Par Conn M. Hallinan (revue de presse: Tehran Times - 23/2/17)*
Nombreux sont les analystes ou militants qui pensent que la solution de deux Etats, palestinien et israélien, a vécu en raison de la brutale politique d’occupation et de déracinement des Palestiniens de leur sol de l’Etat d’Israël, et ce, depuis des décennies. Tel est l’avis de Conn M. Hallinan de Foreign Policy in Focus dont nous publions l’entretien qu’il a accordé au quotidien iranien Tehran Times.
Tehran Times : Comment analysez-vous la dernière conférence de presse tenue conjointement par le président américain, Donald Trump et le premier ministre israélien, Netanyahu ? Quelle est la position de Donald Trump sur le conflit israélo-palestinien ?
Conn M. Hallinan : Il est difficile de savoir avec exactitude quelle sera la politique étrangère de D.Trump. Il a commencé par menacer la Chine, a promis de revenir sur le pacte nucléaire avec l’Iran, et a applaudi au démantèlement probable de l’Union européenne. Il a depuis changé de position même si son hostilité envers l’Iran reste inquiétante. Trump dit qu’il soutient la solution à deux Etats mais il en va de même de Netanyahou et nous savons que ce n’est pas vrai. Le premier ministre israélien dit ce qu’il fait parce qu’il sait que c’est ce que veut le reste du monde et en particulier la majorité des Américains qui est derrière lui. Le problème avec Trump est qu’il ne connaît rien à la politique étrangère et qu’il a la concentration d’un moucheron. Il est impossible de saisir Trump parce qu’il l’ouvre sans arrêt. Bien que je pense que Trump n'abandonnera pas la solution à deux Etats, je pense qu’il ne poussera pas les Israéliens à la roue.
Tehran Times: La probabilité existe-t-elle que la solution à deux Etats fasse partie du processus de paix israélo-palestinien ? Cela peut-il aider la question palestinienne et dans le cas contraire, quelles autres alternatives pourraient le faire ?
Conn M. Hallinan : Un préjudice considérable, peut-être même fatal, a été causé à la solution à deux Etats. Les colonies ont coupé la Cisjordanie en une série de cantons- du genre bantoustans de l’Afrique du sud de l’apartheid- et je ne peux imaginer comment un Etat indépendant pourrait y subsister. Le problème est que s’il n’advient pas, les Palestiniens continueront à vivre sous occupation militaire. Les Israéliens avancent vers la solution à un Etat, ce qui signifiera l’une des deux solutions: soit l’expulsion des Palestiniens vers la Jordanie, ou un véritable régime d’apartheid avec pour citoyens de second classe, les Palestiniens. Mon sentiment est qu’il doit y avoir un Etat palestinien, entraînant l’anéantissement de nombreuses colonies, une Jérusalem partagée, et des compensations (que la communauté internationale pourrait prendre en charge). Ou alors un seul Etat séculaire, ce qui serait le mieux mais je ne pense pas que les Palestiniens aient envie de vivre avec les Israéliens. L’occupation a été et est brutale.
Tehran Times: Les Palestiniens sont de plus en plus inquiets de la possibilité que l’administration Trump approuve le programme de colonisation d’Israël et transfère l’ambassade US à Jérusalem. De quelle manière ce transfert pourrait-il affecter la Palestine, Israël et les Etats-Unis ?
Conn M. Hallinan : Si les Palestiniens perdent Jérusalem, ils perdent 60% de leur économie et cela est mortel. Trump n’a émis que quelques vagues, vagues protestations à propos des colonies et ne semble pas pressé de transférer son ambassade à Jérusalem. S’il le fait, Israël et les Etats-Unis se trouveront isolés internationalement et les Israéliens craignent ça. Un boycott international efficace mettrait à mal Israël. Les Européens ont déjà frappé des coups fatals à Israël. Mais encore une fois, si Jérusalem n’est pas partagée entre les protagonistes, aucun Etat palestinien viable n’est possible.
Tehran Times: Pourquoi la Palestine n’est-elle plus la priorité de la communauté musulmane ? Comment se fait-il que certains pays arabes ne soutiennent plus la cause palestinienne mais, en revanche, tentent de normaliser leurs relations avec Israël.
Conn M. Hallinan : Cela s’explique en partie par le fait que les Etats-Unis ont détruit l’Irak et la Lybie et ont écrasé la Syrie. La seule voix réellement indépendante au Moyen Orient en ce moment est l’Iran et, jusqu’à un certain point, la Turquie même si cette dernière partage la responsabilité de la guerre en Syrie. Les monarques du Golfe (Persique) regardent avec anxiété par-dessus leur épaule vers leurs peuples. L’Arabie Saoudite est dans un pétrin économique et piégée dans une intervention désastreuse au Yémen. Les Etats-Unis et Israël sont ses alliés naturels dans la mesure où chacun d’entre eux ne veut guère de voix divergente au Moyen Orient. Je n’ai jamais supposé que la religion était un enjeu en soi, mais servait de métaphore pour le pouvoir et le contrôle. Les attaques contre les Chiites peuvent épouser la forme d’une guerre de religion mais leur but est de pérenniser la division de l’Irak et de la Syrie et de marginaliser l’Iran. L’Egypte dépend de l’Arabie saoudite pour garder la tête hors de l’eau et donc soutiendra l’Arabie saoudite quoi qu’il en coûte, sauf quelque chose d’aussi stupide que l’invasion du Yémen. Les Egyptiens ne sont pas assez bêtes pour s’engager dans cette débâcle d’autant qu’ils l’ont essayée dans les années 1970 et ont découvert ce que toute personne sensée sait, qu’il y a deux endroits que vous vous gardez d’envahir : le Yémen et l’Afghanistan.
Je voudrais ajouter que la plupart des pays arabes ont peu fait pour la Palestine, à part les discours.
Tehran Times: L’Iran accueille une conférence internationale de deux jours sur la Palestine en solidarité avec cette nation opprimée face à l’occupation israélienne. Quel est, à votre avis, l’impact de tels événements dans l’amélioration de la situation de la Palestine ?
Conn M. Hallinan : Le moyen le plus efficace pour promouvoir l’agenda palestinien est au travers d’une pression internationale, en particulier d’une campagne de boycott. Israël devrait être traité de la même manière que l’Afrique du sud l’a été, et devrait être isolée internationalement.
Tehran Times: Paris a ouvert ses portes à une Conférence de Paix sur la Palestine, le 15 janvier, à laquelle ont participé les délégations de 70 pays à l’exception des représentants d’Israël et de l’Autorité palestinienne. La conférence a été qualifiée de futile par Netanyahu mais la Palestine en a apprécié l’approche multilatérale. Comment évaluez-vous l’impact de cette conférence, particulièrement au vu des frictions apparentes de l’Union européenne avec les différentes prises de position de Trump ?
Conn M. Hallinan : L’UE est très importante ici. Elle a soutenu l’occupation israélienne grâce aux ventes d’armes, son aide économique et son commerce. L’UE est le plus grand groupe commercial de la planète avec le plus grand produit intérieur brut. Si l’UE s’en prend aux violations par Israël du droit international, il pourrait y avoir une grande différence. Pour moi, toute action internationale crée la différence.
*Conn Hallinan entretient une colonne dans Foreign Policy Forum. Il est titulaire d’un doctorat en anthropologie de l’Université de Californie. Il a dirigé un programme de journalisme dans la même université pendant 23 ans où il a été doyen.
Source: Tehran Times (23 février 2017)
Traduction et Synthèse: Xavière Jardez