Revue de presse : Mondafrique (31 mai 2023)*
Le pouvoir algérien attendait le faux pas d’un des principales figures du Hirak, Karim Tabbou pour appuyer son emprise de l’espace politique à l’approche des présidentielles prévues en décembre 2024. L’occasion lui a été offerte à travers l’intervention de Karim Tabbou, le 7 mai sur la chaine Al Magharibia, en compagnie de l’ancien président tunisien Moncef Al Marzouki pour débattre sur le thème « Maghreb : entre les crises des régimes et les espoirs des peuples » ».
Moncef Marzouki et Karim Tabbou ont présenté les pouvoirs en place au Maghreb comme source de sous-développement et modèle de régression des libertés démocratiques. Les critiques acerbes des deux intervenants se sont focalisées sur les échecs des politiques des régimes depuis les indépendances des pays d’Afrique du nord. Les deux invités s’alignent sur la même longueur d’onde concernant les aspirations des populations du Maghreb incitant les nouvelles générations à continuer le combat des libertés démocratiques contre les pouvoirs illégitimes.
Les conditions de l’arrestation
L’opinion publique n’a pris connaissance des conditions d’arrestations qu’à travers le communiqué du comité des avocats de Karim Tabbou. C’est le 23 mai au matin que des civils ont coincé le véhicule de l’opposant au niveau de la ville de Douéra. Ils l’ont invité à quitter le véhicule et de le suivre vers un lieu non désigné. Il s’est avéré après qu’il a été conduit à la caserne de Dely Brahim où les services de sécurité de la DGSI l’attendaient. Une enquête était ouverte contre lui concernant une émission passée à la chaîne Al Magharibia, le 07 Mai passé en compagnie de l’ancien président tunisien Moncef Al Marzouki sous le thème : Maghreb entre crises des régimes et espoirs des peuples. Des questions lui ont été posées par les services de sécurité sur le contenu de son intervention lors de l’émission.
A 20h00, il lui a été notifié qu’il est sous enquête en attendant qu’il soit présenté au procureur de la république. Il a été transféré à la caserne Antar. Le 25 mai, Karim Tabbou est transféré au tribunal de Koléa sans que ses avocats et sa famille ne soient informés d’une démarche qui est en violation du droit du prévenu, de ses avocats. Il a ainsi été présenté sans ses avocats au procureur de la république qui lui a adressé quatre accusations, dont l’atteinte à la personne du Président de la République qui s’accompagne d’une interdiction de participer aux assemblées politiques ou de sortir du territoire (ISTN)
Ses avocats s’interrogent sur l’obligation de lui demander de signer chaque lundi au niveau du siège de la sécurité intérieure et non au niveau du juge d’instruction comme le stipule la procédure !
Les raisons cachées
Il y a d’abord le canal à travers lequel les deux opposants aux systèmes politiques algériens et tunisiens s’exprimaient qui posait problème. Al Magharibia appartient à Oussama Abbasi, fils de feu Abbassi Madani le président du parti islamiste FIS. La chaîne est considérée par le pouvoir algérien comme étant une télévision d’opposition au pouvoir depuis sa création.
Les arguments deux figures opposantes aux régimes algérien et tunisien abondent dans la critique mettant à nue les limites de leurs politiques répressives. Ainsi, Karim Tabbou évoque une phase « d’impasse politique et économique des systèmes qui sont incapables de sortir le pays du sous-développement ». Il brosse un tableau noir sur le pays : « l’Algérie est otage d’un système politico sécuritaire, agrégé à ses services de renseignement, qui s’appuie uniquement sur la violence sous toutes ses formes : violence politique, économique, sécuritaire, judiciaire, administrative ».
L’intervention de l’opposant algérien cible principalement les polices politiques des États du Maghreb qui les considèrent comme étant l’élément principal dans l’équation des pouvoirs en place. Ceux-ci placent les forces constituées et de sécurité comme le principal pilier de l’État au détriment de l’activité politique, de l’université, de la société civile. Pour lui, ce raisonnement n’a de finalité que d’imposer une soumission et l’acceptation d’un état de fait imposé érigeant le principal obstacle au changement. Selon Karim Tabbou, « Ce sont les services de sécurité qui créent les partis politiques, fraudent les élections, distribuent les sièges au sein du parlement et dans les conseils régionaux à toute sa clientèle, nomment les ministres, les préfets, et instrumentalisent la justice en maîtrisant ses dossiers, inaugurent les journaux et dessinent l’espace médiatique en lui imposant la ligne rédactionnelle en la tenant par l’arme de la publicité et les annonces, surveillent les populations et espionnent les opposants ».
Les attaques de KarimTabbou contre le diktat de l’armée qui inonde l’espace politique. Les grandes décisions sont annoncées à partir des casernes où le chef d’état-major s’exprime sous une couverture médiatique nationale, le parlement est absent, l’exécutif est effacé. « Nous sommes dans une situation de non état, mais devant des régimes qui font obstacles aux aspirations des peuples. Toutes les décisions sont prises au sein du haut conseil de sécurité et en absence de toute concertation ».
Quant à l’ancien président tunisien, il a évoqué les récentes déclarations du président Tebboune sur la chaîne Al Jazeera concernant son pays et qui ont suscité des réactions au sein de la société civile tunisienne. Il a révélé que le régime autoritaire algérien était contre le changement survenu en Tunisie en 2011. Il a tout fait pour la faire échouer. Au cours de son intervention, Al Marzouki a rappelé comment lors de ses deux voyages effectués en Algérie comme président, les responsables algériens s’étaient inquiétés du processus démocratique qui avait suivi le départ du dictateur Ben Ali.
« Le pouvoir algérien a raison de craindre le changement, le Hirak n’a été en réalité qu’un écho à la révolution tunisienne avec neuf années d’intervalle. Le processus n’est pas fini, le Hirak reviendra le moment venu. Le pouvoir algérien, en compagnie des Emirats et l’Arabie saoudite, a réussi à faire échouer le changement démocratique en Tunisie, mais pour gouverner avec les mêmes méthodes. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. C’est une question de temps ».
*Source : Mondafrique
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