Gina Haspel, surnommée "La sanglante"
Par Robert Scheer (revue de presse : Les Crises – 20/8/18)*
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Que le Sénat confirme ou non la nomination de Gina Haspel comme directrice de la CIA, sa nomination même définit Donald Trump comme un leader impitoyable irrémédiablement insensible au mépris des droits de l’homme et de la primauté du droit, affirme Robert Scheer.
Laissons à Donald Trump, assiégé par les dénonciations de son comportement tortueux envers les femmes, le soin d’avoir nommé une femme tortionnaire à la tête de la Central Intelligence Agency. C’était un geste clairement conçu pour prouver qu’une femme peut être aussi grossièrement barbare que ce président profondément misogyne. Lorsqu’il s’agit d’intimidation, Gina Haspel, dont l’audience de confirmation commence mercredi, est la vraie affaire, et le Donald est un minet en comparaison. A qui a-t-il fait subir le supplice du simulacre de noyade ? Haspel a fait cela et bien pire encore. Haspel est la féministe idéale de Trump, un point tweeté le 5 mai par la secrétaire de presse de la Maison-Blanche, Sarah Huckabee Sanders :
« Il n’y a personne de plus qualifié pour être la première femme à diriger la CIA que Gina Haspel, une ancienne de la CIA de puis plus de 30 ans. Tout démocrate qui prétend soutenir la promotion des femmes et notre sécurité nationale, mais s’oppose à sa nomination est un complet hypocrite. »
Ils l’appellent « Gina la sanglante », et pour certains de ses amis de la branche torture de la CIA et leurs partisans au Congrès, c’est un compliment. Pendant une décennie après les attentats du 11 septembre 2001, Haspel a servi de chef d’état-major, dirigeant le vaste réseau de prisons secrètes de torture à travers le monde. Comme l’a établi un rapport catégorique du Comité sénatorial du renseignement, la torture n’est pas légale, selon le droit américain et les pactes internationaux signés par le président Ronald Reagan, et elle ne produit aucune information susceptible de donner lieu à des poursuites pour prévenir les actes de terrorisme.
Après la révélation publique de l’ampleur du programme de torture qui a horrifié le monde entier, Haspel a délibérément détruit 92 bandes vidéo témoignant de la pratique barbare, violant un ordre du ministère de la Justice de préserver les bandes et entravant ainsi clairement une enquête criminelle. Pourtant, en mars, Trump a choisi de nommer Gina la sanglante à la tête de notre super agence d’espionnage.
Sortant du « côté obscur »
Reconnaissons à Trump le mérite de la cohérence : Il a fait campagne sur le thème que la torture – ou « interrogatoire renforcé », comme la justifiait son prédécesseur républicain, George W. Bush – n’est mauvaise que lorsque des nations autres que la nôtre le font. Et en nommant Haspel à la tête de la CIA, Trump cherche clairement à sortir la torture du côté obscur secret, comme l’ancien vice-président Dick Cheney a appelé sa relance de la technique du donjon médiéval ; Trump l’a qualifié d’arme légitime, fabriquée en Amérique, maniée par une femme, rien de moins. Trump semblait dire : « Traitez-moi de brute ; je vais vous montrer ce qu’une femme peut faire ! » Quand il s’agit d’autoriser la quasi-noyade des prisonniers enchaînés et de leur fracasser la tête contre les murs de la prison, cette dame est l’égale de n’importe quel macho.
Le meilleur témoignage des crimes de Gina la sanglante est offert par un véritable héros de la vraie guerre contre le terrorisme, l’ancien agent du FBI Ali Soufan, qui est reconnu pour avoir fait les interrogatoires le plus significatifs des suspects terroristes capturés. Soufan a refusé la torture et a habilement gagné la confiance des prisonniers qui ont ensuite fourni des informations fiables.
« Il est de notoriété publique », écrit Soufan dans le magazine The Atlantic, « que Gina Haspel… a joué un rôle clé dans le programme de l’agence, aujourd’hui arrêté, de “techniques d’interrogatoire améliorées”, un euphémisme orwellien pour un système de violence que la plupart des Américains reconnaîtraient comme de la torture. … Je sais de première main à quel point ces techniques étaient brutales – et à quel point elles étaient contre-productives. … Comme on pouvait s’y attendre, l’inspecteur général de la CIA a conclu que le programme de torture n’a pas réussi à produire des renseignements significatifs et j’ai témoigné dans le même sens sous serment au Sénat. »
Obama les a laissés partir
Bien qu’il n’y ait aucune preuve que cette souillure indélébile sur l’héritage de l’Amérique ait produit des informations fiables, la nomination de Bloody Gina a envoyé un message de ce président au monde entier que la torture doit être récompensée. Il y en a beaucoup, y compris le sénateur républicain John McCain, qui a été torturé en tant que prisonnier au Vietnam, qui ont soulevé des questions sur le soutien de Haspel au programme de torture. « Le recours à la torture a miné nos valeurs, entaché notre honneur national et menacé notre réputation historique », a déclaré M. McCain.
Mais même certains démocrates peuvent soutenir la nomination de Haspel, étant donné que des membres de leur parti ont été complices en excusant la pratique odieuse de la torture. Après tout, c’est le président démocrate Barack Obama qui a décidé de ne poursuivre personne pour avoir ordonné ou commis des tortures qui sont l’une des grandes souillures de l’histoire américaine. En fait, M. Obama a poursuivi l’ancien agent de la CIA John Kiriakou pour avoir révélé l’existence du programme de torture à un journaliste. Il l’a fait après la déclaration mémorable du président Bush selon laquelle les États-Unis “ne torturent pas les gens !” Ironiquement, le ministère de la Justice de Bush a innocenté Kiriakou de toute accusation, tandis qu’Obama les a relancés deux ans plus tard et a envoyé l’ancien agent en prison pour 30 mois.
Que le Sénat confirme ou non Haspel, le fait même de sa nomination définit Trump comme un leader forcement insensible et méprisant complètement les droits humains fondamentaux et la primauté du droit. Ce n’est pas Trump qui a lié de façon indélébile l’Amérique à la torture ; cette honte revient à George W. Bush, un républicain « modéré », mais il restait à ce président américain de qualifier la torture de sport américain favori.
Cet article a été publié à l’origine sur Truthdig.
Robert Scheer, le rédacteur en chef de Truthdig, s’est forgé une solide réputation pour ses écrits sociaux et politiques au cours de ses 30 années de journalisme. Il a réalisé la célèbre entretien du magazine Playboy dans laquelle Jimmy Carter a confessé la luxure dans son cœur et il a fait de nombreux entretiens pour le Los Angeles Times avec Richard Nixon, Ronald Reagan, Bill Clinton et beaucoup d’autres personnalités politiques et culturelles. Entre 1964 et 1969, Scheer a été correspondant au Vietnam, responsable d’édition et rédacteur en chef du magazine Ramparts. De 1976 à 1993, il a été correspondant national pour le L.A. Times, écrivant sur divers sujets tels que l’Union soviétique, la maîtrise des armements, la politique nationale et l’armée.
*Source : Les Crises
Version originale: Robert Scheer, Consortium News, 08-05-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.