Par Xavière Jardez
Après son offensive de charme en Amérique latine (Colombie, Argentine), Israël a jeté son dévolu sur l’Afrique pour reprendre le siège d’observateur au sein de l’Union africaine qu’il avait perdu en 2003, à la dissolution de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), et ce afin d’inverser le rapport de force, notamment au sein des organisations internationales comme l’ONU qui, de son côté, prépare un texte sanctionnant les sociétés ayant signé des contrats avec ce pays, pour les territoires occupés illégalement, autrement dit les colonies.
En dépit du succès rencontré par Netanyahou, en juillet, en Ethiopie et au Kenya, pays ayant avalisé ses prétentions en contrepartie du développement de liens sécuritaires, face au terrorisme, et commerciaux, le désir d’Israël d’étendre son influence diplomatique en Afrique n’est pas acquis. N’oublions pas que l’Ethiopie est un atout précieux puisque ce pays est, depuis, janvier 2017, membre non permanent du Conseil de Sécurité, pour deux ans.
Deux principaux Etats membres, l’Egypte et l’Afrique du sud s’opposeront à cette candidature, l’Afrique du sud, par l’intermédiaire de l’ANC, affirmant que le traitement du peuple palestinien en Israël s’apparente à l’apartheid : il ne faut pas oublier qu’Israël avait tissé des liens économiques étroits avec le gouvernement du Parti National sud-africain dans les années 70 et 80. Ces accusations résonnent favorablement dans le public sud-africain. Même si les anciens dirigeants, Ehud Barak et Ehud Olmert, s’efforcèrent de se rapprocher de l’ANC pour améliorer les relations avec Pretoria, l’ANC ne s’est pas prêtée au jeu. Elle a même condamné l’Alliance Démocratique, parti d’opposition sud-africain, pour ses relations étroites avec Israël, a salué les 200 000 sud-africains de la campagne pro-palestinienne dans la province du Cap et exprimé sa solidarité avec le peuple palestinien contre « l’apartheid israélien ».
Les visées de l’Ethiopie sur la vallée du Nil
L’opposition de l’Egypte au statut d’observateur d’Israël remonte à Hosni Moubarak. L’inclusion de cet Etat dans l’organisation avait déjà essuyé un refus de sa part, en 2003, sur incitation de la Libye, malgré le soutien de grands Etats comme le Nigéria, le Kenya et l’Ethiopie, l’Egypte craignant alors qu’Israël utiliserait sa qualité de membre pour soutenir les visées supposées historiques de l’Ethiopie sur le bassin de la vallée du Nil. Cette position ne variera pas et les relations privilégiées entre l’Egypte et Israël conduiront, peut-être, l’Ethiopie à faire marche arrière.
Israël a voulu agir comme médiateur entre les pays ayant des relations difficiles avec les Etats-Unis et, plus particulièrement, le Soudan, allant jusqu’à demander aux Européens de faire un geste face à la dette de 50 milliards de dollars qui étrangle ce pays. Ce dernier a refusé l’intervention israélienne arguant que toute amélioration avec Washington résulterait de discussions bilatérales. Des parlementaires soudanais s’inquiètent, par ailleurs, de l’influence israélienne sur les décisions politiques US qui pourrait altérer l’approche de Washington sur le Soudan et bénéficierait, outre mesure, à Netanyahou et à son agenda anti-iranien.
Dans un contexte de ressentiment passé de l’Afrique envers Israël, la diplomatie douce de ce dernier se heurte au sentiment largement répandu que les diplomates israéliens servent les intérêts américains et qu’Israël n’est pas cette présence constructive qu’il prétend être.
Israël, dernier pays à appliquer l’apartheid
Les Palestiniens ont répondu à ce débordement d’activités israéliennes en direction de l’Afrique, en missionnant une délégation conduite par Uri David qui se définit comme « un Hébreu palestinien antisioniste » Pour lui « Israël devra être rejeté pas, parce que ce pays s’appelle Israël mais parce que c’est le dernier Etat à appliquer l’apartheid. Et je mets au défi l’ambassadeur, dans ce pays [le Sénégal] ou un autre, de me prouver le contraire » a lancé Uri Davis (v.encadré ci-dessous), Sa mission le conduira dans une dizaine de pays africains, dont le premier est le Sénégal. Un défi de taille se présente à lui, avec le sommet Afrique-Israël au Togo, et la présence de 130 entreprises israéliennes, qui, même reporté, inquiète l’Autorité palestinienne.
« J’appelle les pays qui hésitent à participer à l’initiative très négative lancée par le gouvernement du Togo, le sommet Afrique-Israël, à ne pas y participer ».
Pour sa part, Mahmoud Abbas appelle l’Afrique à conditionner ses relations à la fin de l’occupation des territoires palestiniens. « Les tentatives de l’occupation israélienne de participer à votre conférence régionale (CEDEAO) et d’organiser des conférences l’encourage à poursuivre son arrogance, son occupation de la Palestine et son déni des droits du peuple palestinien ». « Nous espérons » précise-t-il, « que le renforcement des relations entre le continent (africain) et Israël sera lié à son engagement de mettre fin à son occupation de la terre de Palestine, depuis1967, et dont la capitale est Jérusalem-Est ».
Sources :
Israël’s African Union Observer Bid : an Uphill Struggle, by Samuel Ramani (Huffington Post)
Sénégal, tournée du Fatah pour contrer l’influence d’Israël en Afrique, (RFI – 8/10/17).
Qui est Uri Davis ?
Source : Jonathan Cook (Electronic Intifada – 21/8/09)
Traduction et Synthèse : Xavière Jardez
Uri Davis est certainement une épine dans le pied d’Israël : professeur d’études critiques sur Israël à l’Université d’Al-Qods à Jérusalem, il est le premier juif israélien à être élu au Conseil Révolutionnaire du Fatah (1), organe valant parlement composé de 120 membres, à la 31ème place sur 80 sièges, enjeu de 600 candidats. Cette élection est une véritable percée en matière de communication de l’Autorité Palestinienne qui l’a missionné pour conduire une délégation contre l’admission d’Israël à l’Union africaine comme observateur.
« L’OLP représente une alternative démocratique pour tous, y compris le peuple colonisateur, celui qui, actuellement, perpétue les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité » dit-il parlant d’Israël et de sa population juive. « Au cours des 25 ans où j’ai rejoint le Fatah et l’OLP, ce message a été marginalisé, la majorité allant dans la direction opposée, les accords d’Oslo ». Il est peu enclin à discuter des tensions présentes entre le Fatah et le Hamas, dénonçant, cependant, ce dernier d’attiser les flammes de la guerre civile. Son principal objectif est d’élargir la base militante du Fatah sur le modèle de l’ANC d’Afrique du sud dont il a soutenu, dès les années 1980, le combat contre l’apartheid de ce pays.
Il a été élevé dans un milieu juif ashkenaze, à Jérusalem, puis, a passé dix ans en exil après avoir été recruté par Abou Jihad pour le Fatah en 1984. Il a dirigé le bureau du Fatah à Londres et, suite aux accords d’Oslo, fut autorisé à retourner en Israël où il s’installa à Sakhnin, dans une communauté palestinienne au nord d’Israël où il conduisit une campagne contre les lois et pratiques obligeant les juifs et les Palestiniens à vivre en totale isolation.
Il est marié à une Palestinienne, brisant ainsi un autre tabou israélien, qui n’a pu obtenir de permit de séjour, comme c’est le cas pour tous les Palestiniens des territoires occupés. Israël refusa de lui octroyer un permit pour rendre visite à son frère mourant à Jérusalem-Est annexée par Israël illégalement. « Cela n’est pas spécifique à ma famille mais atteste de la cruauté perpétrée contre l’ensemble du peuple palestinien de la Cisjordanie et de Gaza par les autorités occupantes. »
Dans son dernier livre, « Apartheid Israël : Possibilities for the Struggle Within » (2003), il y démontre que la discrimination dont sont l’objet les Palestiniens est enracinée dans les lois et correspond aux quatre classes de citoyens établies par le Parlement israélien. Les six millions de juifs occupent la place la plus privilégiée de cette hiérarchie, suivie par le million de la minorité palestinienne, citoyens de seconde classe, puis 250 000 réfugiés dépouillés de leur titre de propriété et enfin, cinq millions de réfugiés dont la nationalité et celle de leurs descendants a été annulée après la guerre de 1948. Il a vécu dans chacune de ces catégories.
Son élection a été, à sa grande surprise, salué et soutenu, internationalement et par une grande partie de la communauté juive à l’étranger. L’hostilité est venue lors d’entretiens avec des médias israéliens qui se sont offensés de « mon langage, présentant Israël comme un Etat d’apartheid, le sionisme comme un projet colonialiste, et dénonçant la criminalité de la direction israélienne ».
Son impopularité parmi les juifs israéliens s’intensifiera certainement à mesure qu’il mettra à profit sa nouvelle position au sein du Conseil Révolutionnaire pour pousser la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël). Le but ultime est, dit-il, l’application des résolutions de l’ONU pour l’établissement de la solution d’un seul Etat.
(1) Ilan Halévi, juif antisioniste, ancien vice-ministre palestinien des Affaires étrangères, décédé en juillet 2013, a également siégé au Conseil Révolutionnaire du Fatah. Il était né à Lyon.
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