Par Gideon Levy (revue de presse : Arrêt sur info – 26 août 2024)*
C’est l’idéologie qui motive Netanyahou, pas seulement le pouvoir
Peut-être n’avons-nous pas suffisamment dénigré son mode de vie ; en tout cas, il s’en est bien sorti malgré tout ce dénigrement. Mais notez que ses nombreux détracteurs s’abstiennent de l’attaquer sur un point : son idéologie. Pour tous ses détracteurs, il n’a pas d’idéologie, il n’a qu’un désir profond de rester en place, une soif de pouvoir sans limite. Pour eux, les membres de la brigade « tout sauf Bibi », il est un opportuniste creux, dépourvu de toute vision du monde. S’il en a jamais eu une, il l’a vendue il y a longtemps, juste pour rester au pouvoir.
Le rédacteur en chef de Haaretz, Aluf Benn, pense le contraire(*). Selon lui, Benjamin Netanyahou a un objectif primordial, et ce n’est pas nécessairement de rester au pouvoir. Netanyahu, dit Benn, se bat pour un objectif bien plus important : l’occupation permanente de la bande de Gaza.
Pour l’atteindre, le premier ministre est prêt à payer un lourd tribut, y compris l’abandon des otages et le risque d’une guerre régionale, à condition qu’Israël contrôle la bande de Gaza pour toujours. Personne n’a jamais analysé les motivations de Netanyahou de cette manière. La question de ses motivations reste cruciale.
La réponse de Benn ne diminue pas la nécessité de combattre Netanyahou, mais elle révèle la pauvreté intellectuelle de ses opposants. Ils ne l’attaquent pas pour son idéologie, mais seulement pour son mode de vie obscène, parce que c’est beaucoup plus commode pour eux.
Il est également facile d’attaquer Netanyahou sur l’échec du 7 octobre en raison de sa responsabilité suprême, mais ce camp s’abstient de le critiquer pour sa vision du monde parce qu’il sait très bien qu’il n’a pas de réelles différences idéologiques avec lui et aucun plan réalisable pour sortir Israël du nadir dans lequel il s’est enfoncé.
De tous les candidats possibles pour remplacer Netanyahou – Yoav Gallant, Benny Gantz, Gadi Eisenkot, Naftali Bennett, Avigdor Lieberman, Gideon Sa’ar, Yossi Cohen et Yair Golan – il n’y en a pas un seul qui soit prêt à libérer tous les prisonniers palestiniens et à se retirer de l’ensemble de la bande de Gaza. En d’autres termes, personne n’est véritablement en faveur de la fin de la guerre et de la libération des otages. Il n’y a personne non plus qui ait l’intention de se retirer un jour dans les frontières d’avant 1967.
Dans ces conditions, ils évitent de critiquer le plan de Netanyahou. Les crimes et les échecs de son gouvernement, qui ont non seulement valu à Israël d’être accusé de génocide, mais l’ont également transformé en un pays du tiers monde pourri, corrompu et dysfonctionnel, sont décourageants. Ce qui est tout aussi décourageant, c’est qu’aucun de ses critiques virulents ne propose quelque chose de différent.
L’idéologie de Netanyahou est bien plus dangereuse que son style de vie flamboyant et sa corruption. Contrairement à ce que pensent ses détracteurs, il a adhéré à son idéologie au fil des ans. Netanyahou n’a jamais cru aux accords avec les Palestiniens. Il est un fervent adepte de la vie par l’épée pour toujours ; il n’a jamais reculé.
Depuis la supercherie transparente et presque avouée du « discours de Bar-Ilan », Netanyahou a agi et prospéré : Il a définitivement écarté la possibilité de créer un État palestinien et a empêché tout engagement en faveur d’autres solutions.
Il n’a jamais cru à une solution diplomatique et est resté fidèle à sa conviction. La prochaine étape est la conquête de Gaza, et le fait d’en faire une occupation permanente ajoute une nouvelle série de briques à son plan visant à « résoudre » la question palestinienne par la seule guerre.
Netanyahou aurait dû être attaqué sans pitié pour cette vision du monde, avant toute autre chose, y compris son mode de vie. C’est ce qui a semé les graines de la destruction du pays, bien avant l’avion Aile de Sion*, son fils Yair, sa femme Sara et les procès pour corruption.
La rénovation sans fin de la maison de Césarée est odieuse, tout comme le traitement des employés de la résidence du Premier ministre, mais le projet de Netanyahou de perpétuer l’apartheid est le plus grand danger posé par le Premier ministre le plus décrié/révéré de l’histoire d’Israël.
Pour cela, pour l’immortalisation de l’apartheid, aucun leader d’un parti sioniste ne peut attaquer Netanyahou : d’Itamar Ben-Gvir à Yair Golan, ils sont tous d’accord avec lui. Et c’est là la véritable cause du désespoir, c’est la plus grande de toutes les raisons de désespérer.
NdT: * Il s’agit d’un Boeing 767 reconfiguré et modernisé ayant une capacité de 60 passagers, qui a effectué son premier vol en juillet dernier, pour la visite de Netanyahou à Washington. « Aile de Sion » fait l’objet d’une lutte politique en Israël depuis plusieurs années, Netanyahou et ses partisans affirmant qu’il s’agit d’une mesure de sécurité nécessaire, tandis que ses détracteurs le considèrent comme un gaspillage de l’argent des contribuables et un symbole de corruption. Chaque vol coûte plus de 200 000 dollars.
*Source: Arrêt sur info
Version originale : Haaretz,
Traduit par Tlaxcala
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