Par Aziz Pahad (The Thinker - Afrique du sud – extraits - octobre 2013)*
Les peuples à travers le monde et de nombreux gouvernements rejettent le concept de « l’exception américaine » et exigent d’authentiques relations multilatérales.
Dans un article publié dans le Business Day, le 16 septembre 2013, Nicole Fritz, directeur du Centre des Conflits pour l’Afrique australe (Southern Africa Litigation Centre) fournit une interprétation de la politique étrangère qui est, au mieux, naïve, au pire, une analyse superficielle du sujet, tout comme le sont les interprétations similaires de nombreux médias.
Fritz reconnaît que « il existe de trop nombreuses inconnues, une absence de preuves irréfutables quant à l’auteur des attaques, pas d’information sérieuse quant aux bénéficiaires de ces attaques » mais elle n’en continue pas moins de prendre à parti le Président Jacob Zuma pour son message aux représentants du Commonwealth dans lequel il les appelait à ne « pas rester silencieux quand un pays était bombardé sous nos yeux ». Fritz en concluait, hâtivement, que ce message traduisait une rhétorique anti-impérialiste.
Fritz passe sous silence le fait indéniable que Zuma exprimait là le sentiment d’une majorité de gens et d’Américains qui pressentaient qu’une attaque imminente se préparait avec les conséquences désastreuses et dangereuses que des frappes militaires engendreraient pour la région et la paix et la sécurité internationales.
Militarisation de la diplomatie
Il est à peu près certain qu’Obama aurait perdu le vote au Sénat et au Congrès de la même manière que Cameron a perdu devant le Parlement britannique, miroir de l’opinion publique de la Grande-Bretagne, lors du vote de sa résolution pour des sanctions militaires contre la Syrie. Défaite cinglante d’un gouvernement de ce pays depuis des décennies !
François Hollande est isolé en France et dans les autres pays européens, y compris l’Allemagne opposée à toute action militaire. Sur notre continent, les anciens chefs d’Etat et de gouvernement ont publié une lettre ouverte ; le Département des Relations Internationales et de Coopération (DIRCO) a fait connaître sa vive opposition, ainsi que les partenaires de l’Alliance en Afrique du sud. Fritz semble ignorer que le Pape, des chefs religieux et des syndicats se sont élevés contre toute action militaire US. L’Afrique du sud a rejoint des millions de gens dans leur opposition à la militarisation de la diplomatie.
(…) En réalité, l’opinion publique a, avec justesse, émis des doutes sur les piètres allégations que le gouvernement d’Assad avait fait usage d’armes chimiques.
Fritz laisse de côté les rapports qui montrent que :
1. En avril 2013, les forces d’Assad ont été accusées d’avoir eu recours à des armes chimiques à Alep alors qu’un rapport d’une enquête onusienne reconnaissait que « les rebelles étaient responsables de cette attaque » ;
2. Les 2 otages belge et italien, invités par les rebelles, récemment libérés par une faction extrémiste qui les avait kidnappés, ont rapporté qu’ils avaient entendu une conversation qui confirmait que les extrémistes étaient à l’origine de l’attaque ;
3. Des agents des services secrets US ont écrit à Obama assurant que cette attaque à Damas était l’œuvre des extrémistes;
4. Des rapports sérieux montrent que les extrémistes ont reçu des armes chimiques d’Irak, de Libye et d’autres pays ;
5. Six extrémistes sont devant les tribunaux en Turquie pour possession d’armes chimiques et d’autres doivent être jugés pour les mêmes faits.
6. Plus de 130 000 personnes ont été tuées dans ce conflit le plus sanglant des dernières décennies ; 9 millions de Syriens ont été déplacés à l’intérieur ou sont réfugiés; il y a eu des destructions massives d’infrastructures et de biens. Tout cela sans utilisation d’armes chimiques.
7.La Russie a fourni des preuves indéniables au Conseil de sécurité de l’ONU que les extrémistes possèdent des armes chimiques.
Les experts de l’ONU ont confirmé que le gaz sarin avait été employé lors de l’attaque sur Damas, mais l’identification des coupables est hors de leur mandat. Mais, une fois de plus, une opération de propagande bien orchestrée a été lancée pour montrer que ce dernier rapport attestait que le gouvernement syrien était le coupable. Les ministres des Affaires étrangères français, britannique, US et le Premier ministre israélien, Netanyahou, ont conduit la charge pour justifier une intervention militaire en Syrie.
Guerre civile à outrance
(…) La « Coalition des Amis de la Syrie » comprenant les USA, la Grande-Bretagne, la France et leurs alliés dans la région s’est mise à armer, entraîner « l’Armée syrienne libre » et la Coalition Nationale Syrienne (CNS) et à leur fournir un soutien logistique. Toutes les tentatives pour unir les différentes forces sous un commandement ont échoué. La CNS a été remplacée par un groupe disparate du nom du Conseil National Syrien.
Des informations récentes révèlent que quelque 200 agents de la CIA arment, entraînent et équipent « une force modérée » qui est entrée en Syrie par la Jordanie. Cela pour faire accroire naïvement que cette force constituera le noyau d’une rébellion armée qui viendra à bout des forces d’Assad et des extrémistes, en provenance de Libye, d’Afghanistan, d’Irak, du Yémen et de Tchétchénie etc…Selon une étude récente (IHS Jane’s), on estime qu’il y a 10 000 djihadistes, entre 30 et 35 000 « islamistes » purs et durs, et quelque 3000 « islamistes modérés » au combat en Syrie. Les combattants nationalistes ou non-confessionnels constituent une minorité.
La « Coalition des amis de la Syrie » prédisait que le régime d’Assad tomberait dans les six mois grâce à une combinaison de sanctions et de rébellion armée. Près de deux ans et demi sont passés, avec les conséquences catastrophiques que l’on sait, et tout indique que, non seulement le régime d’Assad survit, mais qu’il est en train de gagner la bataille militaire. Ce qui veut dire que la majorité de la population syrienne est contre cette guerre civile à outrance et qu’elle soutiendra le régime pour défaire les extrémistes.
« Détruisez le village pour sauver le peuple ».
(…) Les menaces belliqueuses de certains membres permanents du Conseil de sécurité et leurs efforts pour imposer une résolution unilatérale basée sur l’application du Chapitre VII (qui autorise le recours à la force) sont contreproductives et doivent être rejetées. Toute agression militaire prise en absence d’une justification de défense légitime ou d’une décision du Conseil de Sécurité de l’ONU est une violation de la Chartre des Nations unies et du droit international.
C’est aussi une occasion pour lancer une campagne pour un Moyen-Orient dépourvu d’armes de destruction massive, qui doit aussi inclure Israël et ses centaines de têtes nucléaires et un large stock d’armes chimiques. Israël a sans impunité utilisé du phosphore blanc contre la population civile dans la bande de Gaza. Mais, sans surprise aucune, les trois grandes puissances occidentales n’ont pas été offusquées devant cet acte criminel.
(…) Il est triste de constater que les Etats-Unis n’ont pas compris quel était leur rôle (après la fin de la guerre froide) dans ce nouvel ordre mondial et il y a eu un manque de cohérence stratégique et de consistance dans la politique étrangère US.
(…) La politique des différentes administrations US a été fondée sur une définition étroite des intérêts nationaux qui exclut les notions d’intérêts, valeurs et responsabilités partagés. Les Etats-Unis en proclamant leur «exception» ont décidé unilatéralement d’être le gendarme du monde pour mettre en vigueur « la moralité et la démocratie » et ils se sont servis de «coalitions de volontaires» pour atteindre ces objectifs au travers d’interventions militaires.
Les Etats-Unis continuent de vivre sous le slogan qu’ils ont adopté pour la guerre au Vietnam: «Détruisez le village pour sauver le peuple ». De nombreux gouvernements rejettent ce concept d’ « exception » et demandent des relations multilatérales authentiques.
*Aziz Pahad est un militant de l’ANC qui a passé 30 ans en exil. Il a été membre de son Comité National Exécutif, et vice-ministre des Affaires étrangères de l’Afrique du sud de 1994- 2008.
Traduction et synthèse : Xavière Jardez