(Crédit photo : The Cradle)
Comme le révèlent les actions du Yémen, de l’Iran, du Hezbollah, de la résistance palestinienne & irakienne, ce sont les leaders de l'Axe qui fixent les lignes rouges, pas les puissances occidentales.
Par Abdel Qader Osman (revue de presse : Spirit of Free Speech - 15 mai 2024)*
Malgré les désaccords affichés par Washington et Tel-Aviv au sujet de Gaza, la poursuite des livraisons d'armes entre les États-Unis et Israël suggère que la discorde relève davantage du show médiatique que d'une évolution politique.
Alors qu'Israël semble déterminé à lancer une opération militaire de grande ampleur à Rafah pour redorer son blason de vaincu à Gaza, la confrontation médiatique entre le président américain Joe Biden et le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou s'est intensifiée la semaine dernière.
Joe Biden affirme avoir interrompu l'envoi d'armes de précision à Israël pour empêcher une opération de grande ampleur dans le sud de la bande de Gaza, où environ 1,3 million de civils palestiniens déplacés ont trouvé refuge, tandis que M. Netanyahou menace de poursuivre la guerre sans l'aide de Washington.
Dans une interview accordée à CNN la semaine dernière, le président américain a déclaré :
“Je ne fournirai pas aux Israéliens d'armes qui pourraient servir à Rafah, dans d'autres villes, bref, pour résoudre ce problème”.
Ce à quoi M. Netanyahou a répondu le soir même, lors d'une discussion par podcast avec le journaliste juif américain Dan Senor :
“Si nous devons faire cavalier seul, nous le ferons, parce que je suis le Premier ministre d'Israël, le seul et unique État juif, et que nous ne nous laisserons pas abattre.”
À première vue, les tensions croissantes entre les deux alliés, constatées sur la scène politique et médiatique, semblaient prometteuses pour les factions désireuses de mettre un terme à l'effusion de sang en Palestine, sept mois après que Tel-Aviv a lancé son assaut brutal contre la bande de Gaza.
Mais le Premier ministre israélien, qui a souvent été filmé en train de se vanter de l'emprise d'Israël sur la scène politique américaine, pourrait bien avoir gagné cette manche. En l'espace de quelques jours, les avertissements et les menaces de M. Biden se sont volatilisés.
Tout a commencé par un déferlement de politiciens américains sur les plateaux de télévision pour reprocher à leur président en exercice de s'écarter du programme de guerre d'Israël, certains médias américains qualifiant même la décision de M. Biden d'“incitation à l'antisémitisme”.
L'ambassadeur américain à Tel-Aviv, Jack Lew, se calquant sur les propos du Secrétaire d'Etat Anthony Blinken, a confirmé dimanche que “fondamentalement, rien n'a changé dans nos relations essentielles” - qu'un seul envoi de munitions américaines a été gelé, mais que tout le reste continue d'être acheminé “de façon habituelle”.
Dès mardi, la modeste initiative de Joe Biden prenait fin de manière définitive lorsque son administration a informé le Congrès qu'elle prévoyait de transférer un milliard de dollars d'armes à Israël.
Netanyahou savait certainement comment serrer la vis.
Confirmation du statu quo
Comme il s'agissait de la première opposition rhétorique entre les États-Unis et Israël depuis le début de la guerre de Gaza, de nombreux médias arabes et occidentaux ont interprété l'intensité des échanges comme le résultat d'une divergence croissante entre une administration Biden soucieuse “de la vie des civils” et un gouvernement Netanyahu cherchant à restaurer le pouvoir de dissuasion perdu le 7 octobre avec l'opération “Al-Aqsa Flood” et les frappes de représailles iraniennes du 13 avril.
L'analyste politique Hussein al-Dirani, basé en Australie, déclare à The Cradle :
“L'administration américaine est la première responsable de la guerre d'extermination menée par les forces sionistes contre les Palestiniens, aujourd'hui, hier et à l'avenir, et l'entité n'est rien d'autre que l'un des bras du mal américain dans la région arabe et islamique. Biden peut, en une journée ou moins, arrêter ce massacre en ordonnant aux dirigeants de l'agression : ‘Arrêtez cette guerre immédiatement’, et elle prendrait fin sur-le-champ.”
Adhésion de l'Occident au sionisme
Les racines du conflit actuel sont anciennes : l'implantation de l'entité israélienne en Asie occidentale, un projet du sionisme mondial, remonte à la “Conférence de Herzl” à la fin du 19ème siècle.
Depuis des décennies, aucun dirigeant politique américain ou européen n'a envisagé de mettre fin à son soutien à Israël. Le lobby israélien mondial, désormais profondément ancré dans les institutions politiques, universitaires, médiatiques et financières occidentales, vise à protéger l'existence d'Israël coûte que coûte, à le stabiliser dans la région et à pousser les pays arabes à normaliser leurs relations avec Tel-Aviv, explique le journaliste politique yéménite Oussama Sari.
M. Sari, rédacteur en chef de la Yemeni Press Agency, a déclaré à The Cradle que M. Biden ne peut pas abandonner Israël à ce stade, alors que l'élection présidentielle américaine controversée se profile à l'horizon en novembre, et qu'il est confronté à une forte pression intérieure de la part des jeunes américains opposés à la guerre et des principaux électeurs issus des minorités.
Certains observateurs pensent que la menace de Biden de suspendre l'approvisionnement d'Israël en armes offensives n'était qu'une ruse destinée à marquer des points auprès de son électorat agité et désenchanté, et à inciter Israël à rouvrir les négociations en vue d'un cessez-le-feu à Gaza, que Tel-Aviv a récemment rejeté.
D'autres, comme l'analyste M. Dirani, soutiennent que les stratagèmes politiques de M. Biden ne peuvent plus influencer efficacement la course à la présidence, car M. Biden et son principal concurrent, l'ancien président américain Donald Trump, sont tous deux des sympathisants connus, de longue date et jusqu'au-boutistes d'Israël.
La théorie des “tensions” entre États-Unis et Israël
La stratégie médiatique sans lendemain de M. Biden entendait faire passer l'idée que Washington n'est pas convaincu par l'intransigeance de M. Netanyahou et de son insistance à envahir Rafah pour commettre de nouveaux massacres - retournant ainsi l'opinion publique mondiale et américaine contre Israël - en dépit du consentement du Hamas à un cessez-le-feu dans le cadre de la proposition égypto-qatariote.
Au-delà de la rhétorique et de la posture, le positionnement des États-Unis à l'égard de Gaza ne diffère pas fondamentalement de celui d'Israël et pourrait même être plus impulsif et irrationnel. Si les États-Unis n'avaient pas apporté un soutien militaire sans précédent dès le premier jour de ce conflit, la guerre de Gaza se serait arrêtée il y a au moins six mois. Israël n'aurait pas non plus été en mesure de résister à la riposte de l'Iran en avril sans que l'armée américaine ne pilote les opérations défensives, ni même d'espérer contrecarrer les opérations militaires combinées de l'Axe de la résistance de la région.
Au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, les États-Unis utilisent depuis longtemps leur droit de veto pour protéger Israël. Sur les 262 résolutions ayant fait l'objet d'un veto depuis la création de l'ONU en 1945, Washington a opposé son veto 116 fois sur des questions liées à la Palestine.
Il a utilisé ce pouvoir 80 fois pour éviter toute condamnation d'Israël et 36 fois contre des lois soutenant les droits des Palestiniens, le dernier veto n'étant intervenu qu'il y a un mois.
La Maison Blanche et le Département d'État ne cessent par ailleurs de couvrir Israël, affirmant de manière absurde que l'État d'occupation se défend en vertu du droit international, et que les États-Unis n'ont observé aucune violation à Gaza, alors que le nombre de tués palestiniens dépasse les 35 000 et que celui des blessés dépasse les 78 000.
Les lignes rouges de qui et pour qui ?
Ce soutien inconditionnel à Israël, malgré certains bavardages émanant des couloirs du Beltway [Washington] selon lesquels Tel-Aviv est en train de devenir un “handicap pour les États-Unis”, soulève la question de savoir s'il existe une ligne rouge américaine pour les comportements malveillants d'Israël. Le rédacteur en chef yéménite M. Sari ne voit pas les Américains tracer une quelconque ligne rouge pour Israël, quel que soit le crime commis :
“Jusqu'à présent, aucune instance internationale n'a été en mesure de définir les lignes rouges de M. Biden. Sa tentative de suggérer que l'invasion de Rafah en était une n'est pas du tout convaincante. Depuis le début de son agression contre Gaza, le gouvernement américain n'a eu aucune ligne rouge à respecter, et des centaines de patients ont pourtant pâti des crimes qu'il a commis dans les hôpitaux qu'il a pris d'assaut.”
En fait, ajoute M. Sari, “ces prétendues tensions ne sont que du cinéma, puisque M. Biden et M. Blinken ont déclaré en novembre que rien ne pourrait entraver le soutien militaire d'Israël contre le Hamas”.
Le journaliste M. Dirani abonde dans le même sens, reflétant l'opinion arabe croissante selon laquelle les États-Unis ne se livrent qu'à un jeu de dupes, et n'ont pas la moindre intention de faire pression sur Tel-Aviv pour qu'il trouve une solution à cette guerre brutale :
“Biden a voulu dire à Netanyahou qu'au lieu de commettre 100 massacres par jour à Rafah, il devrait n'en commettre que 90. Biden a voulu dire à Netanyahou qu'au lieu de commettre 100 massacres par jour à Rafah, il ne devrait en commettre que 90. Cela signifie que les massacres doivent être proportionnels au degré de brutalité de l'Amérique et non à celui, bien connu, de Netanyahou.”
M. Dirani estime en outre, en se fondant sur leurs déclarations, que toutes les factions de l'Axe de la résistance savent que les États-Unis sont complices du génocide de Gaza et qu'ils sont en fin de compte la cause première de toutes ces tragédies, de tous ces fléaux et de toutes les guerres qui frappent la région.
Au-delà de ces duperies, la complicité des États-Unis dans le génocide de Gaza devient de plus en plus évidente dans le discours mondial. Les efforts de désinvestissement et de boycott d'Israël se multiplient. La plupart des cibles sont des usines d'armement et des entreprises de transport et de logistique.
Si Israël procède à une invasion de Rafah, les répercussions pourraient être graves et entraîner l'effondrement total des intérêts américains en Asie occidentale. Comme l'ont révélé le blocus des voies navigables par le Yémen, les frappes iraniennes, les opérations militaires stratégiques et les frappes du Hezbollah libanais, de la résistance palestinienne et de la résistance irakienne, ce sont aujourd'hui les dirigeants de l'Axe qui fixent ces lignes rouges, et non les puissances occidentales.
Version originale : The Cradle
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