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Par Robert Inlakesh (Al Mayadeen English - 18 février 2025)*
Pendant 15 mois, la majorité des dirigeants du monde arabe et musulman sont restés les bras croisés alors que le premier génocide retransmis en direct se déroulait en Palestine. Priant pour le retour à un statu quo révolu, ils sont maintenant confrontés à un ultimatum. L'heure est venue de choisir son camp.
Le président américain Donald Trump a présenté son projet d'évacuer la population civile de Gaza, de prendre le contrôle du territoire et de le reconstruire, mais il l'a fait sur un ton laissant entendre que son action serait de nature humanitaire. En réalité, ce qui est envisagé, c'est une invasion, un massacre et un nettoyage ethnique.
Pour clarifier les choses, la probabilité qu'une telle agression se produise est faible, notamment parce qu'elle implique une planification considérable à mettre en œuvre, et rien ne prouve que de tels préparatifs soient en cours. Cependant, rien que la menace d'une telle monstruosité s'est avérée suffisante pour mobiliser instantanément les dirigeants des nations arabes et musulmanes de manière inédite depuis des décennies.
Soudain, ils se sont réveillés, au lieu de se comporter comme si le peuple de la bande de Gaza n'était pas victime de tueries de masse, sur la terre des prophètes, sur la terre de la mosquée Al-Aqsa et du Saint-Sépulcre. Pas même l'invasion du Liban, le meurtre de quelque 3 000 personnes, ni l'occupation de plus de terres syriennes, ni les menaces d'annexion en Cisjordanie, n'ont mobilisé ces dirigeants. Les appels à l'aide des enfants de Gaza, les larmes des mères de Gaza, l'honneur bafoué des victimes de torture et de viol, rien n'a été entendu.
Et soudain, pour la première fois, on perçoit un début de réaction. Pourquoi ? Parce que leur tête à tous est sur le billot. On a eu un aperçu de ce que l'avenir proposé par Donald Trump pourrait entraîner, et des personnalités telles que le roi jordanien Abdallah II ont réalisé qu'elles ne sont qu'un Arabe de plus aux yeux de l'alliance israélo-américaine, ni plus ni moins. Seule leur capitulation les préserve. Tel était le véritable message de Trump : un rappel plus qu'une menace.
L'invasion américaine de Gaza, sans entrer dans les détails, s'avérerait désastreuse à bien des égards, à tel point qu'elle semble irréaliste à première vue. Notamment en raison des coûts énormes qu'impliquerait une occupation américaine, qui pourrait se chiffrer en centaines de milliards de dollars pour les contribuables américains, tandis que les pertes en vies humaines parmi les soldats américains seraient élevées et exerceraient une pression énorme sur Trump au niveau national. Une sorte de nouveau Vietnam pour l'Amérique, où les cercueils étoilés susciteraient l'indignation à travers le pays.
Une invasion américaine ne permettrait pas non plus d'atteindre les objectifs fixés par Trump, car les Palestiniens ne partiront pas de leur plein gré, et l'armée américaine risquerait de devoir prendre le relais des Israéliens, s'exposant ainsi de facto à commettre un génocide. Même si le nettoyage ethnique ne fonctionne que partiellement, les effets déstabilisateurs seraient terribles.
La majorité des dirigeants des pays arabes et musulmans se sont peut-être tenus à l'écart et ont laissé perpétrer le génocide de Gaza, mais leurs populations sont aujourd'hui plus que jamais déterminées à vaincre les occupants sionistes.
Ouvrir les “vannes de l'enfer”
Lorsque le Hamas a annoncé reporter l'échange hebdomadaire de prisonniers jusqu'à ce que les Israéliens autorisent l'entrée d'une aide humanitaire suffisante à Gaza, conformément à l'accord de cessez-le-feu, Donald Trump a réagi en menaçant d'ouvrir les “vannes de l'enfer”. Malgré les menaces de Trump et Netanyahu, les Israéliens ont cédé à la pression et ont rapidement accepté de permettre l'échange de prisonniers comme prévu.
Qu'il soit ou non le véritable cerveau à l'origine de sa rhétorique, ce qui est franchement peu probable, le président américain a en réalité atteint quatre objectifs en lisant entre les lignes :
- Les propositions scandaleuses et illégales de Trump ont contribué à redorer l'image du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu auprès de sa coalition extrémiste.
- Ainsi, le régime sioniste a gagné en marge de manœuvre pour atteindre la deuxième phase de l'accord, car les éléments les plus extrémistes du régime ont désormais le sentiment qu'ils vont pouvoir mener à bien leurs projets de nettoyage ethnique, de colonies et d'occupation.
- Dès la conclusion initiale de l'accord de cessez-le-feu, les dynamiques de pouvoir, telles que perçues par la population - et fabriquées par un battage médiatique incessant - ont fait du Hamas le vainqueur et du régime sioniste le perdant. Trump a réussi à inverser la tendance et à manipuler la perception populaire sur qui contrôle et « gagne » la guerre.
- Il a réussi à rassembler des dirigeants arabes et musulmans jusque-là inactifs ou peu impliqués dans le plan d'après-guerre pour Gaza.
Donald Trump s’est montré plus fanatique et extrémiste que Netanyahu en matière de sionisme, mais n'a encore mis aucune de ses menaces à exécution. S'il continue à tenir de tels propos, il est possible que les États-Unis se voient contraints de mettre en pratique certains des discours du président, afin de préserver leur crédibilité.
Dans les faits, les dirigeants d'Asie occidentale tentent toujours de revenir au statu quo antérieur au 7 octobre 2023. Ils vont devoir se faire à l'idée que ce n'est plus possible.
Aussi excessif que cela puisse paraître, l'Israël que nous connaissions n'existe plus. Pour ceux qui ont suivi la question de près, c'était inévitable. Nous vivons actuellement le scénario d’avant 1948, quand le régime sioniste cherchait à se définir. Grâce à sa supériorité militaire, il a réussi un certain temps à pacifier les pays voisins ou à vaincre les affrontements armés par la force pure et dure, tout en développant son économie et en prétendant diriger un État européen en Méditerranée orientale.
Le projet ne pouvait pas fonctionner, notamment parce que la population palestinienne et juive à l'intérieur des frontières de la Palestine historique se répartissait à peu près à parts égales. En outre, le groupe juif dont la croissance a été la plus rapide est celui des Haredim (ultra-orthodoxes), qui ne servent pas dans l'armée et ne reconnaissent même pas les États-nations modernes. Pourtant, tous les Israéliens réclamaient la Cisjordanie et voulaient régner sur Jérusalem occupée. Les concessions territoriales à l'Autorité palestinienne étant exclues, les sionistes n'avaient que deux options : commettre un génocide ou un nettoyage ethnique de masse, ou les deux.
Avec la montée du fondamentalisme religieux nationaliste de droite, le système de droite laïque inspiré des “démocraties libérales occidentales” a soudainement été menacé. Avant le 7 octobre 2023, ce thème était récurrent dans la politique israélienne, où les ultranationalistes religieux contestaient la vision quelque peu contradictoire défendue par environ la moitié de la population juive israélienne.
Les Israéliens laïques ont alors tenté de s'accrocher à l'illusion de pouvoir vivre éternellement dans une colonie d'apartheid juive libérale et suprémaciste, tout en espérant bénéficier d'un niveau de stabilité longtemps assuré par la puissance écrasante de leur armée. D'autre part, la coalition d'extrême droite de Benjamin Netanyahu, arrivée au pouvoir fin 2022, a commencé à présenter une vision alternative inédite.
Puis ce fut le réveil, le Hamas a lancé l'opération “al-Aqsa Flood”, et les sionistes ont été contraints de se rendre à l'évidence : on ne peut continuer à opprimer le peuple palestinien et s'attendre à ce qu'il disparaisse ou renonce à sa lutte pour la libération nationale. En raison du narcissisme collectif raciste instillé dans l'esprit des colons sionistes, ceux-ci ont réagi de la manière émotionnelle la plus extrême. Voilà pourquoi les sionistes en Occident ont également redoublé d'efforts pour étouffer toute critique : leur racisme s'est trouvé attaqué.
Les sionistes, instinctivement, ont réagi en se demandant “comment ces gens osent défier notre suprématie”. Pour la première fois de son histoire, l'entité sioniste a été militairement réduite en pièces et s'est montrée incapable de vaincre un mouvement de résistance local, principalement armé d'armes légères et de fabrication artisanale. La suprématie américano-israélienne en Asie occidentale a semblé s'effondrer, et l'entité occupante, et son soutien impérialiste, ont réagi comme ils savent le faire : par des tueries de masse.
Ce qui s'est passé à Gaza est une frénésie de violence raciste censée “donner une leçon” aux peuples arabes et musulmans, leur signifiant qu'ils resteront à jamais inférieurs. Le génocide a été calculé pour envoyer un message : résistez à notre suprématie et vous mourrez.
Deux choses se produisent actuellement :
- L'Israël d'hier est mort, il tente aujourd'hui de se redéfinir et de se recréer.
- Les États-Unis tentent de relancer leurs efforts pour transformer la région via la normalisation et la construction de nouvelles routes commerciales, mais ils vont le faire en utilisant la force maximale afin de réprimer tout semblant de dissidence.
Alors, où les folles menaces de Donald Trump entrent-elles en jeu ? C'est simple. Les États-Unis projettent de remodeler toute la région. Le message est clair, et il ne passera probablement pas par une invasion américaine de Gaza, mais plutôt par une pression énorme sur les nations du Moyen-Orient pour capituler et jouer les esclaves de l'alliance américano-israélienne.
Si la Jordanie, l'Égypte et l'Arabie saoudite ne capitulent pas, leurs dirigeants seront remplacés par ceux qui le feront. Dans le cas d'une invasion américaine de Gaza ou d'un nettoyage ethnique de masse, l'Égypte serait déstabilisée et risquerait de subir une incursion israélienne restreinte dans le Sinaï, tandis que le gouvernement jordanien peut être renversé, et l'Arabie saoudite serait alors dans le collimateur.
Des centaines de milliers de Gazaouis déportés par nettoyage ethnique vers le Royaume de Jordanie donneraient inévitablement naissance à un nouveau front de la Résistance palestinienne, un scénario envisageable à tout moment.
Le nettoyage ethnique de la Palestine entre 1947 et 1949 a gravement marqué le monde arabe dans son ensemble, une plaie jamais cicatrisée. Ce qui vient de se produire à Gaza est une blessure bien plus profonde qui nourrira la Résistance jusqu'à l'effondrement du régime sioniste. On oublie trop souvent que le massacre de 3 000 personnes au Liban par les Israéliens, dont le défunt secrétaire général du Hezbollah, Seyyed Hassan Nasrallah, n'est pas non plus pris en compte dans l'équation.
Les impérialistes et colonialistes de peuplement commettent souvent l'erreur de supposer que, parce qu'une population semble aujourd'hui pacifiée, elle le sera aussi le jour suivant. En réalité, les révolutions et les mouvements de résistance exigent du temps, et des mobilisations de masse se produisent parfois de manière aléatoire.
Les États-Unis offrent aujourd'hui au monde arabe et musulman la même option que celle présentée par George W. Bush Jr. lors de cette fameuse déclaration de “guerre contre le terrorisme” : “Soit vous êtes avec nous, soit vous soutenez les terroristes !”
Le discours peut être reformulé, mais la vérité est sans appel : aucun compromis n'est possible. C'est maintenant ou jamais : soit vous vous soumettez et devenez esclaves, au risque de perdre votre territoire, votre fierté et votre stabilité, soit vous décidez à résister. Le problème pour une nation comme la Jordanie, c'est que si elle résiste, elle risque également d'être balayée.
Les commentaires de Donald Trump sont pour l'instant destinés à forcer les dirigeants arabes et musulmans à parvenir à un consensus et à présenter un plan alternatif à sa proposition insensée, ce qui semble fonctionner. Étonnamment, cela semble concourir à la mise en application de la phase 2 du cessez-le-feu à Gaza.
Malheureusement pour ces dirigeants, la question palestinienne à laquelle ils sont désormais confrontés ne s'arrête pas à Gaza. Si les Israéliens annexent la Cisjordanie, cela entraînera l'effondrement de l'Autorité palestinienne et/ou déclenchera un soulèvement majeur. Un tel scénario pourrait inciter l'armée israélienne à se livrer à un nettoyage ethnique dans de vastes régions de Cisjordanie. La Jordanie pourrait alors devenir la destination de ces réfugiés déplacés.
Même l'ancien secrétaire d'État américain Antony Blinken a mis en garde, dans son avant-dernier discours sur la politique étrangère, contre l'effondrement des accords de normalisation entre le régime sioniste et ses voisins à Amman et au Caire. S'exprimant lors d'une conférence organisée par l'Atlantic Council, M. Blinken a consacré la première partie de son discours à de la pure propagande israélienne, avant de répondre ouvertement à quelques questions dans la seconde moitié de son discours. Il a souligné que sans une prétendue “solution à deux États”, les accords de normalisation avec l'Égypte et la Jordanie ont toutes les chances d'échouer.
Si un front de résistance s'ouvre en Jordanie, cela marquerait le début de la fin du régime sioniste. La Jordanie partage avec la Palestine occupée la plus grande frontière terrestre, en grande partie non défendue. Si un mouvement de résistance majeur s'y enracine, la guerre pourrait prendre une ampleur impossible à prévoir. Par ailleurs, les sionistes cherchent manifestement à poursuivre leur agression contre l'Iran et le Yémen et à affaiblir à tout prix le Hezbollah au Liban.
Ces évènements potentiels ne se produiront probablement pas du jour au lendemain, car tout prend du temps. Mais il ne fait aucun doute que la guerre est loin d'être terminée.
*Source : Al-Mayadeen
Traduction: Spirit Of Free Speech