à protéger cet état voyou de l’ostracisme. Ainsi, la Grande-Bretagne s’est abstenue lors du vote de l’ONU sur l’autorisation d’une enquête sur les tueries de Gaza, sous le prétexte que celle-ci n’incluait pas d’investigations sur le Hamas ; à la place, le Royaume-Uni soutient Israël dans sa volonté de mener sa propre enquête.
L’année dernière, le ministère des Affaires étrangères britannique a refusé de signer une déclaration commune lors de la conférence de paix de Paris sur la Palestine, l’accusant de « se dérouler contre la volonté des Israéliens ».
« [La relation entre le Royaume-Uni et Israël est] la pierre angulaire de beaucoup de ce que nous faisons au Moyen-Orient »
– Gavin Williamson, secrétaire d’État à la Défense
La Grande-Bretagne a approuvé des ventes d’armes à Israël pour une valeur de 445 millions de dollars depuis la guerre de Gaza en 2014, et il ne fait quasiment aucun doute que certains de ces équipements ont été utilisés contre des Palestiniens dans les territoires occupés.
Le Royaume-Uni exporte des composants de drones britanniques alors qu’Israël utilise des drones pour ses opérations de surveillance et ses attaques armées. Le Royaume-Uni exporte des composants pour avions de combat alors que les forces aériennes israéliennes effectuent des frappes aériennes à Gaza, causant la mort de civils et la destruction des infrastructures. Le gouvernement britannique admet qu’il n’a pas évalué l’impact sur les Palestiniens de ses exportations d’armes vers Israël.
Cette politique fait pourtant suite à un rapport de 2015 du Home Office indiquant qu’Israël promeut un « modèle croissant » consistant à tirer délibérément sur les enfants palestiniens et que les Palestiniens sont généralement « de plus en plus tués […] en toute impunité » par les forces israéliennes. Depuis 2000, Israël a tué près de 5 000 Palestiniens non impliqués dans les hostilités, dont environ un tiers âgés de moins de 18 ans.
Deux poids, deux mesures
En mai 2018, Israël est devenu le premier pays à lancer une attaque aérienne au moyen de l’avion de combat furtif de nouvelle génération F-35, atteignant des cibles en Syrie. Alors que la production de F-35 est gérée par la société d’armement américaine Lockheed Martin, l’industrie britannique construit 15 % de chaque F-35, impliquant des sociétés telles que BAE Systems et Rolls-Royce.
Rien n’est autorisé à interrompre la « coopération très étroite en matière de défense et de sécurité » entre la Grande-Bretagne et Israël. Des pilotes de l’armée britanniques sont même entraînés par une compagnie appartenant à la société israélienne d’armements Elbit Systems.
Selon les estimations, Israël possèderait 80 à 100 ogives nucléaires, dont certaines sont déployées sur ses sous-marins. Le Royaume-Uni aide efficacement ce déploiement nucléaire en fournissant des composants de sous-marins à Israël. D’après le général David Salamah, commandant de la base navale israélienne de Haïfa, les sous-marins israéliens opèrent régulièrement « au plus profond du territoire ennemi ».
La Grande-Bretagne aide depuis longtemps Israël à développer des armes nucléaires. Dans les années 1950 et 1960, les gouvernements conservateurs et travaillistes ont conclu des centaines de ventes à Israël de matières nucléaires, dont du plutonium et de l’uranium.
Le contraste avec la politique britannique vis-à-vis de l’Iran est frappant, comme en attestent les propos de l’ancien ministre des Affaires étrangères Boris Johnson, qui a déclaré que le Royaume-Uni était « catégorique sur le fait qu’un Iran doté de l’arme nucléaire ne serait jamais acceptable » et a maintenu des sanctions contre l’Iran. En revanche la Grande-Bretagne refuse d’adopter des sanctions contre Israël, qui est pourtant un véritable État nucléaire.
En 1995, le Royaume-Uni et d’autres pays ont accepté une résolution de l’ONU visant à établir une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient. On ignore si Londres a déjà exercé des pressions sérieuses sur Israël à ce sujet …(…)…
*Sources et la suite sur Réseau international ou Middle East Eye
Mark Curtis est un historien et analyste spécialiste de la politique étrangère et du développement international du Royaume-Uni. Il est l’auteur de six livres, dont le dernier en date est une édition mise à jour de Secret Affairs: Britain’s Collusion with Radical Islam.
Version originale en anglais : Middle East Eye