Curieuse façon pour l’Etat dit hébreu de promouvoir le « dialogue » à Jérusalem que de construire, de force, un « Musée de la Tolérance » sur un cimetière palestinien classé historique depuis 1927. Derrière cette opération scandaleuse, soutenue en douce par l’UNESCO, le Centre Simon Wiesenthal (CSW), spécialisé jusqu’ici dans la chasse aux nazis allemands, et reconverti depuis peu – les fugitifs de l’époque hitlérienne étant de plus en plus rares – en machine de propagande coloniale israélienne. Bien évidemment, comme cette profanation n’est pas l’œuvre d’antisémites briseurs de tombes juives ou de djihadistes allergiques aux mausolées soufis, les médias occidentaux observent… « un silence de mort ».
Par Vijay Prashad (Frontline - magazine indien – extraits - 21/2/14 – traduction et synthèse par Xavière Jardez)*
En 2011, l’UNESCO s’est trouvé à nouveau au cœur du problème israélo-palestinien quand ses membres ont accordé à la Palestine sa place de membre. Aussitôt, les Etats-Unis et Israël ont mis fin à leur contribution financière à l’organisation, et de ce fait perdu leur droit de vote en novembre 2013. Mais, ce n’est pas le motif pour lequel l’UNESCO a annulé, mi-janvier dernier, la tenue d’une exposition intitulée « Peuple, Livre et Terre : Les 3500 ans de relations entre le Peuple Juif et la Terre d’Israël » parrainée par le Centre Simon Wiesenthal (CSW). Elle l’a fait, en catastrophe, à la demande de 22 pays arabes qui estimaient qu’elle aurait un « un impact négatif » sur le processus de paix au Proche-Orient.
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, l’ambassadeur américain aux Nations unies, Samantha Power et l’activiste français, Bernard-Henri Levy, ont critiqué cette décision, ce qui a valu à ce dernier une légère remontrance de la diplomate bulgare, Irina Bokova - directeur-général de l’UNESCO - pour ses exagérations mensongères. La polémique a été enterrée après qu’on a précisé que l’exposition n’était pas annulée, mais reportée au mois de juin prochain..
Etonnamment, personne n’a profité de l’occasion pour parler d’un autre projet du Centre Wiesenthal : la construction, à l’est des murs de la Vieille Ville de Jérusalem, d’un « Musée de la Tolérance » sur le cimetière historique de Mamilla, digne lui aussi d’être protégé par l’organisation internationale préservant les sites du patrimoine mondial. Au contraire, l’UNESCO s’est fait l’allié tacite d’Israël et lui a donné un feu vert tacite pour construire le musée. Dix ans d’efforts de la Campaign to Preserve Mamilla (Campagne pour la Préservation de Mamilla) pour sauver le site ont été réduits à néant.
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Bien qu’ayant perdu leur droit de vote à l’UNESCO, les Etats-Unis et Israël, avaient insisté pour que ladite exposition se tienne au siège de l’organisation, à Paris. Son annulation n’a évidemment pas été du goût du rabbin Marwin qui dirige le CWS et l’a qualifiée de « manœuvre purement politique » et expliqué qu’il voulait démontrer « que le peuple juif n’est pas venu en Terre Sainte seulement après l’holocauste nazi, mais retraçait ses origines culturelles et historiques dans cette terre depuis trois mille cinq cent ans »…
En fait, ce n’est pas l’annulation de l’exposition qui rend cette histoire si sordide mais que ce projet ait pu prendre corps. L’UNESCO et les Etats-Unis se sont mis d’accord pour l’organiser malgré son message politique partisan : démontrer un lien entre l’Etat d’Israël tel qu’il a été créé en 1948 et l’antiquité. Il existe de nombreux documents qui attestent de la façon dont l’archéologie israélienne ignore tout ce qui n’est pas juif en Palestine. Nadia Abu el-Haj, dans son livre Facts on the ground : Archeological pratice and territorial self-fashioning in Israeli Society (2001) illustre comment les archéologues israéliens utilisent des bulldozers pour « atteindre le plus rapidement possible les couches les plus profondes » et « oublient ou détruisent tous les objets qui sont non-juifs ». Pour rendre la terre juive, il est essentiel de minimiser la présence d’autres peuples dans leur passé ancien et récent.
Le cimetière Mamilla profané
Le cimetière Mamilla, à Jérusalem, date des premiers temps de l’islam et contient des tombes anciennes soufies, mamelouks et même de Croisés. En 1927, le Haut Conseil Musulman avait mis un terme aux enterrements et l’avait classé site historique. En 1948, l’Etat d’Israël s’est emparé du lieu et n’a cessé depuis, d’empiéter sur un site protégé, selon le droit international et même israélien. En 1964, une section du cimetière a été rasée et transformée en parking avec toilettes (!). Depuis 2004, il est devenu la proie du Centre Wiesenthal.
Le rabbin Marwin, outragé par l’annulation de l’exposition, ne se souvient plus qu’il avait assuré en 2010 que le musée serait bâti non sur le cimetière « mais un site adjacent où, pendant cinquante ans, des centaines de personnes de toutes confessions se sont garées dans une structure de trois étages sans aucune protestation »… A l’époque, cela s’était d’ailleurs révélé mensonger car le « parking » en question - selon l’historien Rachid Khalidi de l’Université de Columbia, un des dirigeants de la « Campaign to Preserve Mamilla » - faisait partie intégrante du cimetière !
Un sursis à exécution du Tribunal Islamique, organisme faisant partie du système judiciaire israélien, a été écarté par le gouvernement israélien. L’Association Al-Aqsa et la Campaign to Preserve Mamilla ont écrit à l’UNESCO pour demander d’étudier le dossier, sans résultat.
Le Département des Antiquités israéliennes (IAA) a conduit des fouilles secrètes dans le périmètre sud-ouest du cimetière, le 26 juin 2011, profanant une centaine de tombes, provoquant ce que Gidéon Suleimani, chef des fouilles de l’IAA, a décrit comme« une transgression importante de l’éthique de la profession d’archéologue ». Le droit israélien – comme la loi sur les Antiquités de 1976 et les règlements de 1994 du ministère des Affaires religieuses sur le transfert de restes humains - ont été violés. Heiner Bielefeld, rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté religieuse ou de croyance s’est adressé au gouvernement israélien pour s’assurer que « les fouilles et les travaux de construction sur le site de Mamilla respectaient et promouvaient le respect du patrimoine et la propriété culturels ainsi que la liberté de religion ou de croyance ». Son rapport n’a jamais reçu de réponse d’Israël. Il en fut de même pour les tentatives de renseignements de F. Bandarin, de l’UNESCO en 2006 qui, contre toute attente, indiquait que le cimetière Mamilla n’entrait pas dans la juridiction de l’UNESCO, alors que le mandat de cette organisation est bien plus vaste.
Cependant, en 1996, l’UNESCO avait une position très claire : « on m’a confirmé qu’il n’existait pas de projet qui désacraliserait le site mais qu’au contraire, le site et les tombes seraient sauvegardés…et restaurés…en accord avec les autorités du Waqf (1)». Rien n’a été entrepris pour stopper la construction du musée israélien.
Indignation à géométrie variable
Lorsqu’au Mali, Ansar al-Din a détruit d’anciennes tombes à Tombouctou, Irina Bokova a déclaré sur la chaîne CNN : « l’attaque sur Tombouctou est une attaque contre notre Humanité ; elle est aussi… une attaque contre la tolérance…Une attaque contre la preuve matérielle que la paix et le dialogue sont possibles ». Elle s’est rendue personnellement au Mali et une autre fois, en 2013, avec le président Hollande pour demander « la restauration culturelle immédiate … comme un élément fondamental de l’unité nationale et de la réconciliation ».
La destruction du cimetière Mamilla, à Jérusalem, n’a pas eu droit à pareille réaction. Comment expliquer que dans un cas la profanation de tombes est « un crime contre l’humanité » et dans un autre un non-événement ?
(1) Autorité musulmane gérant les biens légués à perpétuité à une œuvre pieuse.
*Version originale : Grave silence
http://www.frontline.in/world-affairs/grave-silence/article5652845.ece