Revue de presse : The Star (1) – Afrique du sud (8/2/15)
Leila Khaled *, membre du Bureau Politique du Front Populaire de Libération la Palestine (FPLP) en charge des réfugiés et du droit au retour, est arrivée en Afrique du sud pour une visite de 5 jours organisée par le BDS-South Africa (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) afin de renforcer l’isolement international d’Israël, et ce malgré les pressions exercées par les organisations sionistes d’Afrique du sud sur le gouvernement et les institutions.
Voici des extraits de son entretien avec Janet Smith, rédacteur en chef de The Star, sur son unique désir de voir son peuple libéré.
Janet Smith : Vous avez évoqué un devoir non seulement en tant que militante mais aussi en tant que réfugiée. Quels en sont les rôles et différent-ils quand vous êtes Palestinien hors de votre pays ?
Leila Khaled : Un réfugié perd toute dignité en plus d’avoir perdu son pays. La souffrance est immense, les gens sont obligés de fuir (en 1948 quand Israël s’est déclaré Etat), certains et moi étions jeunes. Vous n’avez rien, pas de maison, rien. Et le monde ne s’est soucié de nous qu’en tant que réfugiés alors que c’était une question politique.
Les Palestiniens ont été remplacés par des gens qui ne possédaient pas ce pays, n’avaient jamais eu avec lui aucun lien. Ce fut une telle injustice. Mais, nous n’avons pas abandonné. Nous aspirons à notre retour sur notre terre, garanti par le droit international, les Nations unies avec la Résolution 194 de 1948. Nous sommes toujours des réfugiés, 66 ans après.
(…) Tous les Palestiniens ont eu une vie dure jusqu’à ce que nous grandissions et comprenions la signification d’être un réfugié. Aussi, dès le moment où la révolution a éclaté après 1967 quand toute la Palestine a été occupée, moi et les autres avons rejoint la révolution.
Nous avons appris d’autres peuples que, pour obtenir nos droits, nous aurons à nous battre. Mais nous n’avons pas atteint nos objectifs, seulement nous avons reconquis notre identité nationale car, auparavant, nous n’étions même pas un peuple. …
Demander à tout Palestinien quel est son rêve et il vous dira « Rentrer ». C’est émotionnel mais nous devons y travailler car cela change d’un endroit à un autre. Un réfugié à Gaza dispose d’un havre différent de celui qui habite un pays arabe où il peut être victime d’une autre agression. En Europe, par exemple, il est possible de promouvoir le BDS comme moyen de faire face à l’agression de notre peuple en Palestine occupée. N’oubliez pas, les réfugiés sont aussi en Cisjordanie et en Galilée où il leur est interdit d’aller dans leur village et sont déplacés.
Il existe une corrélation entre élever le niveau de conscience et, parallèlement, utiliser tous les moyens de résistance y compris la lutte armée.
JS : Vous dites que vous avez rejoint la lutte armée et avez détourné un avion parce que vous vouliez sonner l’alerte pour que les gens se disent : Pourquoi ? Quelles sont les alertes maintenant ? Les gens se demandent-ils encore pourquoi ?
L.K : Nous avons déjà sonné l’alarme et la question palestinienne est sur l’agenda international, elle n’est plus mise en doute. Mais le problème est que le monde n’en fait pas suffisamment pour les droits des Palestiniens. (…) Quand il est question du retour des Palestiniens, on entend : « comment faire revenir 5 à 6 millions ? ». Mais on doit savoir que les Palestiniens ont le droit de retourner sur leur terre et d’exercer leur droit à l’autodétermination. On ne peut prétendre qu’un peuple puisse décider de son avenir sans être sur sa terre. Qui est le peuple de la Palestine ? Ce sont les réfugiés hors de la Palestine et ceux de l’intérieur qui ne peuvent retourner dans leur village, indépendamment de l’Autorité Palestinienne, sauf si Israël le permet…..
JS : Quelle sera la fin du conflit ? Est-elle d’établir un Etat démocratique où tous, juifs ou non-juifs, pourront décider ?
LK. : Nous voulons établir un Etat pour les êtres humains, où chacun aura les mêmes droits, les mêmes devoirs, sur ce morceau de terre. C’est une solution humaine, c’est pourquoi nous demandons : pourquoi les Israéliens ne le voient-ils pas ainsi ?
JS : Le FPLP a interdit les détournements d’avion et certains militants ont été exclus quand ils s’y sont opposés. Est-ce bien ? En dehors de vos détournements, l’acte le plus proéminent de votre part est l’assassinat de Rehavam Ze‘evi, ministre du Tourisme et leader d’extrême droite à la Knesset (parlement israélien) qui a poussé « au transfert de population ». On dit qu’il appelait les Palestiniens « poux » et « cancer ». Quelle est la position actuelle ? Votre organisation dit que ses partisans sont responsables de l’attaque contre la synagogue de Jérusalem en novembre dernier qui a fait 5 morts.
LK : Nous faisons partie de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) dont nous sommes l’un des fondateurs. Le programme de l’OLP demande de redonner leurs droits aux Palestiniens même par la lutte armée….Mais, nous cherchons à mettre un terme à l’oppression et nous observons comment Israël agit envers nous, même envers l’élément modéré qu’est le Fatah (organisation de Yasser Arafat, dirigée par Mahmoud Abbas ainsi que l’Autorité Palestinienne). Il n’est pas un partenaire de paix. Nous disons que ce n’est pas un conflit religieux, mais un conflit de droits. Israël veut en changer la nature car il espère alors obtenir le soutien de la communauté internationale. Nous n’avons rien à faire avec les Chrétiens, les Juifs ou les Musulmans. Il s’agit d’un problème de droits. Nous ne visons pas les Juifs, mais les occupants.
JS : Que pensez-vous de l’Etat islamique ?
LK : Je vous remets en mémoire ce que les sionistes ont fait en Palestine : aller dans les villages, tuer les femmes, les enfants et les hommes. A l’époque il n’y avait pas de médias. Maintenant, ils existent et il est facile de tuer et de montrer ce qu’il arrive à ceux qui s’opposent. Mais égorger … Même dans vos pires cauchemars vous ne le voyez pas. Nous les considérons comme des terroristes, ils détruisent nos sociétés, ils nous détruisent de l’intérieur en tant qu’êtres humains.
Mais après l’occupation de l’Irak par les Américains, ces derniers ont soutenu cette alternative qu’est l’Etat islamique avec des armes, une formation et des moyens de communication, etc.. Puis ils se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas en venir à bout. Maintenant, ils se contentent de les contenir.
JS : La croissance de l’économie israélienne a ralenti pour atteindre 2,6% l’an dernier, la pire performance en 5 ans. Il apparaît que les élections du 17 mars prochain seront difficiles pour Netanyahou. Près de 1/5 de la population vit dans la pauvreté… Il semblerait que le seul politicien capable de le sortir est Tzipi Livni (ancienne espionne et négociateur), Comment voyez-vous l’avenir immédiat d’Israël ? Un autre politicien que l’actuel premier ministre, obsédé par la sécurité, ferait-il la différence pour la libération des Palestiniens ?
LK : Il n’y a pas de gauche en politique israélienne. Il n’y a que la droite et l’extrême-droite. La société vire de plus en plus à droite, et cela est effrayant parce qu’avec des extrêmes, la société sombre dans le chaos et le conflit connaît une escalade. Il y aura plus de sang versé, plus de confiscation de terres, plus de démolitions de maisons. (…) Il est vrai que les Israéliens sont descendus dans la rue pour protester contre la politique économique, puis tout s’est dissipé ce qui signifie que la société est traversée de contradictions. Mais quand il s’agit des Palestiniens, ils sont tous unis contre toute solution.
Ils veulent tous une même chose, l’apartheid.
JS : Etes-vous toujours marxiste ? Que pensez-vous des relations nouvelles entre Cuba et les Etats-Unis ? Comment voyez-vous le Président Maduro du Vénézuela et les changements intervenus depuis la mort d’Hugo Chavez ? Vous aviez dit que c’étaient des sociétés parfaites.
LK : Je suis toujours marxiste. Pour Cuba, je pense que ce qui s’y est passé découle d’une politique de prévention. Cela a conduit à la libération de prisonniers et c’est bien, mais comme a dit Castro, ce n’est pas pour cela que nous changerons de système social. C’est une ouverture intelligente pour Cuba dont le peuple comprend et a confiance en ses dirigeants.
Au Venezuela, l’opposition est totalement soutenue par les Américains mais Chavez avait à cœur l’esprit de la dignité et il faut du temps pour s’installer solidement. Mais nous devons apprendre de cet esprit de la dignité et l’acquérir.
*Leïla Khaled, icône de la résistance palestinienne, est née en 1944 à Haïfa. Elle est surtout connue pour avoir été la première femme à détourner des avions occidentaux, en 1969 et 1970, en tant que militante du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), organisation dirigée par Georges Habache. Arrêtée après le détournement de 1970 et emprisonnée à Londres, elle a été libérée un mois plus tard en échange d’otages retenus lors d’autres détournements. Leïla Khaled est membre du Conseil national palestinien (CNP) et de l’Union générale des femmes palestiniennes.
Photo : Leïla Khaled en tournée en Afrique du sud.
(1) An interview with Leïla Khaled (The Star – 8/2/15)
Traduction et Synthèse: Xavière Jardez
Campagne pour la libération de Leïla Khaled (1970) :