Interview de Gilles Munier (7 Jours – Rennes - 5/12/14)
Comme le rappelait dernièrement TV5 Monde qui l’a interviewé, le Rennais Gilles Munier, secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes, est sans doute un des Français qui connait le mieux la situation dans ce pays. Consterné, c’est peu dire, par le sort terrible réservé aux minorités ethniques et religieuses par les djihadistes de l’Etat islamique, il vient de présenter un livre sur les Yézidis*, un des peuples massacrés parmi lequel il a vécu. Il nous livre ses impressions :
7 Jours : Très peu de gens avaient entendu parler des Yézidis avant que Barack Obama n’en prenne brusquement la défense après les exactions commises par l’Etat islamique qui les accuse d’être des « Adorateurs du Diable ». Que dites-vous?
Gilles Munier : La religion yézidie est une des plus vieilles religions du monde. Elle est issue du mithraïsme en vogue il y a 3 à 4 000 ans y compris parmi les Romains, et du zoroastrisme dont Zarathoustra a été le grand réformateur. Ils sont victimes de massacres depuis des siècles parce qu’ils ne font pas partie des religions théoriquement protégées par l’islam comme les juifs et les chrétiens, ce que le Coran appelle les « Gens du Livre ». Les Yézidis sont d’accord pour dire que le Diable a été déchu par Dieu de sa position de chef du corps des Anges pour avoir refusé de se prosterner devant Adam, mais qu’il a été pardonné 7 000 ans plus tard, la faute n’étant pas si grave. Les Yézidis croient aussi à la métempsychose, c’est-à-dire à la réincarnation après la mort, et à la transmigration des âmes dans une autre enveloppe, noble ou non – humaine, animale, végétale - en fonction de la façon dont ils se sont comportés durant leur existence… C’est un peu compliqué. Pour en savoir d’avantage, je conseille à ceux que cela intéresse de se plonger dans le livre qui vient de paraitre !
7 Jours : Vous n’avez fait que préfacer « Les Yézidis » de l’assyriologue Joachim Menant en résumant votre découverte de ce peuple…
Gilles Munier: Il y a 14 ans, j’ai proposé à des éditeurs d’écrire un livre sur les Yézidis auxquels je venais de consacrer quelques pages dans mon « Guide de L’Irak », mais ils n’étaient pas intéressés, estimant que l’ouvrage ne serait pas « rentable ». Le sort réservé aux minorités de la plaine de Ninive, et notamment des Yézidis, m’a bouleversé : l’urgence de la situation ne permettait pas de relancer mon projet de livre, j’ai préféré répondre aux Editions Erick Bonnier qui me proposaient de préfacer l’excellent ouvrage que leur a consacré Joachim Menant. Il est d’une brûlante actualité, bien que publié… en 1892. Les Yézidis y étaient déjà massacrés : 3 200 venaient d’être égorgés par les Kurdes.
7 Jours: La situation dans cette partie du monde empire d’année en année. Apercevra-t-on un jour « une lueur au bout du tunnel » ?
Gilles Munier : L’expression a été utilisée par Jacques Chirac qui a dit aussi à propos de la dernière guerre d’Irak que George W. Bush avait « ouvert la boîte de Pandore ». On paye aujourd’hui le découpage du Proche-Orient par la France et de la Grande-Bretagne après la 1ère Guerre mondiale sans considération pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les administrations Bush et Obama tentent de faire pareil, provoquant un chaos sanglant et destructeur dont les générations à venir auront du mal à se dépêtrer. Un climat de guerre de religions prévaut de plus en plus dans cette région. Israël a commencé en se déclarant « Etat juif ». Le nouvel Etat dit islamique est en voie de constitution à cheval sur l’Irak et la Syrie. On se dirige vers une nouvelle guerre du Golfe, et ce ne sera malheureusement pas la dernière. Je crains ensuite un conflit de grande ampleur entre sunnites et chiites. Une invitation à participer à une conférence à Téhéran est tombée à pic pour avoir un aperçu de la situation sur place.
7 Jours : Pouvez-vous nous dire deux mots sur votre visite en Iran ?
Gilles Munier : La conférence était organisée pour démonter les mécanismes des campagnes israéliennes incitant les Etats-Unis à bombarder les centrales nucléaires iraniennes. Les débats étaient très ouverts, sans interdit d’aucune sorte. Cela m’a agréablement surpris. Plusieurs journalistes et auteurs américains étaient présents. J’espère poursuivre le dialogue, car l’Iran - après l’Irak et la Syrie – est un des pays visés par le plan occidental de remodelage du Moyen-Orient et un acteur incontournable sur la scène irakienne. Dommage que la France n’ait plus son mot à dire. En entrant dans le jeu américain, Sarkozy et Hollande ont enterré le politique d’indépendance du Général de Gaulle.
Photo : Campagne anti- troisième guerre d’Irak au Québec
* « Les Yézidis, Ceux qu’on appelait les Adorateurs du Diable », par Joachim Menant / G. Munier – Ed. Erick Bonnier – 211p -18 euros.