Par Daniel Mermet (Extrait du blog « la-bas si j’y suis » - 18 mars 2024)*
C’est un israélien qui parle ainsi, un des plus célèbre, Moshe Dayan, figure politique et militaire, héro de la guerre des Six Jours, l’homme au bandeau sur l’œil.
La scène se passe en 1956 soit huit ans après la création de l’État d’Israël qui a été suivie par la Nakba, c’est-à-dire l’expulsion de 700 000 palestiniens de leurs maisons et de leurs terres par des paramilitaires sionistes.
La Nakba - la catastrophe en arabe - est vécue comme un prolongement du colonialisme occidental au moment même où celui-ci va commencer son sanglant déclin. La Nakba n’est pas seulement un évènement, pour les palestiniens c’est le début d’un processus qui reste présent, un traumatisme qui se transmet de génération en génération.
Cette année-là, donc, le 28 avril 1956, Moshe Dayan, alors chef d’état-major de l’armée israélienne, arrive dans le kibboutz Nahal Oz, situé près de la frontière avec la bande de Gaza. Déplacement officiel suite à un meurtre qui bouleverse Israël. Roi Rothberg, un des membres du kiboutz ,vient d’être assassiné par des palestiniens infiltrés depuis Gaza où ils vivent comme réfugiés.
Moshe Dayan va prononcer alors un éloge funèbre resté dans l’histoire et qui a un écho terrible avec la tragédie actuelle. Il commence par évoquer les meurtriers de Roi Rothberg :
« Aujourd’hui ne maudissons pas ses assassins. Que savons-nous de leur haine sauvage envers nous ? Ils vivent depuis huit ans à Gaza dans des camps de réfugiés, tandis que nous nous emparons sous leurs yeux des terres et de leurs villages où ils vécurent et où vécurent leurs ancêtres. Ce n’est pas aux Arabes de Gaza qu’il faut demander le prix du sang, mais à nous-mêmes ».
Et Moshe Dayan précise : « Au-delà du sillon qui marque la frontière, s’étend un océan de haine avec un désir de revanche. Nous sommes une génération de colons, et sans casques ni canons nous ne pourrions pas planter un arbre ni construire une maison. »
Terrible rapprochement, 67 ans plus tard, le 7 octobre 2023, le kibboutz Nahal Oz sera la cible de massacres et de destructions lors de l’attaque terroriste du Hamas.
Une colombe, ce chef d’état-major ? Un islamo-gauchiste antisémite ? Pas vraiment, selon l’historien Shlomo Sand : « Dayan était un adepte de la force, au plus mauvais sens du terme, mais il était moins hypocrite que la plupart des dirigeants et des habitants d’Israël passés et présents. En tant que chef du Commandement sud de l’armée, de 1948 à 1950, il a incité et pris l’initiative de l’expulsion des habitants autochtones d’al-Majdal. Dayan connaissait parfaitement les raisons de la frustration et de l’hostilité des Palestiniens, et il n’a pas éprouvé le besoin d’inventer un récit mystificateur et justificateur. »
Quelques mois plus tard, en novembre 1956, les troupes israéliennes occupent la bande de Gaza, histoire de liquider la présence des « fedayins » selon le terme qui qualifiait les combattants palestiniens. Les quatre mois d’occupation ont fait un millier de morts dans la population de Gaza, soit un habitant sur trois cents, selon l’historien Jean-Pierre Filiu , qui précise :
« Dayan a représenté, surtout jusqu’à la guerre d’octobre 1973, la tendance dure et intransigeante à l’égard des pays arabes. Sa politique est cependant pragmatique, et il est convaincu que le conflit israélo-arabe s’enracine dans l’hostilité profonde d’un peuple spolié de sa terre au bénéfice d’un autre. »
Il n’est pas le seul à faire ce constat d’évidence. En 1967, après la guerre des Six Jours, en pleine gloire, il revient sur son analyse :
« Nous sommes venus dans un pays habité et nous y construisons un État juif. Les Arabes n’acceptent pas notre entreprise. Nous sommes condamnés à une belligérance éternelle. Nous sommes un corps étranger transplanté dans cette région que les autres organes repoussent. »
Un constat qui résume tout le colonialisme et qui peut s’appliquer aujourd’hui à la Kanaky dont la France « a pris possession » en 1853 et dont le délicat et patient processus de décolonisation vient d’être mis à bas par le subtile Macron et les plus malins de son entourage partisans de la fermeté.
Que peut la force contre le droit ? Contre ce droit physique et tangible qui est la terre et la mémoire d’un peuple ?
Il est capital de comprendre et de faire comprendre que les massacres du 7 octobre 2023 qui justifient pour beaucoup la vengeance génocidaire infligée au peuple de Gaza, sont l’épisode d’une longue et lourde histoire en forme d’impasse. Les voix simplement lucides ont été étouffées par des aveuglements fanatiques les plus criminels assortis de chantages à l’antisémitisme envers quiconque dénonce la course à l’abîme et au génocide.
...(…)… la suite sur le blog « là-bas si j’y suis »
Nota :
De Shlomo Sand lire : Deux peuples pour un État ? Relire l’histoire du sionisme, Seuil, 2024, Paris
De Jean-Pierre Filiu lire : Comment la Palestine fut perdue. Et pourquoi Israël n’a pas gagné. Histoire d’un conflit (XIXe-XXIe siècle), Seuil, 2024, Paris
*Source : « là-bas si j’y suis »
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