Par Alexandre Lemoine (revue de presse : Observateur continental – 5 juin 2023)*
Ankara, qui considère de nombreux Kurdes ayant émigrés en Suède comme des terroristes et des séparatistes, exige de Stockholm qu'il prenne des mesures sévères à leur encontre. Sinon, la Turquie refusera d'accepter l'adhésion de la Suède à l'Otan.
La migration active vers la Suède a commencé dans les années 1960. Au début, il s'agissait principalement de personnes originaires d'Europe de l'Est et du Sud ainsi que d'Amérique latine. Vers la fin du XXe siècle sont apparus des réfugiés du Moyen-Orient et d'Afrique. La Suède attirait les migrants par ses avantages sociaux: logement, allocations permettant de vivre sans travailler, éducation gratuite pour les mineurs. En cinq ans (2015-2020), la Suède a accueilli 160.000 migrants, notamment des Somaliens, des Syriens, des Tchétchènes, des Afghans, des Indiens et des Kurdes.
Les nouveaux arrivants se concentraient dans "leurs propres" enclaves, parlant leurs propres langues, et il n'était pas clair ce qu'on pouvait attendre d'eux. Mais cela s'est rapidement clarifié: la situation criminelle en Suède s'est détériorée. Les migrants rejoignaient des groupes criminels et se cachaient parmi leurs compatriotes. Les policiers étaient impuissants.
Les autorités turques sont particulièrement préoccupées par les Kurdes, qui ont commencé à arriver en Suède dans les années 1970. Beaucoup d'entre eux ont entamé des activités politiques. Il y a plusieurs députés d'origine kurde en Suède: Amineh Kakabaveh, Gulan Avci, Lawen Redar, Sara Gille.
Récemment, des activistes kurdes, membres du Comité Rojava, ont diffusé sur les réseaux sociaux des vidéos avec des drapeaux du Parti des Travailleurs du Kurdistan (qui lutte pour la création d'un État kurde indépendant; en Turquie, aux États-Unis et dans l'UE, il est considéré comme une organisation terroriste) sur le fond de parlement suédois. Le directeur de la communication de la présidence turque Fahrettin Altun a exigé que les organisateurs de cette action "soient poursuivis et arrêtés".
Le ton général des déclarations des politiciens turcs est le suivant: comment un pays qui ne s'oppose pas à la propagande terroriste peut-il contribuer à la défense de l'Otan?
Ankara estime que Stockholm devrait adopter une législation sur le blasphème, interdire de brûler le Coran et d'organiser des manifestations kurdes. Parmi les autres exigences de la Turquie figurent la cessation du soutien au Parti des travailleurs du Kurdistan, l'extradition des personnes liées au mouvement de Fethullah Gülen, leader de l'organisation Fetö interdite en Turquie, suspecté d'avoir organisé une tentative de coup d'État en juillet 2016, ainsi que l'extradition de plusieurs réfugiés kurdes en Suède, en particulier l'éditeur du journal fermé Today's Zaman, Bülent Kenes. La Suède refuse d'extrader ce dernier, estimant qu'il n'y a pas de raison suffisante pour cela.
Quand la Suède était un pays neutre, les Kurdes s'y sentaient en sécurité. Maintenant, alors que les Suédois sont littéralement aspirés dans l'Otan, ils doivent se justifier.
Les Kurdes craignent qu'ils ne deviennent une monnaie d'échange dans le conflit entre la Turquie et la Suède et que cette dernière soit obligée de céder. Cependant, si la Suède extrade des réfugiés politiques, le gouvernement du pays risque de faire face à une très forte protestation sociale.
Entre-temps, Stockholm frappe obstinément à la porte de l'Otan. Dans un article du Financial Times, le premier ministre suédois Ulf Kristersson a exhorté la Turquie à rendre une décision positive, d'autant plus qu'une loi sur la lutte contre le terrorisme, exigée par Ankara, vient d'entrer en vigueur: "Il est temps de considérer sérieusement la candidature de la Suède à l'adhésion à l'Otan."
Le secrétaire d'État américain Antony Blinken, qui a récemment visité la Suède, a déclaré: "Il est temps d'aller de l'avant." Jens Stoltenberg s'est exprimé de manière plus explicite: "La Suède peut devenir membre de l'Otan avant le sommet de Vilnius [qui aura lieu les 11 et 12 juillet]". Et il a expliqué: "Je suis en contact étroit avec les autorités turques pour garantir que la Suède devienne membre à part entière dès que possible. J'ai évoqué cette question à de nombreuses reprises avec le président Recep Tayyip Erdogan."
Erdogan a dit un jour: "En politique, il n'y a que le présent. Tout peut changer en l'espace de 24 heures."
Qu'en sera-t-il maintenant?
Nous verrons prochainement à quel point la démocratie en Suède est extensible et jusqu'où les réfugiés kurdes radicaux dans ce pays sont prêts à aller.
*Source : Observateur continental