Revue de presse – Opinion de Benjamin Barder* - Traduction et synthèse par Xavière Jardez
Les attaques virulentes, mais compréhensibles, contre Saïf Kadhafi, fils de Mouammar Kadhafi, qui ont suivi après qu’il eut épousé la cause de son père, du régime et du clan, dès le début du soulèvement, ont rendu extrêmement ardues toute initiative diplomatique en Libye. Ceux qui ont suggéré, il y a six semaines, qu’il ne serait pas facile de renverser Kadhafi, que la conséquence la plus probable serait une guerre civile et tribale longue et une impasse dont le coût en vies humaines serait élevé, ont été ridiculisés comme des individus désireux de voir s’accomplir ce qu’ils prédisaient.
Tripoli n’est pas un autre Le Caire
Mais, nos prédictions se sont avérées plus juste que celles des naïfs excentriques qui insistaient pour dire que Tripoli était un autre le Caire et que la démocratie était à portée de main.
Maintenant que les folles attentes se sont envolées, qu’il est devenu clair que des fissures existent au sein du clan Kadhafi, que le président sud-africain Zuma poursuit une solution pacifique, que le parti de la guerre en France s’est plus ou moins calmé, une ouverture est là, mais elle dépend de l’implication de Saïf Kadhafi et de la constatation qu’il ne peut y avoir de solution militaire et qu’une partition de la Libye entre Cyrénaïque et Tripolitaine comme ce fut le cas avant 1934 n’est ni faisable ni désirable (1).
Peut-on faire confiance à Saïf Kadhafi ?Les médias préfèrent les héros ou les vilains mais Saïf Kadhafi n’est ni l’un ni l’autre. Comme tous les individus pris dans un tourbillon historique, c’est un homme divisé entre les années de travail qu’il a passés à des réformes authentiques qui l’ont mis, certaines fois, en danger, et ses loyautés familiales et claniques qui l’ont renvoyé au sein d’une famille caractérisée par la tyrannie politique et le gouvernement d’un père et dirigeant autocratique.
La Fondation Khadafi
a fait un bon travail
sur les droits de l’homme
Il y a, à peine un an, il a publié un « Manifeste » devant être publié par Oxford University Press, dans lequel il demandait l’avènement d’une société civile et d’une démocratie participative en Libye. Ce Manifeste portait l’engagement de sortir « des régimes héréditaires, de l’autorité de la famille, du règne militaire, de la culture tribale et de l’absence de constitutionnalisme et de la règle de droit » dans une Libye dotée « d’institutions politiques stables et d’un système de lois stable ». Il avait, avec audace, cité le rebelle John Bradshaw qui proclamait que « se rebeller contre le tyran, c’est obéir à Dieu ».
Cela peut paraître pure hypocrisie aujourd’hui au vu de ce qui passe en Libye, de ce qui arrive à ceux qui se rebellent. Mais, cela plaide en faveur de Saïf Kadhafi et de ses tentatives de réforme: car il a joué un rôle essentiel, il y a quelques années, en apportant la participation au gouvernement de deux figures de l’opposition d’aujourd’hui. Mahmoud Jibril a rejoint Saïf et d’autres sur des travaux de développement économique avant de devenir l’un des ministres de Kadhafi. Abdul Jalil fit partie du gouvernement en tant que ministre de la Justice indépendant et juste, grâce à l’entremise de Saïf Kadhafi (2).
Et, puis, il y a aussi la Fondation de Saïf dont je fis partie au sein du Conseil international d’administration et que j’ai quitté au moment de la révolte en signe de protestation (3).
La Fondation a fait un bon travail sur les droits de l’homme, la liberté de la presse, la démocratie électronique, la société civile et la réhabilitation des combattants islamiques dans les prisons libyennes. Que le travail de la Fondation ait été nécessaire a été rappelé par Saïf Kadhafi lors de la Conférence de 2006 de la Jeunesse Nationale Libyenne : « Nous n’avons pas de presse libre. Il n’y a pas de presse du tout. Nous nous leurrons quand nous disons avoir une presse. La Libye a-t-elle l’autorité du peuple et une démocratie directe réellement ?... Tout ce que vous tous savez, c’est que le système démocratique dont nous rêvons n’existe pas en réalité ». Saïf continue de travailler pour la libération de journalistes capturés et pour contrebalancer l’influence de ses frères Mutassin (chef de la sécurité) et Khamis (commandant une brigade de la mort) (4).
Saif, démocrate authentique
et nationaliste libyen
L’an dernier, justement, la Carnegie Endowment for International Peace (5) écrivait : « Pour un peu plus d’une décade, le fils de Kadhafi, Saïf, a été le visage connu de la réforme des droits de l’homme en Libye et la Fondation Kadhafi a été la seule adresse que nous ayons pour les cas de torture, de détention arbitraire et de disparitions ».
Rien de ceci n’excuse les dernières actions de Saïf dans la présente crise, mais cela, en fait, présume qu’une diplomatie tranquille vaut la peine d’être poursuivie afin de mettre un terme à la violence actuelle et la guerre civile. Après tout, Saïf Kadhafi a refusé un poste important dans le gouvernement sauf si ce poste était sanctionné par des élections libres. Tout rôle ne pourrait, à l’heure actuelle, n’être que temporaire, qu’intérimaire dans l’attente du départ de son père et des réformes constitutionnelles, conduisant à des élections libres, qu’il a présentées. En l’absence d’une participation de Saïf, ni lui, ni sa famille n’ont d’autre issue que – comme Saïf l’a déclaré, avec un sinistre à-propos, il y a quelques semaines - « que vivre et mourir pour la Libye ».
Saïf a mis à mal la bonne volonté et la confiance qu’il avait engrangées depuis cinq ans. La seule manière qu’il a de se justifier est de mettre fin à la violente guerre civile et de mettre en place une transition démocratique, pacifique, où son père n’aurait aucun rôle actif. Je crois toujours que, parmi les voix conflictuelles qui agitent l’âme torturée de Saïf, il y a celle d’un démocrate authentique et d’un nationaliste libyen. Mais d’autres doivent ouvrir la porte de telle sorte que Saïf puisse, si tel est son choix, entrer et re-épouser les réformes qu’il a abandonnées à un coût terrible pour lui et son pays.
* Source : There's a real reformer inside Gaddafi's son, par Benjamin Barder (Mail&Guardian on line - 18/4/11).
http://mg.co.za/article/2011-04-18-theres-a-real-reformer-inside-gaddafis-son
Notes (par France-Irak Actualité) :
Benjamin Barber est directeur de recherche - senior fellow - de Demos, un think tank anglo-saxon spécialisé dans l'innovation sociale, proche de Tony Blair et de la « gauche » étasunienne. Le sénateur de Chicago Barack Obama en a été membre. Demos préconise, entre autre, une « infiltration cognitive » des sites Internet dits conspirationnistes, tout en reconnaissant que « certaines théories du complot se sont révélées vraies », les gouvernements ayant « parfois trompé la population pour favoriser certains intérêts cachés ou non déclarés ». Benjamin Barber a été titulaire de la chaire de civilisation américaine à l'Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris (1991-1992). Il a été décoré de la médaille de chevalier de l’Ordre des Palmes académiques en 2001.
(1) La Libye regroupe trois anciennes provinces de l’empire Ottoman : la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan, attribuées à l’Italie, en 1912, par le Traité de Lausanne. Il s’ensuivit une guerre de libération particulièrement sanglante. Après la victoire des Alliés, Idriss al-Senoussi, réfugié au Caire, fut confirmé par les Britanniques émir de Cyrénaïque, puis couronné, à leur instigation, roi de Libye en 1951. Le colonel Kadhafi, à la tête des Officiers libres, le destitua le 1er septembre 1969 et proclama la République.
(2) Abdul Jalil et Mahmoud Jibril sont respectivement président et chef du « gouvernement » du Conseil national de transition (CNT) qui n’est autre qu’une coalition tribale. Ils ont, tous les deux, été reçus par Nicolas Sarkozy. Pour Saïf al-islam, dont ils étaient proches, ce sont des « traîtres et des espions » à la solde des Occidentaux. Dans un câble diplomatique révélé par WikiLeaks, Abdel Jalil était qualifié par les Américains d’ « ouvert et coopératif ».
(3) Benjamin Barber, ancien conseiller politique de Bill Clinton, est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Strong Democracy et Jihad vs. McWorld. Le 22 février 2011, il a démissionné de la Fondation internationale Kadhafi pour le développement, créée en 1997 par Saïf al-islam, pour protester contre la répression du soulèvement organisé à Benghazi.
(4) Khamis Kadhafi commande en fait la 32ème brigade, corps d’élite de l’armée libyenne.
(5) Fondée en 1910, la Carnegie Endowment for International Peace est un des think tanks les plus riches des Etats-Unis. Elle est très active dans le domaine des affaires étrangères. Ses présidents ayant souvent été des responsables des services secrets américains, la Fondation Carnégie est considérée comme un « cheval de Troie de la CIA ».