Par Patrick Seale (Revue de presse: Washington Report - extraits - Juillet 2013)*.
Le modus operandi en Syrie ressemble à s’y méprendre au scénario irakien - mensonges, provocations, exagérations, invasion, propagande, soutien des Occidentaux aux rebelles,- jusqu’aux accusations d’usage d’armes chimiques par le régime de Bachar al-Assad.
Le 23 avril 2013, un officier supérieur israélien, Utai Brun, brigadier-général, chef du Centre de recherche du renseignement militaire, a, lors de la visite de trois jours du nouveau Secrétaire à la Défense US, Chuck Hagel, accusé la Syrie d’utiliser des « armes chimiques contre des tireurs, au cours d’une série d’incidents ces derniers mois… ». Il n’avait cependant fourni aucune preuve, ni témoignage à l’appui de ses dires mais précisé que les Forces armées israéliennes pensaient que le gaz sarin avait été employé, notamment lors d’une attaque le 19 mars.
… Chuck Hagel, dont la nomination à ce poste s’était fait de justesse en raison de l’hostilité du lobby pro-israélien, étaient même vu par certaines organisations juives comme un anti-sémite. Il espère maintenant pouvoir mettre un terme à cette animosité.
Lors de cette première visite en Israël, il avait annoncé que ce dernier recevrait des Etats-Unis une riche cargaison d’armes les plus sophistiquées- des avions approvisionneurs, des radars derniers cris et même le dernier prototype d’avions le V-22 Osprey* que nul autre allié n’a obtenu. Mais, même si Israël s’est félicité de cet arsenal, cela ne l’a pas empêché d’accuser la Syrie de recourir à des armes chimiques- évidemment dans le but de provoquer une attaque US contre ce pays.
Désagréablement surpris par l’annonce du Général Brun, Hagel a déclaré, le 24 avril qu’il avait discuté de cette question avec Benyamin Netanyahou et le ministre de la Défense, Moshe Ya’alon et que ni l’un ni l’autre n’avait dit que la Syrie avait effectivement utilisé des armes chimiques… Les autorités israéliennes avaient pensé que Hagel, à peine convalescent de la raclée que les pro-israéliens lui avaient donnée à Washington pour sa nomination, ne mettrait pas en doute l’annonce du général Brun.
Que cherchait Israël en incitant les Etats-Unis à attaquer la Syrie ? Certes, le remplacement de Bachar al-Assad par une personnalité plus malléable. Mais Israël craint que Jabbat al- Nusra, une aile violente d’al Qaeda, prenne le pouvoir en Syrie à la chute d’Assad. L’accusation donc devait entraîner une intervention armée des Etats-Unis sous peu qui le débarrasserait et d’Assad et de Jabbat al-Nusra.
Israël sait parfaitement que l’administration Obama est réticente à dépêcher des troupes pour une nouvelle guerre, que ce soit en Syrie ou en Iran. Cependant, par cette accusation, il pensait tendre un piège à Obama et l’engager dans une campagne contre la Syrie ce que d’ailleurs le président Obama avait laissé croire lorsqu’il avait dit que la « ligne rouge » serait franchie par le recours aux armes chimiques par les Syriens.
Moscou fut rapide dans sa réaction et le 28 avril, le directeur du journal russe Global Affairs écrivait : « Moscou ne croit pas que Assad puisse utiliser des armes chimiques : il n’est pas si fou pour se mettre dans un tel pétrin ».
… Conscients que leurs efforts n’ont pas porté leurs fruits, les porte- paroles israéliens ont très rapidement fait marche arrière et le ministre des affaires stratégiques et de l’intelligence a assuré, le 29 avril, que « Nous n’avons jamais demandé ou encouragé les Etats-Unis à prendre des mesures militaires contre la Syrie ». Ces échanges apportent la preuve s’il en fallait de la détermination d’Israël à inciter les Etats-Unis contre les ennemis d’Israël. …Israël doit donc se contenter d’exercer des pressions constantes sur les Etats-Unis à propos de l’Iran et de la Syrie. Mais il pense que son véritable ennemi est le Hezbollah au Liban… Il est intéressant de noter que les seules attaques d’Israël dans la guerre civile syrienne sont des attaques de convois d’armes soit disant en route pour le Liban, à partir du Centre de Recherche et d’Etudes scientifiques de Barzeh, près de Damas, en Syrie. Israël craint que toute nouvelle acquisition d’armes chimiques par le Hezbollah fournira à ce dernier une immunité considérable contre toute attaque israélienne.
… Israël ne conçoit pas de limiter l’extraordinaire liberté qu’il a eue jusqu’à présent d’attaquer ses voisins et de ne jamais être attaqué en retour. Pour Israël, si les Etats-Unis pouvaient faire le travail à sa place, tant mieux. Si ce n’est maintenant, peut-être une autre fois.
Traduction et synthèse : Xavière Jardez
*Le V-22 Osprey est un avion de transport à rotors basculants. Il décolle comme un hélicoptère. Il se transforme ensuite en turbpropulseur à grande vitesse, capable de voler à haute altitude.
* Le journaliste britannique Patrick Seale, ancien correspondant de The Observer à Beyrouth, est un des grands spécialistes de la Syrie et du Liban. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment de Asad of Syria: The Struggle for the Middle East (1988), de La lutte pour l'indépendance arabe : Riad el-Solh et la naissance du Proche-Orient moderne (Fayard, 2010), et d’une biographie du chef palestinien Abou Nidal. Ses articles sont diffusés par l’Agence Global (AG).
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