La « marche du drapeau » a lieu chaque année le « jour de Jérusalem », lorsque les colons juifs israéliens commémorent l'occupation et la colonisation de la ville après l'annexion par Israël de Jérusalem-Est en 1967. Ce défilé est marqué par la violence et l'incitation à la haine contre les Palestiniens, les colons israéliens défilant dans le quartier musulman de la Vieille ville et autres quartiers palestiniens, revendiquant de façon provocante une prétendue souveraineté juive sur la ville et attaquant les résidents palestiniens - Photo: Mohammed Zaanoun / Activestills
Par Abdel Bari Atwan (revue de presse : Chronique de Palestine – 6/6/22)*
Le Hamas a cédé aux pressions des médiateurs arabes et la Marche des Drapeaux d’Israël est restée impunie.
On est obligé de reconnaître que la « marche des drapeaux » israélienne dans Jérusalem occupée a atteint la plupart de ses objectifs, sinon tous. La population de Jérusalem s’est retrouvée seule et sans défense face aux hordes de colons agressifs et aux milliers de soldats lourdement armés qui les accompagnaient, et les groupes de la Résistance qui avaient juré de riposter à cette invasion provocatrice avec des missiles, comme ils l’avaient fait l’année dernière, n’ont pas tenu leur promesse.
La grande majorité des Arabes et des Musulmans soutiennent la résistance à l’occupation, et aucune phrase ne les frustre et les démoralise davantage que celle-ci : « il y aura des représailles au moment et à l’endroit appropriés ». Elle est souvent utilisée par les dirigeants et les porte-parole des groupes de la Résistance de la bande de Gaza pour justifier leur incapacité à tenir leurs promesses – pourtant réitérées avec force pendant la préparation de la Marche des Drapeaux – de riposter à l’assaut des colons.
Toutes ces promesses nous avaient fait espérer une réplique foudroyante qui aurait rabattu la superbe des colons et de leurs dirigeants ainsi que protégé et réaffirmé l’identité arabe de Jérusalem.
Il est vrai que les troupes israéliennes ont traité les habitants de Jérusalem, qui protestaient contre la marche, avec une brutalité particulièrement révoltante, faisant 89 blessés et des centaines d’arrestations. Mais il est également vrai que le premier ministre de l’État occupant, Naftali Bennet, en est sorti renforcé.
Son ministre de la sécurité, Omer Bar-Lev, a eu raison de jubiler lorsqu’il a dit qu’Israël avait renforcé son pouvoir de dissuasion en organisant la marche et en défiant les protestations. La marche a effectivement sonné le glas des nouvelles règles d’engagement établies par la bataille de l’épée de Jérusalem de l’année dernière.
Nous ne savons toujours pas pourquoi le Hamas et le Jihad islamique, en particulier, n’ont pas mis à exécution leurs menaces de riposter à ce violent assaut de Jérusalem comme l’année dernière. Nous n’avons obtenu que de brefs commentaires du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, qui a qualifié le comportement des Israéliens d’ « impardonnable » et promis qu’ «il y aurait une riposte au moment et à l’endroit appropriés ».
Le porte-parole du Hamas à Gaza, Taher al-Nounou, a cependant soulevé un coin du voile en révélant que « certains acteurs » avaient contacté la direction du Hamas « afin de contenir la situation et d’éviter toute détérioration supplémentaire, comme ils le disent. »
Cela signifie, si nous comprenons bien, que ces acteurs – en particulier le Qatar où Haniyeh et d’autres dirigeants du Hamas sont basés, et l’Égypte qui contrôle le poste frontière de Rafah – ont fait pression sur le Hamas, sur ordre des États-Unis et/ou d’Israël, pour qu’il ne riposte pas.
Mais pourquoi Nounou n’a-t-il pas nommé ces acteurs? Et pourquoi Haniyeh n’a-t-il pas répondu à ces intermédiaires arabes qu’au lieu de demander aux Palestiniens de se taire au moment où Israël met en œuvre ses plans de partition spatiale et temporelle de l’esplanade d’al-Aqsa, ils devraient dire aux Israéliens et aux Américains de ne pas faire leur marche provocatrice ? Pourquoi est-ce que c’est toujours à nous de nous écraser ?
En fait, Anthony Blinken a demandé à Bennet de renoncer à la marche, et un tribunal israélien l’a même interdite pour des raisons sécuritaires. Mais Bennet l’a quand même organisée pour consolider sa base et renforcer la réputation de ses agences de sécurité et sa propre crédibilité.
Pourquoi les chefs de la Résistance de Gaza n’ont-ils pas réagi comme l’année dernière, où leurs barrages de missiles avaient paralysé Israël et obligé son Premier ministre à se précipiter aux États-Unis pour demander l’intercession de l’Égypte afin d’obtenir un cessez-le-feu ?
On peut se demander à juste titre ce qu’ils ont obtenu en échange de leur « réceptivité » à la pression des médiateurs arabes ? Très probablement rien. Mais même en admettant qu’ils aient obtenu quelque chose, cela peut-il compenser la perte de crédibilité et la perte de tous les gains de l’année dernière ? Et avons-nous oublié qu’Israël n’a jamais respecté aucun accord conclu lors des médiations de ce type, notamment en ce qui concerne la levée du siège de Gaza et l’autorisation de reconstruire ?
La direction du Hamas a peut-être obtenu l’approbation des médiateurs arabes, mais elle a fait un grand pas en arrière dans l’estime de ses partisans palestiniens, arabes, musulmans et internationaux. Elle a également irrité d’autres membres de l’axe régional de la Résistance, notamment au Liban.
Je le sais pertinemment, même si, comme d’habitude, ils gardent leurs critiques pour eux lorsqu’il s’agit de la Résistance palestinienne et des erreurs qu’elle commet. Beaucoup de choses restent dans le domaine du non-dit.
On aurait pu s’attendre à ce que Haniyeh, ou le chef du Hamas à Gaza Yahya Sinwar, prenne la parole pour répondre aux nombreuses questions que pose la décision de ne pas riposter, et à d’autres questions sur les divisions dans les rangs du Hamas. On parle beaucoup d’un désaccord entre une faction qui avait élaboré des plans de représailles et voulait les mettre en œuvre, et une autre qui jugeait préférable de céder aux pressions des médiateurs arabes et de reporter la riposte.
Cette dernière a obtenu gain de cause et la première a cédé pour préserver l’unité et la cohésion du mouvement.
Je ne doute pas de la force et de la persévérance de la Résistance, ni de la sagesse et du courage de ses dirigeants, ni du fait que la Marche des Drapeaux colonialiste n’était qu’un épisode dans la confrontation et la guerre de libération en cours. Je ne doute pas non plus qu’il soit possible de compenser l’absence de représailles par une action ultérieure, plus efficace.
Mais la franchise et la transparence sont nécessaires. La Résistance n’a rien à perdre en ce moment, et l’occupant israélien est affaibli du fait que ses soutiens occidentaux sont préoccupés par l’Ukraine et ne s’intéressent pas à lui ni à ses projets.
Le problème de la Résistance palestinienne a toujours été les médiateurs arabes, contrôlés à distance par les États-Unis, et dont certains sont plus préoccupés par le bien-être d’Israël que par leurs concitoyens arabes ou les lieux saints arabes et islamiques de Jérusalem.
Les groupes de la Résistance de la bande de Gaza ont commis une erreur, à mon avis, en ne ripostant pas ou en reportant les représailles. Ils n’auraient pas dû écouter les émissaires des États-Unis et d’Israël qui utilisent la Résistance pour préserver leurs intérêts et leurs trônes.
Le Hamas et le Jihad islamique doivent corriger leur erreur le plus rapidement possible. La Résistance peut maintenir et renforcer son pouvoir de dissuasion. Le moment et le lieu appropriés pour le faire sont ici et maintenant.
Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
*Source et Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
Version originale : 1er juin 2022 – Raï al-Yaoum
Articles de Abdel Bari Atwan sur « France-Irak Actualité » : ICI