Par Gideon Levy (revue de presse : UJFP / Haaretz – 23 décembre 2023)*
Chaque dimanche et mardi, les gardes israéliens entrent dans les cellules des prisonniers palestiniens, menottent les prisonniers et les frappent à coups de matraque. C’est leur fête hebdomadaire. C’est ce que rapportent les prisonniers libérés. Quatre prisonniers sont déjà morts depuis le début de la guerre, le 7 octobre, probablement des suites de passages à tabac. 19 gardiens de prison ayant participé à ces actions nauséabondes sont soupçonnés d’avoir causé la mort de l’un des prisonniers.
Des centaines de détenus de Gaza sont menottés et ont les yeux bandés 24 heures sur 24, et ils sont également brutalement battus. Certains d’entre eux, peut-être la plupart, n’ont aucun lien avec le Hamas. Certains d’entre eux, dont personne n’a même pris la peine de dire combien, sont morts en captivité dans le camp de Sde Teyman1. 4 000 travailleurs de Gaza, qui ont arrêtés le 7 octobre en Israël, bien qu’ils n’aient rien à se reprocher, sont également détenus dans des conditions inhumaines ; au moins deux d’entre eux sont morts. On a déjà assez écrit sur les hommes dévêtus2 et les photos humiliantes.
Dans la terrible compétition dans l’échelle du mal, il n’y a pas de gagnants, seulement des perdants. Mais il est impossible de présenter jour et nuit les récits des atrocités commises par le Hamas – les journalistes rivalisent d’épithètes désobligeantes – tout en ignorant complètement la cruauté israélienne.
Dans la compétition pour la quantité de sang versé et la manière dont il a été versé, il n’y a pas de gagnants, seulement des perdants, mais il est impossible d’ignorer les quantités terribles de sang versé à Gaza. Au cours de ce week-end3, 400 personnes ont été tuées en deux jours, pour la plupart des enfants. Samedi, j’ai vu les photos du week-end d’al-Bureij et de Nuseirat, incluant celles d’enfants agonisant à même le sol à l’hôpital « al-Aqsa » à Deir al-Balah, et elles sont terrifiantes.
Le refus d’Israël d’augmenter l’approvisionnement en aide humanitaire dans la Bande de Gaza, malgré la résolution du Conseil de sécurité, indique également une politique fondée sur la cruauté.
Et comme si cela ne suffisait pas, les voix du mal en Israël placent la barre des propositions sataniques, encore plus haut : le journaliste Zvi Yehezkali 4 est favorable à l’assassinat massif de 100 000 Gazaouis. Giora Eiland 5 a changé d’avis et est passé d’une proposition visant à propager des épidémies dans Gaza à une proposition visant à affamer ses habitants.
Et même le nouveau prince charmant de la gauche, Yair Golan 6, qui a gagné 12 sièges dans les sondages à partir d’un échantillon d’Israéliens qui se considèrent comme les beaux Israéliens 7, a déjà déclaré aux habitants de Gaza dans une interview au quotidien « Yedioth Aharonoth ». : « Pour ce qui nous concerne, vous pouvez mourir de faim ! C’est tout à fait légitime. »
Et après tout cela, nous considérons que le Hamas est le seul monstre sur le terrain, que son chef est le seul psychopathe, et que seule la façon dont il détient les otages israéliens est inhumaine. Il est impossible de ne pas être horrifié par le sort de nos otages, en particulier les personnes âgées et les malades. Mais il est également impossible de ne pas être horrifié par le sort des Palestiniens qui sont maintenus menottés, les yeux bandés, pendant des semaines et des mois.
Israël n’a pas le droit d’établir des normes sur l’échelle du mal, alors que ses mains sont également souillées par des atrocités. Mettons de côté les massacres, la famine et les déplacements massifs. Le traitement réservé aux détenus palestiniens aurait dû particulièrement inquiéter Israël, ne serait-ce qu’en raison du danger couru par les Israéliens détenus par le Hamas. Que pensera un homme du Hamas qui détient des otages israéliens lorsqu’il apprendra que ses camarades sont menottés et battus sans arrêt ?
Avec toute la prudence nécessaire, on peut affirmer qu’au moins certains des Israéliens détenus par le Hamas sont mieux traités que les Palestiniens détenus par Israël. Lorsque les otages libérés, Chen et Agam Goldstein, ont parlé vendredi soir, sur la chaîne Canal 12, de leur traitement par le Hamas, et de la manière dont leurs ravisseurs les avaient protégés avec leurs corps pendant les bombardements israéliens, une attaque brutale a été immédiatement lancée contre eux sur les réseaux sociaux. Comment osent-ils dire la vérité ?
Le Hamas a mené une attaque barbare le 7 octobre. Il a assassiné et kidnappé sans discernement. Il n’y a pas de mots pour décrire sa cruauté, notamment le fait de maintenir des dizaines de personnes âgées, de malades et d’enfants pendant des mois dans des conditions insupportables.
Mais, est-ce que cela nous donne-t-il la légitimité de nous comporter de la même manière ? Mettons la morale du côté ; la cruauté d’Israël dans la guerre et dans ses prisons fait-elle avancer ses objectifs d’une manière ou d’une autre ? Le Hamas libérera-t-il les otages plus rapidement quand Israël maltraite les Palestiniens qu’il détient en otages ?
(traduction E.)
Note
- dans le Néguev
- NDT : sous la contrainte
- WE du 22-23 décembre 2023
- Correspondant aux affaires arabes sur la chaîne israélienne Channel 13,
- Ancien général de l’armée et ancien président du Conseil de la sécurité national
- Ancien général et chef adjoint de l’état-major, puis homme politique
- NDT : en référence à ce qu’on dénomme la « gauche sioniste »
*Source : UJFP (Union Juive Française pour la Paix)
Version originale : Haaretz